Le dépistage de l’état confusionnel aigu chez les personnes âgées dans les services d’urgence

Quand une personne âgée est hospitalisée, on traite sa pneumonie ou on réduit sa fracture. Mais les symptômes liés au grand âge, comme l’état confusionnel accentué par le choc de l’hospitalisation, sont ignorés. Très vite, les soignants courent derrière une cascade d’effets négatifs non anticipés. (Monod, 2015).

Cette citation d’une doctoresse gériatre et cheffe du Service vaudois de la santé publique constitue une excellente introduction à ce travail de Bachelor [TdB], en mettant ainsi en avant la grande problématique que représente le dépistage de l’état confusionnel aigu pour les soignants.

La réalisation de ce travail s’est faite sous forme de revue de littérature. La problématique choisie traite du dépistage de l’état confusionnel aigu chez les personnes âgées dans les services d’urgences. Le sujet a tout d’abord été contextualisé, en mettant en évidence sa pertinence pour les soins infirmiers, ainsi que l’impact du problème pour la pratique, ceci dans le but d’en faire ressortir une question de recherche. Afin de mieux comprendre les symptômes en lien avec cette pathologie et la façon dont les infirmières peuvent les dépister, il est amené un apport théorique sur l’état confusionnel aigu [ECA] et sur le cadre théorique choisi qui est l’évaluation clinique infirmière. Puis la méthodologie ayant permis le tri et la sélection des différents écrits est explicitée. Par la suite, les différents résultats, ainsi qu’un tableau les récapitulant, sont exposés. Après discussion des divers résultats obtenus, des recommandations pour la pratique ainsi que différentes perspectives de recherche sont présentées. Pour finir, avant d’apporter une conclusion à ce travail, les limites de cette revue de littérature sont cernées.

Selon Sarasin et Chevalley (2003), malgré l’augmentation des offres de prestations en soins à domicile et la création de structures de réhabilitation, le service des urgences reste, pour les personnes âgées, une plaque tournante. Selon l’Observatoire suisse de la santé [OBSAN] (2013), « plus les patients sont âgés, plus ils ont tendance à visiter les urgences plusieurs fois par année » (p. 5). Sarasin et Chevalley (2003) révèlent également que les consultations aux urgences des personnes âgées sont justifiées, car celles-ci présentent souvent un degré de sévérité plus élevé que celui des jeunes. Le vieillissement de la population est un problème d’actualité qui ne cesse de s’accroître. D’après les chiffres du centre hospitalier universitaire vaudois [CHUV] « dans le canton de Vaud, le nombre de personnes âgées de 80 ans ou plus augmentera d’environ 75% d’ici 2030 et d’environ 120% d’ici 2040, correspondant à, respectivement, environ 20’000 et 32’000 octogénaires supplémentaires par rapport à 2010 » (2012, cité dans Büla, Jaccard Ruedin, & Carron, 2012, p. 1534). Selon l’OBSAN (2013), durant ces dernières années, le nombre de personnes âgées consultant dans un service d’urgence a augmenté de manière importante ; cela est dû principalement au vieillissement démographique. En effet, comme en témoignent les chiffres, il y a eu une augmentation de 35 % des consultations entre 2007 et 2011 pour la tranche d’âge de 66 à 85 ans et une augmentation de 45 % pour les plus de 86 ans.

D’après Graf, Chevalley et Sarasin (2012), l’impact du vieillissement est un facteur important pour la gestion d’un service d’urgence. Les patients âgés y séjournent, parfois plus de 24 heures, et ce temps peut être augmenté lors de pénuries de lits d’hospitalisation. En outre, elles sont hospitalisées cinq fois plus souvent que les jeunes. Le passage d’une personne âgée dans un service d’urgence peut engendrer divers évènements indésirables, comme par exemple : un risque de réadmission dans les trois mois suivants, la consultation pour 24% des patients, une perte d’autonomie pour 45% d’entre eux, ainsi qu’un risque de décès de 10%.

Les services d’urgence sont basés sur la pose d’un diagnostic rapide, ainsi que sur l’évaluation de la gravité d’une situation aiguë et unique. Ces mesures sont souvent inadaptées aux besoins des personnes âgées, qui, en général, présentent des polypathologies avec comorbidités. (Sarasin, & Chevalley, 2003). Selon Büla, Jaccard Ruedin et Carron (2012), l’environnement, le matériel et les outils utilisés aux urgences ne concordent pas, dans la plupart des cas, avec les besoins des personnes âgées. Le service est principalement destiné à des patients autonomes présentant une problématique aiguë. Au moment de l’admission aux urgences, le patient est régulièrement sous-évalué, car les outils de tri traditionnels peinent à identifier les symptômes atypiques que les personnes âgées présentent (Graf et al. 2012). L’approche préconisée pour une évaluation optimale de la personne âgée serait « une approche fonctionnelle pluridimensionnelle centrée sur le patient prenant en compte ses capacités physiques et ses difficultés psychologiques et sociales ». (Sarasin & Chevallay, 2003, p.2).

