VULNERABILITES AUX EFFETS DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
Définition des concepts
Sans vouloir faire un débat sémantique pléthorique, il est nécessaire de s‘accorder sur le sens des thèmes centraux de notre travail afin de faciliter la compréhension des développements faits dans les chapitres qui vont suivre.
Les changements climatiques
Les changements climatiques tels que définis par le GIEC sont des variations des moyennes et/ou des propriétés du climat. Ces variations sont observées sur une longue période (des décennies).80 Parfois, la définition est limitée aux changements qui sont dus à l‘action de l‘Homme ; c‘est-à-dire le changement climatique anthropique. Dans ce cas ce sont les changements intervenus après la Révolution Industrielle qui sont pris en compte. Au sens large, donc, les changements climatiques sont d‘origine naturelle ou anthropique. Quand il s‘agit de prendre des mesures pour atténuer les changements du climat, ce sont les changements anthropiques qui sont considérés, car ce sont sur ces changements que l‘humanité peut agir. Ainsi, dans le Protocole de Kyoto, les changements climatiques sont définis comme étant les changements « qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l‘atmosphère mondiale et qui viennent s‘ajouter à la variabilité naturelle du climat » . Pour ce qui nous concerne, les manifestations des changements climatiques sont celles des changements anthropiques et naturels. Ces deux facteurs (naturels et humains) s‘imbriquent pour donner des variations de température, de pluviométrie, de vent, etc. Dans ces variations, il est impossible de dissocier ce qui est dû à la variabilité naturelle de ce qui provient des activités humaines. Et on conçoit le changement climatique comme toute variation inattendue et durable du climat, qu‘elle soit d‘origine naturelle ou humaine. En effet, la vulnérabilité des populations ne dépend pas de la cause des changements climatiques. Elle est fonction de l‘ampleur de ces changements et de l‘aptitude des populations à se prendre en charge en cas de sécheresses, d‘inondations, de vagues de chaleurs ou de froid, etc. L‘expression « variabilité du climat », quant à elle, est plus large dans sa signification. Elle renvoie à des variations de l‘état moyen et des statistiques des paramètres du climat au-delà 80IPCC, 2007: Climate Change 2007: The Scientific Basis. Contribution of Working Group I to the Third Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Houghton, J.T., et al. (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, p. 943. 81 Article 1 de la CCNUCC. 47 de la variabilité propre aux phénomènes climatiques.82 Ces variations se manifestent à toutes les échelles spatiales et temporelles. Ainsi, sont considérés comme variations climatiques, les changements notés au cours des ères géologiques. Les plus importants de ces changements sont observés au Quaternaire avec la succession des périodes glaciaires et des interglaciaires. Les variations du climat sont dues à des processus naturels internes au système climatique ou à des variations naturelles ou anthropiques d‘origine externe. Le terme variabilité du climat semble plus s‘attacher aux changements naturels du climat selon la définition de l‘OMM. En effet, les deux sens qui lui sont donnés ne mentionnent pas l‘influence humaine. Dans son sens le plus général, la variabilité du climat est une « caractéristique intrinsèque du climat qui se manifeste par des changements climatiques avec le temps ».83 Dans un sens strict, l‘expression « variabilité du climat » désigne les écarts des statistiques du climat d‘une période donnée (un mois, une saison ou une année donnée) par rapport aux statistiques à long terme. Cette variabilité est mesurée par des écarts qu‘on appelle « anomalies ». Celles-ci sont des fluctuations à une échelle de temps importante. L‘inconstance des moyennes se révèle à travers les valeurs trentenaires (les normales) successives. Mais, on parle aussi de variation climatique pour désigner des variations interannuelles courantes ou des changements d‘une décennie à l‘autre. Sur le plan mondial, des efforts ont été déployés depuis les années 1990 pour éliminer, ou tout au moins réduire, les causes de ces changements qui sont imputables aux activités humaines.
