Vers une nouvelle géographie de l’électricité au Maghreb ?
Les secteurs électriques maghrébins connaissent des transformations consécutives à la mise en place de cadres réglementaires régissant le domaine des énergies renouvelables. Les systèmes techniques sont susceptibles de se reconfigurer suite au déploiement des technologies solaires et hybrides notamment dans le cadre des programmes et plans solaires nationaux (« Plan Solaire Marocain », « Plan Noor PV », « Programme PV-ONEE » ; « Plan Solaire Tunisien » (PST), « programme prosol’élec » et « Programme National des Énergies Renouvelables et de l’Efficacité Énergétique » (PNEREE)). Le chapitre 9 questionne l’émergence d’une nouvelle géographie de l’électricité au Maghreb, sous l’angle des espaces et des acteurs (opérateurs-exploitants et acteurs industriels). Il valide l’hypothèse selon laquelle le déploiement spatial de l’énergie solaire est différent suivant les choix technologiques effectués et que ces derniers ne renferment pas les mêmes stratégies d’acteurs. La première partie met en évidence les caractéristiques maghrébines et nationales des projets solaires et hybrides réalisés ou en projet (types de technologies adoptées, stades d’avancement et natures des opérateurs), ainsi que leurs dynamiques de développement. Elle montre également que les acteurs électriciens se diversifient, au travers de partenariats public-privés. Elle constitue un panorama des projets à l’œuvre dans la décennie 2010 au Maghreb (I). La deuxième partie procède à une lecture spatiale du déploiement de ces projets solaires et hybrides, qui s’intègrent dans un système productif plus vaste, largement dominé par le recours aux combustibles fossiles. Elle tente de découvrir si la géographie des projets solaires et hybrides correspond à la géographie des unités classiques conventionnelles puis met en évidence les facteurs de localisation favorables à leur déploiement (II). La troisième partie vise à dégager une géographie des acteurs industriels positionnés sur le marché maghrébin de l’énergie solaire et à déterminer si ce sont des partenaires traditionnels au Maghreb. Les choix méthologiques opérés sont fonction des trois modèles nationaux dominants de déploiement des technologies solaires mis précédemment en évidence.
Les caractéristiques des projets solaires et hybrides déployés au Maghreb et leurs dynamiques de développement
Le recensement269 des projets solaires et hybrides réalisés ou annoncés au Maghreb a été effectué à partir des projets formellement inscrits dans les plans et programmes nationaux dédiés aux énergies renouvelables, à savoir le « Plan Solaire Marocain », le « Plan Noor-PV », le « Programme ONEE-PV », mais également le « Projet 400 MW » de la SHARIKET KAHRABA WA TAKET MOUTADJADIDA (SKTM) de la deuxième phase du PNEREE algérien, et enfin les projets portés par la SOCIETE TUNISIENNE DE L’ÉLECTRICITE ET DU GAZ (STEG) et la STEG ÉNERGIES RENOUVELABLES (STEG ER), pour sa participation à la mise en œuvre du « Plan Solaire Tunisien ». Ce recensement ne prend en compte que les unités électriques solaires et hybrides disposées au sol. L’identification des autres projets mis en œuvre en dehors des ces plans et programmes nationaux a été réalisée à partir des données issues de la publicisation des projets. La réalité des projets annoncés par voie de presse a été par la suite confirmée directement auprès des acteurs initiateurs ou auprès des institutionnels du secteur. Le recensement s’est arrêté le 30 juin 2016. Ces projets utilisent différentes technologies solaires et hybrides, parfois inédites au monde, et sont déployés sous différentes tailles (A). L’état d’avancement des projets annoncés est évaluée selon une typologie personnelle. Il met en évidence le blocage des projets solaires et hybrides tunisiens, pour des raisons principalement financières (B). Enfin, la nature des opérateurs-exploitants de projets dénote une percée de l’autoproduction. Nous assistons à la diversification naissante des acteurs électriciens (C). A- Une dynamique