LA REALITE VIRTUELLE REFAIT LE MONDE
La fabuleuse surface des choses
Fin 2007, le prix Nobel de chimie a été décerné à l’Allemand Gerhard Ertl pour ses travaux sur la chimie de surface. À Paris, un laboratoire travaille à la pointe de cette discipline fondamentale qui, du pot catalytique aux carburants du futur, n’est pas avare d’applications.
L’odeur de camphre ne trompe pas : ce couloir de l’université Pierre et Marie Curie, en plein cœur de Paris, abrite un laboratoire de chimie. Et plus précisément le Laboratoire de réactivité de surface (Laboratoire CNRS/Université Paris 6). Dans une pièce, des scientifiques en blouse blanche surveillent un mélange réactif sous une hotte aspirante. Un peu plus loin, d’autres scrutent une courbe naissante sur l’écran d’un ordinateur relié à un appareil d’analyse. Le mot d’ordre local ? S’en tenir à la surface des choses. Mais ne croyez surtout pas que nos chercheurs survolent leur sujet : le lieu est juste consacré à la surface des solides qui, selon eux, n’est pas loin d’être leur partie la plus intéressante. Du moins, celle qui, étant en contact avec l’extérieur, est le lieu possible d’une myriade de réactions chimiques. Comme le résume Michel Che, chercheur et ancien directeur du laboratoire, « l’objectif général du LRS est la compréhension des lois de l’assemblage moléculaire au niveau des surfaces. Soit pour exalter la réactivité chimique de ces dernières, soit pour la faire décroître ».
De fait, les atomes de la surface d’un solide, parce qu’ils présentent des liaisons chimiques vacantes (Dans un solide, les atomes de surface, contrairement à ceux du cœur, ne sont liés que partiellement à leur environnement. Ils ont donc la possibilité d’interagir avec des atomes extérieurs via des liaisons chimiques dites vacantes), sont extrêmement réactifs avec les composés chimiques présents dans l’environnement du solide. Ce peut être un atout, lorsqu’il s’agit de stimuler ou d’accélérer une réaction chimique d’intérêt industriel au contact d’une surface solide (on parle de catalyse). Inversement, c’est un handicap lorsque l’on souhaite une surface la plus inerte possible, comme en chirurgie par exemple. Au LRS, ces différents aspects font l’objet de multiples projets de recherche. Avec une spécificité maison que nous décrit Claire-Marie Pradier, directrice du laboratoire, sous le regard bienveillant de Lavoisier, dont un portrait est suspendu dans son bureau : « Nous allons de la synthèse des matériaux, afin de moduler leurs propriétés de surface, à leur mise en œuvre dans des applications. »
Premier exemple avec le groupe animé par Catherine Louis, directrice de recherche CNRS, qui synthétise des nanoparticules métalliques et les dépose dans les porosités de différentes surfaces. Dans quel but ? Exalter certaines réactions chimiques dont certaines sont d’intérêt environnemental. Par exemple, des nanoparticules d’or déposées à la surface de différents oxydes permettent de réaliser la transformation du monoxyde de carbone, un gaz particulièrement toxique émis notamment par les voitures, en dioxyde de carbone et ce, à température ambiante, « alors que des catalyseurs classiques nécessitent de travailler au-delà de 100 °C », précise la chercheuse, illustrant une partie de son propos à l’aide d’une énorme molécule en plastique posée à côté de son bureau. De quoi donner des idées pour la réalisation de pots catalytiques plus performants par exemple. Sur les paillasses du LRS, l’étude des réactions catalytiques à vocation environnementale tient une place essentielle, ce qui vaut d’ailleurs au labo d’être rattaché à la fois au département Chimie et au département « Environnement et développement durable » (EDD) du CNRS. Autre preuve : le labo ne coordonne rien de moins qu’un groupement de recherche international (GDRI) sur la dépollution, impliquant notamment l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), Renault et Gaz de France. Suite de la visite, à quelques mètres de là, avec les récents travaux réalisés dans le groupe de Michel Che. Leur objectif : combler les lacunes dans la connaissance d’un certain type de catalyseurs qui pourraient avoir des applications dans la valorisation des alcools ou des huiles pour la production de carburants végétaux. Dans cette optique, les chercheurs se sont intéressés à l’oxyde de magnésium, un matériau modèle pour cette nouvelle famille. Plus précisément, ils ont caractérisé la réactivité des sites catalytiques – les endroits où se produit la réaction chimique – sur sa surface. « Vue au microscope électronique, la surface d’un solide est loin d’être lisse. Au contraire, elle présente des creux, des arêtes ou des coins, explique Guylène Costentin, chercheuse CNRS qui a participé à ce travail. Or la géométrie de ces défauts est directement reliée à la réactivité des atomes qui les composent et donc au pouvoir catalytique du matériau. » Pour étudier cette relation, les chercheurs ont mobilisé toutes les ressources du laboratoire : synthèse, afin de faire varier les proportions des différents défauts de surface de leurs échantillons ; techniques expérimentales de caractérisation tous azimuts, de la résonance magnétique nucléaire à la photoluminescence ; enfin, modélisation numérique afin d’affiner la description des sites actifs. « Les matériaux et les réactions que nous avons étudiés sont modèles, précise la chercheuse. Mais leur description détaillée permettra des extrapolations à des systèmes plus réels. »
Santé : Y a-t-il une épidémie dans l’avion ?
