VULNERABILITÉ ET ADAPTABILITÉ DES SYSTÈMES AGRAIRES A LA VARIABILITÉ CLIMATIQUE
La population de la Basse-Casamance : diversité intra et interethnique
Les données fournies par les différents recensements officiels réalisés au Sénégal de 1976 à 2013, permettent de retracer l’évolution de la population en Basse-Casamance et de dégager ses caractéristiques générales. Les statistiques du dernier recensement de la population sénégalaise de décembre 2013 accordent à la Basse-Casamance (région de Ziguinchor) un effectif de 549 151 habitants sur un total de 13 508 715 habitants pour la population du Sénégal soit, 4,06% (ANSD, 2014). Au regard des différents recensements de la population sénégalaise et des estimations qui en sont issues, la population de la Basse-Casamance, en majorité diola et rurale, est en constante augmentation. 45 Il existe plusieurs sous-groupes diola en Basse-Casamance, identifiables en fonction de leur implantation géographique et de leurs langues. C’est à partir de ces différents sous-groupes, de leur position géographique et des influences des ethnies voisines que sont déterminés les soussystèmes agraires de Basse-Casamance, fondamentalement axés sur les instruments de labour et les techniques agricoles en œuvre dans chacune des entités géographiques du peuplement diola. En dehors des Diola, la Basse-Casamance comprend d’autres groupes ethniques qu’il convient d’analyser ici afin de mieux appréhender la dynamique de la vie rurale et son organisation spatiale. 2.1 : Diversité intra-ethnique et distribution spatiale des Diola en Basse-Casamance Les travaux de Thomas (1959, 1960a, 1960b, 1963, 1964 et 1965), Pélissier (1966), Linares (1971, 1981, 1985, 1992), Cormier-Salem (1992) et Barbier-Wiesser (1994) ont permis de mieux connaître l’organisation de la société traditionnelle diola. Les Diola constituent en BasseCasamance un bloc relativement homogène mais fractionné en plusieurs sous-groupes, divers par leur langue, leur culture et leur organisation sociale et économique. En marge des grands mouvements de peuplement dans tout l’espace ouest-africain, plusieurs études (Berenger-Feraud, 1874 ; Maclaud, 1907a et 1907b ; Pélissier, 1958 et 1966 ; Thomas, 1960b ; Linares, 1971 ; Roche, 1985 ; Cormier-Salem, 1992 et 1999) ont montré les déplacements de petits groupes diola, sur de courtes distances, qui ont donné naissance à un habitat émietté. Ce qui a permis d’assurer une occupation plus systématique des zones rizicultivables sur toute l’étendue de la Basse-Casamance où l’on observe un peuplement diola très morcelé au sein d’un espace compris entre la Gambie au nord et la Guinée-Bissau au sud. Dans leurs études, Berenger-Ferraud (1874), Maclaud (1907), Thomas (1959) et Pélissier (1966) recensaient une multitude de peuplades et une diversité de sous-groupes diola : Flup, Bayot, Bandial, Blis-Karone, Buluf, Fogny, Kalounayes. Ce « fractionnement sociogéographique et dialectal » a fait dire à Pélissier (1966) qu’il y a autant de « dialectes » que de gros villages en Basse-Casamance. Cette différenciation linguistique suppose une évolution sur des pas de temps long et s’explique moins par l’isolement géographique, très relatif des communautés diola, que par leur émiettement politique et leur organisation socio-économique qui trouvent leurs fondements dans la riziculture de mangrove et de bas-fonds (Cormier-Salem, 1992 et 1999). L’analyse de l’occupation humaine progressive de la Basse-Casamance et la détermination des différentes zones de peuplement sont ici fonction de l’ancienneté de l’implantation diola et de l’importance des influences extérieures. Cette analyse de la répartition des sous-groupes diola repose sur la survivance des liens de tous ordres entre villages, plus particulièrement des liens cultuels. L’implantation humaine sur l’espace de Basse-Casamance a évolué, selon plusieurs 46 auteurs (Pélissier, 1958 et 1966 ; Thomas, 1959 ; Linares, 1971 ; Cormier-Salem, 1992 ; Marzouk-Schmitz, 1993), de la manière suivante : – la première zone d’occupation diola se trouve sur la rive sud. Les Diola y forment un bloc plus homogène, constitué des terroirs d’origine de la plupart des communautés diola. Les traditions y sont mieux conservées qu’ailleurs, la population y est en majorité fétichiste et la riziculture omniprésente. Cette zone, située entre la rive méridionale du fleuve Casamance et le Rio Cacheu, est celle où l’implantation diola est la plus ancienne. Il s’agit du pays Flup et de la zone de Kamobeul-Séléky considérés comme le berceau des Diola ; – à l’ouest de Ziguinchor et vers Nyassia, nous retrouvons un groupe diola assez original dont l’implantation semble être l’une des plus anciennes. C’est dans cette zone et dans les environs d’Oussouye que nous rencontrons actuellement les pratiques et coutumes traditionnelles les plus authentiques en pays diola. Les populations de ces zones sont encore très attachées aux lieux cultuels (bois sacrés) c’est-à-dire là où sont implantés les boekin, ce qui permet de faire l’hypothèse que ces zones font partie des points de départ des migrations diola vers d’autres zones de la Basse-Casamance à la recherche de terres agricoles plus fertiles ; – plusieurs études (Thomas, 1959 ; Pélissier, 1966 ; Roche 1985 et 2016 ; Cormier-Salem, 1992) ont souligné que les Diola de la rive nord du fleuve Casamance proviennent de la rive méridionale. En Basse-Casamance septentrionale, les premiers établissements diola se situeraient dans les Djougout (fig. 3) c’est-à-dire l’actuelle zone du Buluf. Les populations de cette zone gardent encore en mémoire leur origine méridionale à travers les liens de parenté qui existent entre certains villages de la rive gauche de la Casamance et ceux de la rive droite. Ces liens de parenté se révèlent souvent à travers la toponymie. A ce titre, Pélissier (1966) fait la