Violence dans les relations amoureuses selon la période développementale
Bien qu’elle constitue une problématique importante au plan social, la violence au sein des relations amoureuses est souvent opérationnalisée de la même façon chez les adolescents et chez les adultes. Dans une perspective développementale, la différence au niveau des sexes peut être moins claire chez les adolescents qu’elle l’est par rapport à la violence conjugale chez les adultes. Plusieurs études visant à mesurer à la fois les comportements de victimisation et de perpétration chez les adolescents ont découvert des profils de violence mutuelle, c’est-à-dire que les deux partenaires font subir et subissent de la violence (Riberdy & Tourigny, 2009; Tilley & Brackley, 2005; Traoré, Riberdy & Pica, 2013). Cette dynamique particulière au sein des jeunes couples n’est toutefois pas encore bien comprise (Shorey, Cornelius & Bell, 2008). D’ailleurs, plusieurs études ont démontré la présence de caractéristiques communes tant chez les victimes que chez les agresseurs. Parmi celles-ci, on retrouve une propension à se blâmer, une mauvaise gestion de la colère et des difficultés dans la régulation affective (Jackson, Cram & Seymour, 2000 ; Smith & Donnelly, 2001; Truman-Schram, Cann, Calhoun & Vanwallendael, 2000).
De même, les adolescents ayant déjà manifesté ou subi des comportements de violence au sein de leurs relations amoureuses précédentes seraient plus à risque d’être impliqués dans une relation amoureuse caractérisée par de la violence (Gomez, 2011; Graves, Sechrist, White & Paradise, 2005). Par ailleurs, la nature des relations amoureuses, ainsi que les enjeux qui y sont reliés, diffèrent selon le stade de la vie et ne peuvent donc pas être interprétés de la même manière (Wolfe et al., 2001). Par exemple, le manque d’expérience relationnelle des adolescents peut faire en sorte qu’il peut leur être difficile de détecter les indicateurs d’une relation abusive). Ainsi, ils peuvent avoir tendance à rejeter l’idée que ce qu’ils vivent au sein de leur relation est inacceptable (Lavoie & Vézina, 2002). Ils pourraient même percevoir les comportements coercitifs et violents physiquement comme des manifestations d’amour et avoir tendance à ne pas en tenir compte ou à les minimiser (Glowacz & Courtain, 2017). La gêne, la déception, la peur des représailles, ou encore la croyance que certains gestes sont trop banals pour être dénoncés, ont été répertoriées comme certains des facteurs qui viendraient expliquer pourquoi certaines victimes choisissent effectivement de garder le silence (Fernet, 2000).
Conséquences de la violence
Quel que soit le sexe ou l’âge de l’adolescent subissant de la violence au sein de la relation amoureuse, les conséquences potentiellement néfastes associées sont multiples. On souligne entre autres la présence de pensées suicidaires (Lavoie et Vézina, 2002), une diminution de la santé physique et mentale ainsi qu’un sentiment moindre de satisfaction envers la vie chez les adolescents qui en sont victimes (Ackard & Neumark-Sztainer, 2002; Coker et al.,2000). Une étude de Lavoie et Vézina (2002) indique que les victimes de VRA ont une prévalence plus élevée de troubles mentaux comme l’état de stress post-traumatique, l’anxiété, la dépression et les troubles des conduites alimentaires. On retrouverait également un plus grand risque de blessures physiques, une diminution de l’estime de soi, ainsi que de l’absentéisme scolaire chez les victimes de violence amoureuse (O’Leary & Cascardi, 1998; Sugarman & Hotaling, 1989). De plus, celles-ci seraient plus à risque d’avoir des problèmes de toxicomanie (Lavoie et Vézina, 2002) et d’abus d’alcool (Exner-Cortens et al., 2013; Traoré et al., 2013) et de présenter un trouble de comportement ou des conduites antisociales (Flores, Hamel, Lavoie & Rondeau, 2005; Lavoie & Vézina, 2002). Il est toutefois important de souligner que la majorité des études réalisées sont transversales, et qu’il est donc difficile de statuer si les corrélats identifiés sont des conséquences de la VRA ou plutôt des facteurs de risque. Parmi ces corrélats, l’estime de soi et la détresse psychologique seront étudiées dans le cadre de la présente étude.