Selon Büla et al. (2012), l’évaluation des personnes âgées aux urgences présente de nombreuses difficultés. En effet, il est compliqué d’établir une anamnèse complète avec un patient âgé et d’interpréter les anomalies lors de l’examen clinique. Ceci peut engendrer de l’inconfort dans les équipes. Selon Sarasin et Chevallay (2003), la réponse des soignants aux besoins du patient est souvent inadéquate. Les auteurs mettent également en évidence que cela peut représenter une frustration pour les soignants, dont le temps est limité dans un service d’urgence, ce qui va à l’encontre d’une prise en soins globale de la personne âgée. Actuellement, il existe différents types d’évaluations adaptées aux patients âgés qui sont utilisées dans les services d’urgence. Notamment l’évaluation gériatrique [EG] qui, selon Graf et al. (2012), comprend des outils permettant une détection des « syndromes gériatriques » tels que les troubles cognitifs ou thymiques, l’atteinte de l’autonomie, les signes de dénutrition, l’isolement social ou, pour finir, la polymédication. Les mêmes auteurs soulignent que son utilisation aux urgences permet de diminuer de 26% le taux de réadmission à huit jours, de repousser la mise en institution et de réduire de 4% l’atteinte fonctionnelle à quatre mois. Cependant, cette évaluation gériatrique a ses limites dans un service d’urgence, car elle dure 30 minutes ce qui est relativement long pour un service où les infirmières sont souvent interrompues et où le flux de patients est primordial. Il est impératif dans un tel service que les prises en soins soient rapides et efficaces. Graf et al. (2012) précisent que l’EG peut représenter une perte de temps, car elle n’est pas applicable à toutes les personnes âgées, comme par exemple celles souffrant de démences préexistantes. De ce fait, d’autres outils peuvent être plus adéquatement utilisés, permettant ainsi de cibler les personnes qui nécessitent une évaluation gériatrique complète (Graf et al., 2012). Comme mentionné plus haut, selon Büla et al. (2012) l’évaluation de la personne âgée aux urgences représente une difficulté pour les soignants et cette problématique s’accroît lors d’un ECA.

Concernant l’ECA une grande prévalence est observée dans les services d’urgence. Il est donc pertinent et essentiel de définir ce trouble qui occasionne diverses problématiques pour la prise en soins du patient âgé aux urgences. Selon Voyer (2011), l’état confusionnel aigu ou delirium est défini comme étant « un désordre transitoire de l’état mental touchant l’état de conscience, la cognition et le comportement. Les symptômes s’installent rapidement et fluctuent dans le courant d’une journée » (p. 30). Selon Lleshi, Burdy, Bryois et Le Goff-Cubilier (2007), l’ECA est une urgence médicale nécessitant souvent une hospitalisation. Au vu du mode d’apparition brutale et des signes et symptômes fluctuants, son diagnostic est difficile et peut passer inaperçu, être mal posé ou sous-estimé. D’après Ebbing, Giannakopoulos et Hentsch (2008), les facteurs prédisposants à l’ECA sont multiples et variés tels que l’âge, le genre masculin, les atteintes cognitives préexistantes, la dépression, les troubles visuels ou auditifs, la malnutrition ou la déshydratation et la prise ou l’abus de substances psychotropes. Aux urgences, des facteurs environnementaux viennent s’additionner, comme l’absence de fenêtre et de lumière du jour ; l‘éclairage ambiant mal adapté et le bruit peuvent engendrer une barrière à la communication, une perturbation du sommeil, une désorientation et donc un risque accru d’état confusionnel (Büla et al., 2012). Selon Somes, Donatelli et Barrett, les effets indésirables des médicaments, les infections, les défaillances cérébrales, les troubles métaboliques, le stress, les changements d’environnement ou encore l’incapacité à interpréter l’environnement (par exemple : une personne malentendante ayant perdu ses lunettes), sont toutes des causes fréquentes de delirium.

[traduction libre] (2010, p. 487) L’immobilité, les fractures ou les traumatismes majeurs peuvent eux aussi représenter des facteurs de risque (Ebbing et al., 2008). Toujours selon les mêmes auteurs, il est donc essentiel d’identifier la cause sous jacente de la confusion, afin de pouvoir instaurer le plus rapidement possible un traitement approprié.