L’atténuation
L‘atténuation est l‘ensemble des interventions qui visent à réduire le forçage radiatif dû aux gaz émis par l‘activité humaine. Elle comprend les stratégies de réduction des gaz à effet de serre et le renforcement des puits.84 Dans le cadre de la CCNUCC et du Protocole de Kyoto, les pays pollueurs sont invités à réduire leurs émissions. Les secteurs de l‘énergie, des transports et de l‘industrie sont particulièrement visés. Les Conférences des Parties ont pour 82IPCC, 2007: Climate Change 2007: The Scientific Basis. Contribution of Working Group I to the Third Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Houghton, J.T., et al. (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, p. 944. 83OMM, 1992 : Vocabulaire météorologique international, Genève, OMM, 784 p. 84IPCC, 2007: Climate Change 2007: The Scientific Basis. Contribution of Working Group I to the Third Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Houghton, J.T., et al. (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, p. 878. 48 objectif d‘aboutir à un consensus sur les options de réduction des GES. En réduisant ceux-ci, on aboutirait à une stabilisation ou à une diminution de l‘augmentation des températures, ce qui permettrait de limiter toutes les manifestations des changements climatiques (hausse de température, variation de la pluviométrie, augmentation de la fréquence des phénomènes extrêmes, etc.). Une atténuation réussie permettrait ainsi de réduire la vulnérabilité et de faciliter l‘adaptation aux changements climatiques en réduisant les causes des changements climatiques, c‘est-à-dire les émissions. Le second volet de l‘atténuation consiste à renforcer les puits. L‘atténuation des changements climatiques permet donc de réduire l‘intensité du réchauffement et donc, les impacts négatifs sur les activités socio-économiques, sur les moyens de survie et sur la santé des populations. Cependant, les temps de réaction du système climatique sont longs (à l‘échelle de plusieurs décennies, voire de plusieurs siècles). Aussi faut-il que les communautés et ménages s‘adaptent aux impacts actuels du réchauffement dont les causes remontent à des actions humaines des siècles passés. Pour faire face aux changements climatiques, des mesures plus radicales semblent consister à limiter l‘influence négative des êtres humains sur le réchauffement climatique. Les activités qui participant à l‘augmentation des températures sont celles qui s‘accompagnent d‘émissions de gaz à effet de serre (GES), le CO2 étant indexé comme étant principalement à l‘origine de l‘augmentation des températures, du fait de son accentuation de l‘effet de serre. 1.4.3. – La vulnérabilité Dans la littérature, les définitions de la vulnérabilité sont nombreuses en fonction de la discipline considérée85. C‘est un concept qui se conçoit souvent par rapport à un risque auquel un individu ou un système est exposé, mais aussi par rapport à la capacité de cet individu ou de ce système à y faire face sans changement fondamental. Les définitions vont donc être 85Voir par exemple Cutter, S. L., L. Barnes, M. Berry, C. Burton, E. Evans, E. Tate, et J. Webb. (2008). « A place-based model for understanding community resilience to natural disasters. » Global Environmental Change 18(4): 598-606. HeinzCenter (2002): Human Links to Coastal Disasters. WashingtonD.C.: The H. John Heinz III. Center for Science, Economics and the Environment.National Research Council -NRC (2006). Facing Hazards and Disasters: Understanding Human Dimensions. WashingtonD.C.: The National Academies Press. National Research Council -NRC (2007): Tools and Methods for Estimating Populations at Risk from Natural Disasters and Complex Humanitarian Crises. WashingtonD.C.: The National Academies Press. Tierney, K. J., M. K. Lindell, et R. W. Perry (2001). Facing the Unexpected: Disaster Preparedness and Response in the United States.Washington, D.C.: Joseph Henry Press. 49 influencées par l‘approche dominante de leurs auteurs. Dans la plus part des définitions, l‘accent sera donc mis sur le risque encouru, sur le degré d‘exposition, ou même parfois, sur les politiques et stratégies adoptées pour réduire la vulnérabilité. Ainsi, pour Chambers, R., la vulnérabilité est l‘exposition à une source de stress, et les difficultés éprouvées pour y résister86. Cette conception fait recours à un aspect externe au système (qui est le risque) et à un aspect interne (qui est la difficulté ou l‘absence de capacité). En référence à la résistance des écosystèmes, certains chercheurs vont concevoir la vulnérabilité comme la capacité intrinsèque d‘adaptation d‘un système87 ou la réaction adaptative qu‘il pourrait présenter lorsqu‘il est stimulé88, et la probabilité qu‘il présente d‘être négativement affecté par un événement ou changement. Dans ce cadre, la vulnérabilité peut être physique et sociale89 selon qu‘elle se réfère à l‘exposition des individus et communautés à des impacts ou, plutôt, au degré de l‘exposition occasionnée par ces impacts. Pour Blaikie P. et coauteurs90 la vulnérabilité d‘une personne ou d‘un groupe est liée à sa capacité d‘anticiper, de faire face à, de résister à et de se rétablir de divers risques et chocs. Il existe un lien direct entre le niveau de vulnérabilité et la capacité économique ou sociale de produire, de consommer, de conserver ou de réclamer des droits sur des ressources. C‘est une interprétation de la théorie des droits. Pour Abdou S Fall91 la vulnérabilité se réfère aux risques particuliers d‘exposition des populations, c’est-à-dire la probabilité, pour une personne, de subir une perte significative de bien-être suite à un changement de situation. Au Sénégal, elle peut être induite par la faiblesse des politiques sociales accentuées par les programmes d‘ajustement structurel, les risques 86Chambers, R. (1989), Editorial Introduction: Vulnerability, Coping and Policy. IDS Bulletin, 20: 1–7. doi: 10.1111/j.1759-5436.1989.mp20002001.x. 87Ludwig, D., B. Walker, and C. S. Holling.