Vieillissement, activité physique et apprentissage
moteur
Vieillissement et contrôle moteur
L’exécution d’un mouvement volontaire nécessite la coordination de plusieurs contractions musculaires afin que le mouvement réalisé corresponde au mouvement désiré et soit adapté à la situation environnementale dans laquelle il s’effectue. Le contrôle moteur fait référence aux processus responsables de la préparation, de l’organisation et de l’exécution de ce mouvement et renvoie à l’organisation coordonnée des fonctions sensori-motrices de l’individu. L’étude du déclin, avec l’âge, des structures et des fonctions sensori-motrices a donné lieu à une grande quantité de travaux. Dans ce domaine, un consensus très général se dégage admettant que ces dégradations se traduisent par une augmentation du temps d’initiation du mouvement ou Temps de Réaction (TR) ainsi qu’un allongement du temps d’exécution ou Temps de Mouvement (TM). Ainsi, un des résultats les plus répliqués dans le cadre de la psychologie expérimentale est que la latence des réponses à un stimulus devient plus longue et plus variable avec l’avancée en âge. Ce phénomène général de ralentissement des réponses est considéré par certains comme étant le reflet d’un ralentissement dans la vitesse de traitement de l’information, conséquence du vieillissement du système nerveux central (SNC) (Cerella, 1985 ; Cerella & Hale, 1994 ; Light, 1990 ; Salthouse, 1991 ; 1996 ; Spirduso, 1980 ; 1995). Nous verrons tout d’abord qu’une première catégorie de travaux, menée dans le cadre de la chronométrie mentale, s’est principalement intéressée à quantifier le temps requis pour sélectionner et programmer la réponse appropriée, ainsi que le temps nécessaire à son exécution. Dans une deuxième partie, nous aborderons une deuxième catégorie de travaux qui s’est intéressée quant à elle à l’analyse cinématique et cinétique du mouvement pour en expliquer les changements au cours du vieillissement.
Les travaux issus de la chronométrie mentale
Dans le cadre de l’approche cognitive du contrôle du mouvement et de la théorie du traitement de l’information, le contrôle moteur a été analysé d’une part, à travers le temps nécessaire pour préparer et initier le mouvement voulu, mesuré par le TR et, d’autre part, à travers le temps nécessaire pour exécuter ce mouvement, mesuré par le TM.
Vieillissement et Temps de Réaction
La majorité des travaux ayant porté sur les processus de génération du mouvement a été menée à partir des paradigmes de TR simple ou de choix. Le TR est le temps nécessaire pour déclencher un mouvement en réponse à la présentation d’un stimulus. C’est une mesure communément utilisée pour estimer la quantité de temps nécessaire pour détecter un stimulus, sélectionner et programmer la réponse appropriée. Lorsqu’une réponse prédéterminée est requise suite à un stimulus prédéterminé, nous parlons de TR simple ; alors que lorsqu’une ou plusieurs réponses sont possibles pour plusieurs stimuli, nous parlons de TR de choix. Les tâches utilisées pour évaluer les TR de sujets jeunes et âgés sont multiples et ont concerné principalement des mouvements d’appui sur un ou des boutons (Baron & Menich, 1985 ; Era, Jokela & Heikkinen, 1986 ; Gottsdanker, 1980 ; 1982 ; Inui, 1997 ; Light & Spirduso, 1990 ; Rubichi, Neri & Nicoletti, 1999 ; Salthouse & Somberg, 1982b), des mouvements de pointages sur différentes cibles , ou encore des réponses pédestres ou vocales . Bien que l’amplitude des différences entre jeunes et âgés varie en fonction des études, tous les résultats indiquent que le TR s’allonge et devient plus variable au cours du vieillissement. En fonction des conditions expérimentales, le TR des personnes âgées serait de l’ordre de 25 à 60% plus long que celui d’adultes jeunes (Ketcham & Stelmach, 2001). L’étude longitudinale de Baltimore par exemple (Fozard, Vercruyssen, Reynolds et al., 1994) a testé et suivi 1265 sujets âgés de 20 à 90 ans sur une période de 2 ans. Cette étude a révélé que le TR simple des participants augmentait de 0,5 milliseconde (ms) par an, alors que le TR de choix augmentait de 1,6 ms par an, reflétant un ralentissement avec l’avancée en âge de la vitesse de traitement de l’information, et ce d’autant plus que la quantité d’information à traiter augmente. Pour ces auteurs, le ralentissement de la réponse au cours du vieillissement est directement lié à la complexité de la tâche. Depuis les travaux de Hick (1952) et de Hyman (1953), nous savons que la durée du TR est fonction du nombre de choix possibles ou de la probabilité d’apparition d’un stimulus. Cette relation a été formalisée mathématiquement par la loi dite de Hick (également appelée loi de Hick-Hyman) et est décrite par l’équation (1) : TR = a + b [log2 (N)] (1) où a et b sont des constantes empiriques et représentent respectivement l’ordonnée à l’origine et la pente de la droite de régression liant le TR et le log2 de N, et N représente le nombre de choix possibles. Cette relation est interprétée en terme de quantité d’information à traiter à l’apparition d’un stimulus. La quantité d’information (H) nous est donnée par une simple équation : H = log2 (1/pi) (2) où p est la probabilité qu’un événement donné i apparaisse. Cette loi, développée dans le cadre de la théorie de l’information de Shannon et Weaver, indique donc que le TR est directement fonction de la quantité d’information (ou d’incertitude) présente dans l’environnement. Hick (1952) et Hyman (1953) ont expérimentalement montré que le TR est d’autant plus long que le nombre de stimuli possibles est grand ou que la probabilité d’apparition d’un stimulus particulier parmi deux ou plusieurs est faible. Il apparaîtrait donc que le TR des personnes âgées est plus affecté que celui des adultes jeunes par la manipulation de l’incertitude présente dans la tâche. Ceci se traduit par une valeur de la pente (b) significativement supérieure pour les âgés que pour les jeunes. De nombreuses études ont confirmé ce résultat et montrent que plus les stimuli et la décision à prendre sont complexes, plus les différences entre les TR de sujets jeunes et âgés augmentent (Falduto & Baron, 1986 ; Jordan & Rabbitt, 1977, Rubichi et al., 1999 ; voir Spirduso, 1995 pour une excellente revue). Un certain nombre d’études s’est également intéressé aux effets du vieillissement sur le TR pour déclencher différents types de mouvements (voir Aubert & Albaret, 2001 ; Ketcham & Stelmach, 2001 ; Light, 1990 ; Spirduso, 1995 ; Spirduso & McRae ; 1990). Dans ce cadre, l’intérêt du chercheur s’est porté sur les capacités du sujet à spécifier différents paramètres d’un mouvement, comme l’amplitude, l’effecteur ou la direction. Plusieurs études se sont ainsi intéressées à l’utilisation que peuvent faire les personnes âgées d’une pré-information (indices) concernant les caractéristiques d’un mouvement à réaliser. Dans ce type d’études, la pré-information peut concerner tout ou partie des caractéristiques du mouvement afin d’en faciliter (anticiper) la préparation. Dans leur majorité, les résultats de ces études montrent que les personnes âgées sont capables d’utiliser cette pré-information afin de diminuer leur TR (Haaland, Harrington & Grice, 1993 ; Stelmach, Goggin & Amrhein, 1988 ; Stelmach, Goggin & Garcia-Colera, 1987). Utilisant le paradigme de pré-information développé par Rosenbaum (1980), Stelmach, Goggin et GarciaColera (1987) par exemple, ont demandé à des adultes jeunes (18-25 ans), moyennement âgés (40-50 ans) et âgés (65-75 ans) de réaliser de simples mouvements de pointage pour lesquels l’effecteur, la direction et l’amplitude du mouvement pouvaient varier d’essai en essai. La pré-information donnée avant l’apparition du stimulus indiquant la cible à pointer pouvait concerner un, deux ou les trois paramètres manipulés. Une dernière condition, dans laquelle aucune pré-information n’était donnée, était également utilisée. Les résultats de leur étude ont montré que les personnes âgées avaient des TR plus longs que ceux des adultes jeunes, quel que soit le paramètre du mouvement manipulé. Les adultes âgés, comme les adultes jeunes utilisaient les informations en avance pour réduire leurs TR au déclenchement du mouvement. Ce gain était sensiblement le même quel que soit le paramètre du mouvement manipulé. Toutefois, il apparaît que les TR des personnes âgées étaient particulièrement plus élevés que ceux des jeunes lorsque aucune pré-information n’était fournie. Comme on peut le voir sur la figure 1, les TR pour déclencher un mouvement de tous les participants étaient d’autant plus courts que l’incertitude concernant les caractéristiques du mouvement à réaliser diminuait (le niveau d’incertitude 0 signifie que la pré-information des 3 paramètres était donnée ; le niveau 3, qu’aucune pré-information n’était donnée). On remarque surtout un ralentissement disproportionné des TR des âgés, relativement à ceux des deux autres groupes, lorsque aucune pré-information n’était donnée. Pour ces auteurs, cela indique qu’une part de l’allongement des TR que l’on observe chez les personnes âgées est due à l’augmentation du temps requis pour spécifier les caractéristiques du mouvement. Cependant, présentés ainsi, ces résultats nous informent essentiellement que les personnes âgées sont plus affectées que les jeunes par l’augmentation de l’incertitude présente lors de la tâche, confirmant ce que nous disions dans le paragraphe précédent.
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