Voiture personnelle ou modes alternatifs Prédire de potentiels transferts modaux
Comme nous l’avons vu précédemment la mobilité des ménages français est caractérisée par la prépondérance automobile. Cependant, celle-ci est aujourd’hui remise en question. Ainsi, les transports en commun sont de plus en plus plébiscités en milieu urbain et de nouveaux comportements d’usage automobile émergent, notamment dans le but de mutualiser les coûts à l’usage (covoiturage) ou à l’achat (autopartage). Dans un contexte où les voitures particulières (principalement utilisées par les ménages) représentent plus de la moitié des consommations routières de carburants et sont responsables de plus de la moitié des émissions de dioxyde de carbone du secteur des transports, la voiture partagée (covoiturage, autopartage) apparaît comme un exemple d’application du business model de l’économie de la fonctionnalité et permettrait de réaliser des économies d’énergie si elle venait en remplacement d’une possession automobile (comme nous l’avons démontré dans le chapitre 2). En outre, l’usage des transports en commun permet de diminuer les consommations d’énergie par tête. Il convient donc de s’interroger sur les déterminants des choix modaux des ménages français pour leurs déplacements locaux quotidiens, notamment l’importance de la voiture, pour prédire de potentiels transferts modaux de la voiture personnelle vers les modes alternatifs (transports en commun, deux roues ou encore voiture partagée). A partir de données d’enquête (OMA, BIPE, novembre 2010), nous nous basons sur les variables les plus discriminantes des différents profils de mobilité mis en évidence dans le chapitre précédent afin d’estimer un modèle logit multinomial expliquant les choix modaux des ménages français. Ces derniers sont également déterminés par leurs caractéristiques propres (coûts et temps de transport par exemple) prises en compte dans un modèle logit conditionnel. A partir des modèles estimés, nous proposons des prévisions des parts modales à horizon 2020 et leurs appliquons des intervalles de confiance déterminés à partir d’une méthode de bootstrap. Dans ce chapitre, nous présenterons une brève revue de la littérature sur les choix modaux des ménages et leurs déterminants. Puis nous décrirons la méthode ainsi que les données utilisées. Les résultats d’estimation des modèles seront ensuite présentés avant la quatrième section dédiée aux prévisions des parts modales des ménages français à horizon 2020 et aux éventuels transferts modaux. Enfin, les résultats d’estimation des modèles et de prévisions seront discutés.
Modèles empirique et théorie des choix discrets
Nous nous situons dans un cas où chaque individu i (i=1,…,n) a le choix y entre six alternatives : voiture personnelle (personnelle/d’entreprise), voiture partagée (louée/de quelqu’un d’autre), 2-3 roues motorisé, vélo, marche, transport en commun, d’où j=0,…,m et m+1=6. Nous cherchons donc à étudier la décision unique d’un individu parmi ces six alternatives non ordonnées. Dans la théorie microéconomique classique du consommateur, les individus sont censés maximiser leur utilité U, représentant leurs préférences, en achetant une quantité q de biens optimale compte tenu de leur contrainte budgétaire pq=R (où p correspond au prix des biens et R au revenu des individus). La méthode de maximisation de l’utilité sous contrainte budgétaire ne peut être appliquée au cas du choix modal dans la mesure où les individus n’arbitrent pas sur des quantités de biens mais entre des options possibles. Les modèles de choix discrets peuvent alors être appliqués afin de modéliser des comportements de choix parmi un ensemble discret de choix possibles. Dans le cas du choix modal, l’individu i compare donc les différents niveaux d’utilité associés aux différents choix et opte pour celui qui maximise son utilité parmi les j=1,…,6 choix. Pour l’individu i, l’utilité du choix j est : Uij = f(β Xij) + εij (1) Où β est un vecteur de paramètres inconnus, Xij un vecteur de caractéristiques individuelles ou de caractéristiques propres aux différents choix et εij un terme d’erreur aléatoire. La théorie microéconomique du choix du consommateur fait l’hypothèse que les individus sont rationnels, disposent d’une information parfaite, font partie d’une population homogène, que l’ensemble des choix offerts est exhaustif et fini, et que les modalités sont mutuellement exclusives. Autrement dit, chaque individu ne peut choisir qu’une et une seule modalité. Ainsi, l’individu maximise son utilité et la probabilité que l’individu i choisisse le mode j correspond donc à la probabilité que l’utilité de j soit supérieure à celle associée à tous les autres modes. Par exemple, pour j=0 : Prob(yi=0)=Prob (Ui0 > Ui1, Ui0 > Ui2,… Ui0 > Uim ) .
Modèle logit multinomial
Les modèles logit multinomiaux sont des modèles de choix probabilistes dont l’utilisation essentielle est de rendre compte de choix individuels en présence d’utilité stochastique. Ces modèles à choix discrets postulent donc que la probabilité qu’un individu choisisse une option est fonction de ses caractéristiques individuelles, ainsi que des caractéristiques des choix offerts. Introduit à la fin des années 60 par McFadden (1968) et Theil (1969), le terme de modèle logistique multinomial est dû à Nerlove et Press (1973). Ce modèle multinomial a été développé à la suite des premiers modèles binaires (deux choix : occurrence ou non d’un évènement) développés en biologie, sociologie ou psychologie. Il a été utilisé pour de multiples applications et notamment au cas du choix d’une profession (Boskin, 1974 ; Schmidt et Strauss, 1975) ou de la participation au marché du travail (Killingsworth et Heckman, 1986 ; Pencavel, 1986 ; Rodgers, 1989). Il a également largement été appliqué aux choix modaux. Il existe trois types de modèles multinomiaux en fonction de la variable à expliquer : – ordonnés : les valeurs prises par les variables multinomiales sont ordonnées, – séquentiels : les choix sont effectués selon une séquence bien précise, le plus souvent dans le temps, et dont les réalisations successives conditionnent l’ensemble des modalités futures, – non ordonnés : les valeurs prises par les variables ne sont pas ordonnées. De même, on distingue les modèles multinomiaux selon la distribution du terme d’erreur qui peut être logistique (modèle logit) ou normale (modèle probit). Les deux méthodes donnent des résultats similaires mais la première est plus souvent utilisée dans la mesure où l’estimation du modèle probit est très complexe. C’est la raison pour laquelle nous ne présentons ici que les modèles logit sous leurs différentes formes. Dans le cas étudié, il s’agit d’un modèle non ordonné et l’on distingue le modèle logit multinomial indépendant (ou logit multinomial) et le modèle logit conditionnel. La distinction repose essentiellement sur la nature des variables retenues : des caractéristiques propres aux individus dans le premier cas et des caractéristiques des différentes options possibles dans le second.