L’estime de soi L’estime de soi, que nous évaluons au sens global, se définit comme l’attitude positive ou négative que l’individu entretient à l’égard de soi, dans sa totalité, qui serait associée au niveau de bien-être psychologique général (Rosenberg, Schooler & Schoenbach, 1995). L’adolescence est une période cruciale en ce qui concerne le développement et la solidification de l’estime de soi (Duclos, Laporte & Ross, 2002; Schraml, Perski, Grossi & Simonsson-Sarnecki, 2011). En effet, l’estime de soi joue un rôle dans plusieurs expériences vécues lors de l’adolescence, en favorisant la manière de s’adapter socialement et de faire face aux stresseurs quotidiens avec plus d’aisance (Baumeister, Campbell, Krueger & Vohs, 2003; Killeen & Forehand, 1998). Le fait d’avoir un niveau élevé d’estime de soi est d’ailleurs considéré comme un facteur de protection pour la santé mentale (Branden, 2001). D’ailleurs, les adolescents souffrant de troubles mentaux rapportent souvent une estime de soi plus faible que chez les adolescents qui n’en souffrent pas (Guillon & Crocq, 2004; Guillon, Crocq & Bailey, 2003). De plus, l’estime de soi aurait été identifiée en tant que variable importante dans la VRA, bien que son effet diffère selon le sexe. Ainsi, les adolescents qui présentent un niveau élevé d’estime de soi sont moins susceptibles d’infliger de la violence à leur partenaire (Lavoie & Vézina, 2002; Pica et al., 2013) alors qu’un déficit d’estime personnelle pourrait amener les filles à demeurer dans une relation où règne la violence (Lavoie & Vézina, 2002).
Modèle médiateur La figure 1 présente les résultats des analyses acheminatoires (modèle médiateur multivarié). D’abord, les résultats indiquent que la victimisation et la perpétration de VRA sont significativement associées avec une moindre capacité de présence attentive. Par la suite, la faible capacité de présence attentive est associée à un plus faible niveau d’estime de soi ainsi qu’un plus haut niveau de détresse psychologique. La victimisation et la perpétration de VRA n’exercent pas d’effet direct sur les variables relatives à l’ajustement psychologique. Tel qu’attendu, les analyses effectuées afin de déterminer les effets indirects révèlent que le coefficient produit pour le lien permettant de relier la victimisation à l’estime de soi, en passant par la présence attentive, est significatif (Estimate = -1.639, 95% Bootstrap IC = -3,083 – -0,195). De plus, le lien indirect qui existe entre la victimisation et la détresse psychologique, qui passe par la présence attentive est également significatif (Estimate = 2,914, 95% Bootstrap IC = 1,254 – 4,573).
Toutefois, le lien indirect existant entre la perpétration de VRA et l’ajustement psychosocial, en passant par la présence attentive, n’est significatif que pour la détresse psychologique (Estimate = -3,190, 95% Bootstrap IC = -5,727 – -0,652). En effet, l’effet indirect quant à l’estime de soi est marginalement significatif (p = 0,052). covariance entre l’estime de soi et la détresse psychologique est significative, de même qu’entre la perpétration et la victimisation de VRA. L’âge n’est pas relié aux différentes variables du modèle alors que le sexe est relié à la présence attentive, la détresse psychologique et l’estime de soi, en faveur des garçons qui présentent une meilleure capacité de présence attentive, un niveau de détresse psychologique plus faible ainsi qu’une estime de soi plus élevée que les filles. Dans l’ensemble, le modèle permet d’expliquer 11,3% de la variance relative à l’estime de soi et 46,6% de la variance relative à la détresse psychologique. En somme, ces résultats soutiennent l’effet médiateur de la présence attentive entre la victimisation et l’estime de soi, entre la victimisation et la détresse psychologique ainsi qu’entre la perpétration et la détresse psychologique. Ils ne permettent cependant pas de confirmer l’hypothèse reliée au rôle médiateur de la présence attentive au sein de la relation entre la perpétration et l’estime de soi.
