Victimes du terrorisme et victime d’infraction similitudes et particularité

La Victime : Définir le terme victime est une tâche complexe

En effet, c’est un concept qui a largement évolué avec le temps et qui n’implique pas les mêmes réalités en fonction du lieu et du contexte dans lequel il est employé. Du latin « victima », c’est au XVe siècle que nous trouvons les premières mentions du mot victime sous forme d’écrit. Ici, le terme signifie littéralement « bête offerte en sacrifice aux dieux ». L’origine du terme avait donc une dimension spirituelle, la victime faisant figure de bouc émissaire, sacrifié pour le salut de la majorité. En complément, cette définition donnée au mot victime pourrait donner un parallèle avec la victime originelle telle que nous la percevons dans nos sociétés occidentales : Jésus, sacrifié pour les péchés de la race humaine, incarnant directement le sens propre de l’utilisation du mot à cette époque. Dans le cadre de définitions plus généralistes, le dictionnaire Larousse décrit la victime comme telle : « Qui sacrifie volontairement sa vie, son bonheur ; Qui a subi un mal, un dommage ; Qui est atteint d’une maladie, d’un mal subit ; Qui pâtit les effets d’une situation, d’événements, de choses néfastes. »

Le dictionnaire Le Robert donne des définitions sensiblement dissemblables : « Créature vivante offerte en sacrifice aux dieux ; Personne qui subit les injustices de quelqu’un, ou qui souffre (d’un état de choses) ; Personne tuée ou blessée. »6 Ne serait-ce qu’entre ces deux dictionnaires, nous constatons que des nuances apparaissent dans les définitions de notre sujet. Toutefois, elles laissent entendre que le fait d’être victime incarne tout de même une dimension subjective : la victime souffre d’un préjudice subi, peu importe la nature et la légitimité de la souffrance. Selon Lopez et Bornstein, la victime est un individu qui s’inscrit dans une dimension sociale et politique. Elle « reconnaît avoir été atteinte dans son intégrité personnelle par un agent causal externe ayant entraîné un dommage évident, identifié comme tel par la majorité du corps social.» Erner quant à lui indique que « la notion de victime sert à désigner toute condition perçue comme insupportable par notre époque. Douleur physique, souffrance sociale ou psychologique, liée ou non à un traumatisme, une immense catégorie regroupe des individus dotés de destins profondément différents ».8 Si l’approche sociologique et psychologique conçoivent qu’une personne qui s’estime victime le soit effectivement, il en va autrement d’un point de vue juridique.

En effet, ne sont reconnues victimes que les personnes ayant subi un délit ou un crime relevant du droit pénal.9 L’Assemblée Générale des Nations Unies définit le concept de victime de criminalité10 : « – On entend par ‘victimes’ des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou morale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir. – Une personne peut être considérée comme ‘victime’, dans le cadre de la présente Déclaration, que l’auteur soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou déclaré coupable, et quels que soient ses liens de parenté avec la victime.

Le terme ‘victime’ inclut aussi, le cas échéant, la famille proche ou les personnes à la charge de la victime directe et les personnes qui ont subi un préjudice en intervenant pour venir en aide aux victimes en détresse ou pour empêcher la victimisation.» Ces maintes définitions nous permettent d’entrevoir que le terme victime à lui seul englobe une multitude de concepts pouvant être utilisés et appropriés par une personne, en fonction du contexte social, juridique et/ou politique dans lequel il intervient. Comme l’écrivent Bellivier et Duvert : « La montée en puissance du rôle des victimes se traduit aujourd’hui par une surexploitation et une polysémie du terme qui contraste avec la place traditionnellement conférée aux victimes dans le système judiciaire : on est victime de tremblements de terre, du sang contaminé, d’erreurs judiciaires, d’accidents médicaux, etc… »11 De ces différentes descriptions, nous retiendrons plusieurs points : la notion de victime est très symbolique et peut être utilisée à des sens très différents. La victime est passive et ne doit pas avoir cherché les conséquences de l’acte qu’elle a subi. Ces définitions nous amènent donc à devoir faire la distinction entre les deux concepts suivants : la globalité du terme « victime » et les spécificités de la « victime du terrorisme ».