relation entre le village de Mlomp du département d’Oussouye et celui du même nom situé dans le Buluf au nord de la Basse-Casamance. Dans le même registre, les habitants du village de Thionck-Essyl ont gardé la mémoire des premiers fondateurs de cette localité venus d’Essyl, localité située sur la rive sud du fleuve. Les habitants de Thionck-Essyl continuent, dans certaines circonstances, à rendre hommage au chef des boekin d’Essyl et à y faire des sacrifices dans les autels et ceci malgré leur islamisation poussée. Le long de la zone côtière, particulièrement dans la zone des Blis-Karone et Niomoune, on retrouve aussi un peuplement aux pratiques culturelles et cultuelles similaires à celles du pays flup. Cette ressemblance des coutumes semblent également témoigner de l’origine de la population qui serait venue directement de la rive méridionale de la Casamance, comme pourrait le démontrer leur plus grande fidélité aux traditions et aux coutumes flup (Pélissier, 1966) ; – le développement du peuplement diola en Basse-Casamance septentrionale à partir des Djougout (actuelle zone du Boulouf) reste tributaire de la riziculture. En effet, la progression s’est 47 faite le long des terres basses comme les marigots de Bignona et de Baïla, à la recherche de meilleures terres rizicoles. Il s’est ensuivie une occupation progressive de toutes les dépressions rizicultivables et ce, jusqu’aux confins de la frontière gambienne au nord et du marigot Soungrougrou à l’est. L’amenuisement progressif des terres basses inondables vers l’est, en plus de la pression démographique, a contraint les Diola, par la suite, à prendre la direction du sudest pour s’installer sur la rive droite du Soungrougrou en contournant la grande forêt des Kalounayes. Pélissier (1966) et Roche (1985) mentionnent que c’est vers la fin du XIXème et au début du XXème siècle, que les Diola vont traverser le Soungrougrou où on retrouve actuellement des villages diola à l’image de Niassène diola et Kamoya. Leur progression vers l’est n’a été stoppée que par les Manding et l’amenuisement progressif des terres rizicultivables. Cette progression de l’implantation humaine a donné lieu au peuplement de l’actuel Fogny et Kalounayes, frontalières avec la Gambie au nord et la Moyenne Casamance à l’est peuplées en majorité par les Manding dont l’influence sur les outils agricoles est encore pesante dans ces zones de Basse-Casamance. Les travaux de Thomas (1959, 1960, 1963, 1964 et 1965) et de Pélissier (1958, 1966) basés sur des critères objectifs, tels que les langues, les religions, les instruments aratoires, les systèmes de cultures et la division sociale du travail, ont permis de mieux comprendre les particularités culturelles des Diola de Basse-Casamance. Ces auteurs ont pu proposer un regroupement de la diversité culturelle observée en trois types de sociétés reconnus jusqu’à ce jour, avec de notables apports de la part d’auteurs comme Linares (1981 et 1985), Snyder (1973 et 1981), Marzouk (1981 et 1984), Thieba (1985), Cormier-Salem (1992 et 1999). De ces différentes études, on retiendra la synthèse suivante en matière de régionalisation des principaux foyers de peuplement diola en Basse-Casamance : les Diola de la rive sud du fleuve Casamance, installés dans la région la plus humide et d’accès plus difficile à cause des rias et forêts, sont considérés comme la plus ancienne implantation de cette société au Sénégal. Dépositaires des anciennes religions à autel et de statuts égalitaires au sein des classes âge ou des catégories de genre, ils sont les détenteurs d’une riziculture manuelle et d’origine proprement africaine. Le second type de société regroupe les implantations diola installées à l’ouest de la rive nord du fleuve Casamance. Elles résulteraient d’une expansion des Diola venus de la rive sud. Cette société présente la même organisation sociale du travail mais a adopté l’Islam et l’arachide comme culture de rente coloniale, puis nationale. Enfin, le troisième groupe est constitué par les Diola d’influence mandingue implantés sur la rive droite, notamment vers la frontière gambienne et dans les marges du Soungrougrou. Ces sous-groupes diola se différencient par leurs langues, et par quelques nuances dans les régimes fonciers, mais ils se caractérisent tous par un système social sans structure politique qui 48 laisse une large place à l’initiative individuelle, et où la femme joue un rôle très important dans la production et la consommation au sein du ménage (Bonnefond et Loquay, 1985). Cette expansion spatiale, liée à la croissance démographique et à l’amélioration des techniques de production, entraînerait une augmentation des disponibilités alimentaires et l’assimilation de populations minoritaires, notamment Baïnounk, considérés comme les premiers occupants d’une partie de la Basse-Casamance. Cette analyse éclaire l’évolution récente de l’implantation humaine et l’actuelle répartition des sous-groupes diola en Basse-Casamance. C’est sur la base des différents peuplements diola que les premières subdivisions administratives de la BasseCasamance en cantons ont été réalisées par les colons français (fig. 3). Cette différenciation sociogéographique à l’intérieur du groupe diola a fondamentalement et profondément joué sur les techniques de culture et les systèmes de production actuellement observés en BasseCasamance. Elle justifie, selon Pélissier (1966), le fait que le terroir type diola associe un domaine de rizières dans les zones inondables et un domaine de cultures sèches sur les basplateaux défrichés. Ce terroir, situé au contact de ces deux domaines, est constitué de vastes concessions, entourées chacune de petits champs, enclos cultivés (manioc, maïs, patate…) et comprenant des peuplements de palmiers, des caïlcédrats ou des fromagers
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