Rôle médiateur de la présence attentive
D’abord, le fait d’avoir déjà subi de la VRA est associé à une faible capacité de présence attentive. Ensuite, la présente étude permet d’établir que la capacité de présence attentive est associée positivement à l’estime de soi et négativement à la détresse psychologique. Enfin, les analyses de médiation révèlent des liens indirects significatifs, révélant l’effet médiateur de la présence attentive. Ainsi, être victime de VRA conduirait à moins de capacité de présence attentive, ce qui en retour amènerait à plus de détresse psychologique et à moins d’estime de soi. En d’autres termes, une partie de l’influence de la VRA sur l’ajustement psychologique (détresse et estime de soi) passe par la capacité de présence attentive. Dans l’ensemble, ces résultats convergent avec ceux d’études précédentes conduites auprès d’adultes ou d’adolescents exposés à une agression sexuelle ou à des traumas cumulatifs. Celles-ci indiquent que les expériences de victimisation conduisent à des difficultés d’ajustement psychologique qui peuvent être variables, selon les capacités de présence attentive de la personne (Bolduc, Bigras, Godbout, Hébert & Daspe, 2014; Daigneault et al., 2016; Rosenthal, Hall, Palm, Batten & Follette, 2005).
Bien que les analyses de corrélations aient révélé que la perpétration de VRA n’était pas associée à une faible capacité de présence attentive, les résultats du modèle de médiation révèlent un lien significatif entre ces deux variables. Ceci s’explique en partie par la forte corrélation entre la victimisation et la perpétration de comportements violents (voir section plus loin), qui n’était pas prise en compte dans les analyses corrélationnelles. Le fait d’avoir des comportements de violence envers leur partenaire amoureux serait associé à des capacités de présence attentive moindres, ce qui en retour serait relié à plus de détresse psychologique (et possiblement à une plus faible estime de soi, en lien avec la tendance observée). Bien qu’aucune étude à notre connaissance n’ait porté sur ces liens à l’adolescence, la perpétration de comportements violents pourrait entraîner des sentiments de honte ou de culpabilité et des difficultés relationnelles et ainsi générer davantage de détresse psychologique. Il est également possible que les adolescents qui adoptent des comportements de VRA aient au départ un déficit de présence attentive, ce qui n’a pu être examiné dans le cadre de la présente étude en raison du devis transversal.
Enfin, le fait que la présence attentive soit positivement associée à un meilleur ajustement psychologique concorde avec les résultats de plusieurs études affirmant que qu’elle contribue à divers facteurs reliés à la santé psychologique tels que le bien-être psychologique et l’estime de soi (Brown & Ryan, 2003; Keng, Smoski & Robins, 2011; Rasmussen & Pidgeon, 2011; Thompson & Waltz, 2010). En ce sens, augmenter les capacités de présence attentive pourrait permettre aux adolescents victimes de VRA de réduire leur détresse psychologique et augmenter leur estime de soi. D’ailleurs, plusieurs études révèlent des effets positifs de la pratique de la présence attentive (p. ex., lors de méditation) sur la santé psychologique (p. ex., Goyal et al., 2014). Les adolescents ayant une meilleure capacité de présence attentive seraient davantage en mesure de prendre du recul sur de potentielles pensées négatives à propos de soi (Brown & Ryan, 2003; Michalak et al., 2011; Thompson & Waltz, 2010).
Résumé |