2. « La victime du terrorisme » : Symboliquement, une infraction pénale constitue un trouble à l’ordre public dans son ensemble. Pour pouvoir obtenir réparation et un retour de la paix sociale, le justiciable est poursuivi par le ministère public, représentant de la société dans son ensemble. En effet, « Le droit pénal concerne les rapports entre l’individu et la société dans son ensemble. Il punit les individus qui commettent des actes ou ont des comportements interdits par les lois visées par le législateur, représentant de la société. Le droit pénal vise à faire respecter l’ordre public et à protéger la société ».12 Lorsqu’un délit ou un crime est commis, toute la société devrait alors s’en sentir affectée. Suite aux différents attentats que nous avons connus en Europe ces dix dernières années, un certain nombre de marches et de manifestations ont été organisées. Par exemple, les jours suivant les attentats de janvier 2015, plus de deux millions13 de personnes ont marché à Paris en portant le slogan « Je Suis Charlie ». Ce type de cortège montre que dans le cas de faits violents tels qu’un attentat terroriste, une grande partie de la population peut se sentir touchée. Selon le Service Statistique Ministériel de la Sécurité Intérieure (SSMSI), en 2018 en France, 19.200 plaintes pour viols ont été recensées et 845 homicides ont été détectés par les services de police et de gendarmerie.14 Ces faits bien que violents et « communs » en comparaison à la survenue d’un acte de terrorisme, ne mobilisent qu’une part moindre de la population face à l’échelle des manifestations faisant suite aux attentats de 2015. Face à ce constat, nous pouvons envisager, à priori, que la victime du terrorisme occupe une place, un statut particulier dans notre société.

Suite à l’ordonnance française n°2015-1781 du 28 décembre 201515, les victimes du terrorisme peuvent revendiquer le statut de victime civile de guerre, tel que dispose l’article L.113-13 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre16. Ce statut de victime civile de guerre donne accès à un certain nombre de droits et de « privilèges » dont voici quelques exemples : Les blessés graves, blessés légers, et personnes impliquées ont droit à une pension militaire d’invalidité quand leur taux d’invalidité est supérieur à 10%. Les ascendants des victimes décédées ont droit à une pension d’ascendant. Les conjoints survivants, les titulaires de PACS et orphelins de moins de 21 ans ont droit à une pension Dans le cadre de leur accès aux soins les victimes peuvent bénéficier d’une prise en charge de l’intégralité de leurs soins médicaux à vie si on leur attribue une pension d’invalidité. 18 Cela nous permet de nous conforter dans l’idée que la victime du terrorisme est en effet particulière, en ce qu’elle incarne par son statut. Le terrorisme en France n’existe pas que depuis les attentats de janvier et novembre 2015 et le statut de la victime du terrorisme a évolué et évolue avec le temps, nous amenant à nous poser la question suivante : qui est victime ? En 2016, suite aux attentats de Nice, le gouvernement a mis en place le Guichet Unique d’Information et de Déclaration pour les Victimes (GUIDE), avec l’objectif de simplifier ces démarches et en particulier celle concernant l’indemnisation des préjudices subis.19

L’État et la société :

a) Cibles réelles du terrorisme : Quand on parle de terrorisme, on ne peut nier la dimension collective de l’acte. Que l’attaque fasse une ou plusieurs centaines de victimes, celle-ci vise surtout à frapper l’imaginaire et à s’ancrer dans la mémoire collective. C’est pour cela qu’elle doit être extrêmement violente, spectaculaire et viser des symboles particuliers. Les attentats du 11 septembre 2001 en sont l’incarnation parfaite. En s’écrasant sur les tours du World Trade Center, les terroristes ont réussi à persuader la conscience collective qu’ils étaient en mesure de s’attaquer à la première puissance mondiale et ainsi démontrer leur capacité à influencer le contexte géopolitique mondial du 21e siècle. Rudetzki, fondatrice de SOS Attentats « Otages ou victimes des bombes, journalistes, policiers, hommes politiques, touristes ou citoyens, l’injustice est la même. Le but du terrorisme est d’atteindre un prétendu ennemi sans se confronter à lui »48 . nation), au niveau méso (le cercle familial, amical, professionnel) et micro (la victime directe).

b) Rôle de l’État : Max Weber, dans son oeuvre Le savant et le politique définit le concept de monopole de la violence. En proposant sa définition sociologique de l’État, il écrivait que « l’État revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la contrainte physique légitime »49. Selon le Conseil Constitutionnel français, l’État a un rôle de garantie de la sécurité et de l’ordre public se traduisant par l’institution d’une force publique destinée à garantir les droits et libertés.50 Cela est d’ailleurs ratifié par l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : « La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée »51. On peut donc considérer l’attentat terroriste comme un échec de son rôle de garantie de la sécurité et de l’ordre public tel que ratifié par l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. A partir de ce constat, nous pouvons avancer le postulat que la survenance d’une attaque terroriste sur le sol français est un échec de l’État, ses services de police et de renseignement n’ayant pas su intervenir à temps.