(1997). Sustainability, stability, and resilience. Conservation Ecology [online]1(1): 7. Available from the Internet. URL: http://www.consecol.org/vol1/iss1/art7/ 88Kelly & Adger (2000): ―Theory and practice in assessing vulnerability to climate change and facilitating adaptation‖ Climatic Change 47: 325–352, 2000. Kluwer Academic Publishers. 89Voir Cutter 1996; Adger 1999; Wisner et al., 2003. 90Blaikie, P., Cannon, T., Davis, I., et al., (1994). At risk: Natural Hazards, People‘s Vulnerability and Disaster, London, New York. 91Pr. Abdou Salam Fall (2007): Vulnérabilités et transformations sociales: les réponses des politiques de protection sociale en Afrique. UCAD/ IFAN. Laboratoire de recherche de la Paupérisation et des Transformations Sociales (2007). 50 naturels, les risques sur le capital humain, les risques sur les cycles de vie, les risques sociaux et économiques et les risques politiques. Watts et Bohle92 ont, quant à eux, défini la vulnérabilité comme un espace social multiniveaux et multidimensionnel délimité par les capacités politiques, économiques et institutionnelles des individus dans le temps et dans l‘espace. Anderson et Woodrow (1991)93 précisent que les individus seraient donc plus ou moins vulnérables en fonction de leur résistance et capacité à protéger leurs moyens d‘existence. Pour Sophie Rousseau94, analyser la vulnérabilité revient d‘abord à identifier la menace ou le risque auquel est soumis un ménage ou individu et sa capacité de réaction, c‘est-à-dire l‘ensemble des moyens dont il dispose pour tirer profit des possibilités disponibles pour résister aux conséquences adverses du changement. Un ménage, un individu ou une communauté est vulnérable si leur capacité à s‘ajuster pour maintenir leur bien-être social et économique s‘affaiblit face à un événement externe défavorable. Cette capacité est fonction des ressources disponibles avant l‘événement en cause et de leur aptitude à accéder à ces ressources et à les transformer en revenu ou autres consommables. Elle reprend donc Amartya Sen qui parle de capabilités, c‘est-à-dire un ensemble de possibilités ou de privilèges, d‘actions ou d‘états, à la disposition ou à la portée d‘un individu en cas de stress. C‘est sa capabilité à fonctionner ou à combiner ces possibilités pour avoir une existence acceptable et accomplir des choses, sa liberté de choisir entre des modes de vie possibles95 . Dans ce sens, Lachaud J. P.96 a démontré qu‘au Burkina Faso par exemple, « la distinction entre la pauvreté durable et transitoire complexifie encore plus l‘appréhension de la dynamique de privation. Ainsi, au Burkina Faso, l‘hypothèse de la stabilité de la pauvreté 92Watts MJ, Bohle HG (1993) The space of vulnerability: the causal structure of hunger and famine. Programme Human Geography 17:43–67. 93Anderson MB, Woodrow PJ (1991) Reducing vulnerability to drought and famine: developmental approaches to relief. Disasters 15:43–54. 94S. Rousseau (2003): « Capabilités, risque, et vulnérabilité » ; Université de Versailles-Saint-Quentin-enYvelines (UVSQ). 95Dubois JL, Rousseau S, 2001, Reinforcing Household‘s Capabilities as a Way to Reduce Vulnerability and Prevent Poverty in Equitable Terms, Justice and Poverty : Examining Sen‘s Capability Approach, Cambridge, 5- 7 June 2001. 96Jean-Pierre Lachaud, 2003: Dynamique de pauvreté, inégalité et urbanisation au Burkina Faso ; Groupe d’Economie du Développement ; Université Montesquieu Bordeaux IV, 2003. 51 globale au cours des années 1990 est amendée par plusieurs éléments, parmi lesquels une progression de la proportion des ménages très vulnérables, une montée de la pauvreté durable et une augmentation de la part de certains ménages non pauvres fortement exposés au risque de pauvreté à court terme ». Si donc la vulnérabilité est la mesure de la capacité d‘un système à faire face aux effets défavorables des changements climatiques ; et qu‘elle est fonction de la nature, de l‘ampleur et de l‘intensité du changement climatique auquel le système est exposé, elle dépend aussi de la sensibilité du système et de sa capacité de s‘ajuster97. La pauvreté et l‘ignorance deviennent alors facteurs de vulnérabilité. C‘est pour réduire ces facteurs et augmenter le potentiel de mieux résister aux effets des changements climatiques que les autorités et les populations mettent en œuvre des actions qui vont dans le sens d‘une protection des activités et de la santé humaines d‘une part, et d‘autre part d‘une augmentation de la capacité à retrouver un niveau de vie habituel, après l‘occurrence d‘un choc imputable aux changements climatiques. Ces actions et mesures sont désignées sous le vocable d‘adaptation.
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