de projets multi-technologiques et multidimensionnels. Près de deux tiers des centrales solaires et hybrides recensées sont en état de projet au Maghreb. L’annonce de ces centrales diffère de leur mise en service effective pour des raisons qui tiennent à la fois de la technologie adoptée, des capacités à réaliser, de leur financement, des délais de la construction, mais également des révisions, notamment après 2014, apportées aux plans et programmes nationaux de développement des énergies renouvelables. Sur un total de 62 centrales solaires, seules 16 sont en activité (six au Maroc, huit en Algérie et deux en Tunisie). Les centrales photovoltaïques au sol (CPVS) sont les plus nombreuses, en activité ou non, devant les centrales CSP et hybrides solaire-gaz [cf. graphiques 37-38-39]. Toutefois, un nombre important de projets solaires ne signifient pas que la capacité installée soit élevée. En effet, la technologie CSP270 cumule au Maghreb 208 MW en 2016 contre 64,73 MW pour le PV. La mise en service en février 2016 de la première phase du Complexe Énergétique Solaire de Ouarzazate (CESO), qui fait partie des cinq centrales inscrites dans le « Plan Solaire 269 Lors de l’élaboration de cette base de données, seuls les projets dont le site géographique est connu ont été référencés. 270 La capacité installée associée à la composante CSP des centrales hybrides a été prise en compte dans ces résultats. Chapitre 9 – Géographie des projets solaires au Maghreb et des acteurs économiques impliqués dans leur diffusion – 335 – Marocain » piloté par MASEN, d’une capacité installée de 160 MW avec un stockage thermique de trois heures, a fait de la technologie CSP la première technologie solaire en termes de capacité installée au Maghreb. Graphique 37 – Nombre de centrales solaires et hybrides en activité et en projet dans les trois pays du Maghreb au 30 juin 2016 Graphique 38 – Nombre de centrales solaires et hybrides en activité et en projet selon le type de technologies au Maghreb au 30 juin 2016 Graphique 39 – Capacité installée des centrales solaires et hybrides en activité et en projet selon le type de technologies au Maghreb au 30 juin 2016 (en MW) La puissance PV installée au Maghreb repose sur des centrales de dimensions très différentes. Des micro-centrales ont vu le jour au Maroc d’une capacité installée de 0,45 MW (Tit Mellil, Grand Casablanca), de 0,13 MW (Ouarzazate), 1 MW (Assa), en Tunisie qui, historiquement a développé la première centrale photovoltaïque du Maghreb en 1980, en collaboration avec la NASA, et enfin en Algérie, avec la centrale pilote de Ghardaïa érigée en 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 Centrales solaires en activité Centrales solaires en projet Nombre de projets © Nadia Benalouache – 2016 / Données personnelles – 2016 Maroc Algérie Tunisie 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 Centrales solaires en activité Centrales solaires en projet Nombre de projets © Nadia Benalouache – 2016 / Donnés personelles – 2016 PV CSP Hybride CPV Non-arrêtée 0 250 500 750 1000 1250 1500 1750 2000 2250 2500 2750 3000 3250 3500 Centrales solaires en activité Centrales solaires en projet Capacités installées (en MW) © Nadia Benalouache – 2016 / Données personnelles – 2016 PV/CSP CSP Non-arrêtée Chapitre 9 – Géographie des projets solaires au Maghreb et des acteurs économiques impliqués dans leur diffusion – 336 – 2014. La CPVS de Ghardaïa a pour vocation de tester le comportement de ce type d’équipements et leur adaptation au climat du Sud algérien avant de la généraliser sur tout le territoire national. La diffusion de la technologie photovoltaïque en Algérie a débuté avec la mise en place du « Projet 400 MW » lancé par la SOCIETE NATIONALE DE L’ÉLECTRICITE ET DU GAZ (SONELGAZ) au travers de sa filiale SKTM. Une première étape du projet a permis la construction entre 2015 et 2016 de sept CPVS de capacité moyenne, allant de 3 à 20 MW. Cet investissement dans le PV s’inscrit dans la première phase [2015-2020] du PNEREE révisé. La distinction entre les