L’avion n’est pas réservé aux seuls humains : les maladies aussi peuvent prendre place à bord. Il y a trois ans, une équipe internationale (Impliquant le Laboratoire de physique théorique (CNRS / Université Paris-Sud 11), le CEA, l’Indiana University (États-Unis) et l’ISI (Turin, Italie) de chercheurs avait même montré que les transports longue distance étaient un facteur primordial dans la dispersion d’une pandémie. Ce qui leur a permis de concevoir un modèle fiable de propagation d’une infection à l’échelle mondiale. Détaillé dans la revue BMC Medicine (BMC Medicine, 5:34, 21 novembre 2007), cet outil a déjà donné de précieuses indications sur une éventuelle épidémie de grippe aviaire. Il y a trois ans, nos scientifiques n’en étaient pas encore là. Ils réalisaient des modèles simples de propagation de pandémie prenant en compte seulement les déplacements aériens. Surprise ! Les prévisions, comparées rétrospectivement à l’épidémie de Sras (Apparu en Chine fin 2002, le syndrome respiratoire aigu sévère ou pneumopathie atypique serait à l’origine de 916 décès jusqu’en 2003 sur la planète), s’avéraient très correctes : « Le trafic aérien à lui seul suffisait pour modéliser l’expansion d’une maladie à l’échelle mondiale. Au départ ce n’était pas du tout évident », se souvient Alain Barrat, chercheur CNRS du Laboratoire de physique théorique d’Orsay(Laboratoire CNRS / Université Paris-Sud 11). Aujourd’hui, la même équipe revient avec un modèle beaucoup plus affiné. Celui-ci prend en compte les populations de plus de 3000 zones urbaines dans 220 pays, et plus de 99 % du trafic aérien total. Et « donne de très bonnes prédictions ». Pour s’en assurer, les chercheurs ont à nouveau confronté les pronostics de leur modélisation aux chiffres du Sras. Les prévisions se font en deux temps. Premièrement, quels risques un pays a-t-il d’être infecté ? Considérant 220 États, le modèle ne se trompe que pour 15 d’entre eux, soit 7 % d’erreur. Deuxièmement, combien de sujets sont atteints dans chaque pays ? Globalement, les résultats se situent dans les bons ordres de grandeur, malgré quelques paramètres difficiles à mettre en équation : « Un tel modèle comportera toujours des limites, reconnaît Alain Barrat, car la réaction d’une population en situation de crise reste imprévisible. » Point de certitudes donc mais des probabilités, et surtout, la possibilité de tester différents scénarios de lutte contre les épidémies. En 2007 par exemple, nos chercheurs, en collaboration avec un épidémiologiste de l’Inserm, ont modélisé la propagation d’une pandémie de grippe aviaire – dans l’hypothèse d’une transmission interhumaine – selon différents scénarios. Parmi les enseignements : pour contenir l’expansion de la maladie, une solution consiste à ce que les pays détenteurs d’antiviraux reversent une petite partie de leurs stocks à l’OMS qui redistribue ensuite les médicaments aux pays touchés, au fur et à mesure de la propagation. Cette stratégie diminue considérablement le nombre d’individus affectés au niveau mondial. Avis aux décideurs…