D’après le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, volume 5 [DSM-V], il existe une prévalence de 10 à 30 % d’ECA chez les patients âgés qui se présentent dans un service d’urgence. Selon le centre d’épidémiologie clinique du service de psychiatrie de liaison du CHUV (n.d.), les patients dont l’ECA a été dépisté par le service des urgences montrent un taux de mortalité plus bas que les patients n’ayant pas été diagnostiqués aux urgences. C’est pourquoi, il est primordial de diagnostiquer un ECA le plus rapidement possible ; cela peut en effet avoir un impact sur le pronostic et la suite de la prise en soins, ceci dans le but d’assurer une prise en soins optimale et d’éviter ainsi des complications et des hospitalisations inutiles. Selon Voyer et al. (2014), la détection du delirium par le personnel infirmier est un problème majeur. Dans les services aigus, uniquement 24% des cas sont documentés (Voyer, 2008). L’ECA représente également un grand challenge au niveau économique. Une étude de Leslie, Marcantonio, Zhang, Leo-Summers et Inouye (2008) met en avant les coûts totaux que représente l’ECA sur une année. Les résultats ont montré que 13% des patients hospitalisés ayant participé à l’étude ont développé un état confusionnel et les coûts induits étaient deux fois et demie plus élevés que pour les patients ne souffrant pas d’ECA. Toujours selon la même étude qui a été effectuée au Yale-New Haven Hospital, les coûts estimés par patient présentant un état confusionnel sont de 16’303 à 64’421 dollars, ce qui implique une augmentation des coûts annuels de santé de 38 milliards à 52 milliards aux États Unis. Ces résultats mettent en évidence la nécessité du dépistage précoce de l’état confusionnel, afin de diminuer les coûts et les complications liées à ce trouble vital, tels que l’augmentation de la mortalité, du temps de séjour et/ou de réhospitalisation. Ces résultats mettent en évidence la nécessité de redoubler d’efforts pour atténuer ce trouble cliniquement significatif et coûteux.

Table des matières

1. Introduction
2. Problématique et question de recherche
3. Apport théorique
3.1. État confusionnel aigu
3.2. Évaluation clinique
4. Méthodologie et résultats
5. Résultats
5.1. Hare, M., Wynaden, D., McGowan, S., & Speed, G. (2008). Assessing cognition in elderly
patients presenting to the emergency department. International Emergency Nursing, 16, 73-
79.
5.2. Voyer, P., Champoux, N., Desrosiers, J., Landreville, P., McCusker, J., Monette, J., …
Carmichael P.-H. (2015). Recognizing acute delirium as part of your routine [RADAR]: a
validation study. BMC nursing, 14, 1-13.
5.3. Han, J. H., Wilson, A., Vasilevskis, E. E., Shintani, A., Schnelle, J. F., Dittus, R. S., … Ely, E. W.
(2013). Diagnosing delirium in older emergency department patients: validity and reliability
of the delirium triage screen and the brief confusion assessment method. Annals of
Emergency Medicine, 62, 457-465.
5.4. Han, J. H., Wilson, A., Graves, A. J., Shintani, A., Schnelle, J. F., Dittus, R. S., … Ely, E. W. (2014).
Validation of the Confusion Assessment Method for the Intensive Care Unit in older
emergency department patients. Academic Emergency Medicine, 21(2), 180–187.
5.5. Han, J. H., Vasilevskis, E. E., Schnelle, J. F., Shintani, A., Dittus, R. S., Wilson, A., & Ely, E. W.
(2015). The Diagnostic Performance of the Richmond Agitation Sedation Scale for Detecting
Delirium in Older Emergency Department Patients. Academic Emergency Medicine, 22(7),
878-882
5.6. Grossmann, F. F., Hasemann, W., Graber, A., Bingisser, R., Kressig, R. W., & Nickel, C. H.
(2014). Screening, detection and management of delirium in the emergency department – a
pilot study on the feasibility of a new algorithm for use in older emergency department
patients: the modified Confusion Assessment Method for the Emergency Department
(mCAM-ED). Scandinavian Journal of Trauma, Resuscitation and Emergency Medicine22,1- 9.
5.7. Rutschmann, O. T., Chevalley, T., Zumwald, C., Luthy, C., Vermeulen, B., & Sarasin, F. P.
(2005). Pitfalls in the emergency department triage of frail elderly patients without specific
complaints. Swiss Medical Weekly, 135, 145–150.
6. Comparaison des résultats
7. Discussion
7.1. Recommandations pour la pratique
7.2. Propositions de perspectives de recherche
7.3. Limites de la revue de littérature
8. Conclusion

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