Pour revenir sur la symbolique de la procédure pénale, celle-ci doit alors apporter réparation et le retour de la paix sociale, à la société qui a été touchée en son sein par l’infraction. En théorie donc, l’État a pour mission, suite au constat de son propre échec, de faire en sorte de ramener une situation la plus proche possible de celle avant la survenance de l’infraction pour pouvoir amener un retour de la paix sociale. En s’écartant de la théorie pour se pencher sur la réalité du procès pénal, il nous faut tout d’abord souligner que par principe, la victime n’est pas partie par défaut. « La victime qui le souhaite, peut être partie au procès pénal en se constituant partie civile devant les juridictions répressives »52, lui donnant accès alors à un certain nombre de droits, notamment celui d’avoir accès aux pièces du dossier répressif, mais aussi et surtout de demander l’obtention d’une réparation financière de la part du mis en cause. Cette question de la réparation juridique et financière en matière de terrorisme, tout du moins un certain type de terrorisme que l’Europe a connu et dans le monde depuis le début du XXIe siècle soulève plusieurs problèmes.

En effet, suite aux attentats islamistes « de masse » ayant eu lieu ces cinq dernières années tels que les attentats du musée du Bardo, en Tunisie, du 18 mars 2015 (22 morts et 45 blessés)53 ; du 13 novembre 2015 à Paris (131 morts et 413 blessés)54 ; du 22 mars 2016 à Bruxelles (32 morts et 340 blessés)55 ; tout comme dans d’autres attentats du même type, les terroristes sont tous ou presque décédés. Sur ce constat, l’État ne pourra donc jamais poursuivre la totalité des responsables qui ne seront donc jamais jugés. Par exemple, le procès en appel de l’attentat du Bardo qui s’est tenu à la fin du printemps 2020, n’a condamné que des personnes complices de l’attentat et non pas les assaillants directs, décédés lors de l’attaque. De ce fait, on peut avancer l’idée que les victimes ne pourront alors jamais obtenir justice et réparation face au préjudice qu’elles ont pu subir. D’autre part, la question des dommages et intérêts pose question. Même si les auteurs de l’attentat étaient jugés et condamnés à verser une indemnisation à toutes les personnes touchées par l’attentat, les sommes atteignant des montants particulièrement élevés au regard de la lourdeur des modalités de prise en charge de certaines victimes très gravement blessées, ils ne seraient jamais en mesure de pouvoir verser cette indemnisation.

c) La « réparation » : Face à ce constat d’échec, l’État a dû mettre en place d’autres solutions pour permettre de proposer une piste de réparation. En 1986, faisant suite à la vague d’attentats qu’a connu la France dans les années 1980, l’État a créé un dispositif de réparation du préjudice à destination des victimes du terrorisme : Le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme (FGVAT). Ce dispositif sera d’ailleurs élargi à l’ensemble des victimes d’infractions en 1990, devenant alors le Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI). Le FGTI est entièrement financé par un prélèvement obligatoire sur les contrats d’assurance de biens (ex : assurance habitation) et ne reçoit aucune aide financière de l’État. En 2018, selon le site du fonds de garantie, le budget annuel de celui-ci s’élevait à 674 millions d’euros.56 En France, pour évaluer le préjudice des victimes d’atteintes corporelles, blessées ou décédées, les magistrats de l’ordre judiciaire se basent sur la nomenclature dite « Dintilhac »57 déposée en 2005 et adoptée en 2007. La question de la réparation de l’irréparable n’est cependant pas une tâche aisée. D’autant plus lorsque cette réparation s’articule sur des barèmes parfois « dénués de sens » pour la victime qui s’y intéresse. Les auteurs du rapport indiquent cependant : « que cette nomenclature, qui recense les différents postes de préjudice corporel, ne doit pas être appréhendée par les victimes et les praticiens comme un carcan rigide et intangible conduisant à exclure systématiquement tout nouveau chef de préjudice sollicité dans l’avenir par les victimes, mais plutôt comme une liste indicative – une sorte de guide – susceptible au besoin de s’enrichir de nouveaux postes de préjudice qui viendraient alors s’agréger à la trame initiale »58.

Table des matières

I. Introduction
II. Définitions
1. La victime
2. La « victime du terrorisme »
III. L’attentat terroriste – Le Terroriste, la Victime et l’État
1. Le terroriste et l’attentat : Victimisations primaires
a/ Bases légales
b/ Atteinte physique
c/ Atteinte psychologique
d/ Atteintes matérielles
e/ Variables particulières au terrorisme
2. La victime et les victimisations secondaires
a/ La victime coupable
b/ Les victimisations secondaires
c/ Le « victimisateur » et le « relativisateur »
3. L’État et la société
a/ Cibles réelles du terrorisme
b/ Rôle de l’État
c/ La « Réparation »
d/ Prise en charge de l’État et victimisations secondaires
IV. Discussion
1. Victimisation et construction sociale
2. Terrorisme et activités routinières
3. Quelles victimes ?
4. Un statut particulier
5. Un traitement particulier
6. Victimes du terrorisme et victime d’infraction : similitudes et particularité
V. Conclusion
Bibliographie

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