technologies associées aux centrales solaires ou hybrides en activité et celles qui sont en projet met en lumière le changement de paradigme technologique opéré au Maroc après la désapprobation du « Master Plan » du « Plan Solaire Méditerranéen » (PSM) fin 2013. L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉLECTRICITE ET DE L’EAU (ONEE) a ainsi lancé un programme. Le « Programme ONEE-PV » dont la première phase de déploiement est prévue pour 2017, repose sur la construction de centrales PV de capacité moyenne, de 20 à 25 MW, sur les sites de Tata, Tahla, Tan-tan, Boulemane, Outat El Haj, Bouanane, Aiï Beni Mathar et Boudnib. La Moroccan Agency of Solar Energy (MASEN) a également décidé de mettre en place le « Plan Noor-PV, indépendamment mais dans la poursuite du « Plan Solaire Marocain ». Quatre CPVS de grandes capacités sont programmées d’ici 2020 : Boudjour I (50 MW), Boudjour II (100 MW), Laâyoune I (20 MW) et Laâyoune II (100 MW). Figure 44 – Répartition des centrales solaires et hybrides en activité et en projet selon le type de technologie au 30 juin 2016 (en %) Les projets tunisiens déployés selon un modèle centralisé, c’est-à-dire en dehors du programme Prosol’élec, majoritairement initiés dans le cadre de la première version du « Plan Solaire Tunisien » lancé en 2009, montrent que l’hybridation est encouragée [cf. figure 44]. En effet, la STEG a par exemple annoncé en 2011 l’élaboration d’un projet de centrale thermosolaire composé d’un cycle combiné dont la mise en service était initialement prévue en 2016. Un prototype existe, la centrale thermosolaire de Aïn Beni Mathar au Maroc, située dans la région de l’Oriental. La STEG prévoit également la construction d’une centrale hybride solaire-gaz avec une composante CSP à tour de 5 MW associé à un combiné de 20 MW près du gisement d’hydrocarbures de la concession d’El Borma exploité par la SOCIETE ITALO-TUNISIENNE D’EXPLOITATION PETROLIERE271 (SITEP). La figure suivante montre la pénétration progressive des projets solaires [cf. figure 45]. Figure 45 – Évolution du nombre de projets et de la capacité installée des centrales solaires et hybrides en activité et en projet dans les trois pays du Maghreb au 30 juin 2016 B- L’état d’avancement des centrales solaires en projet : le blocage tunisien. Le croisement des informations nous a amenés à construire une typologie pour évaluer le stade d’avancement des projets. Ce travail de veille a été mené entre décembre 2011 et juin 2016. Nous avons écarté, au fur et à mesure, les projets qui n’existaient que par le biais 271 La SITEP est une association anonyme avec pour actionnaires l’État tunisien et l’entreprise italienne ENTE NAZIONALE IDROCARBURI (ENI). Chapitre 9 – Géographie des projets solaires au Maghreb et des acteurs économiques impliqués dans leur diffusion – 338 – médiatique et ceux qui ont été abandonnés. L’élaboration de cette typologie, inspirée des travaux de Bridier et Marchailof (1987), ne devait pas ignorer ni la date de leur annonce et sa lecture, ni le contexte institutionnel et réglementaire de développement des projets. La typologie porte sur les unités solaires et hybrides en projet et évalue leur avancée suivant cinq étapes : (i) étude de pré-faisabilité, (ii) étude de faisabilité, (iii) évaluation financière, (iv) choix du maître d’ouvrage (constructeur) suite à un appel d’offres et (v) exécution du projet [cf. graphique 40]. Graphique 40 – Répartition des unités électriques solaires et hybrides en projet en fonction de leur stade d’avancement au 30 juin 2016 En Algérie, les projets déployés dans le domaine PV ont été tardivement étudiés, car les informations à ce sujet sont restées longtemps confidentielles. Nous avions tout de même pris connaissance de certains de ces projets, grâce à nos entretiens menés auprès de la CEEG, mais nous devions en attendre la confirmation par voie de presse et de la part du Centre de Développement des Énergies Renouvelables (CDER). Le penchant algérien pour le développement du PV était connu. La chute des cours du pétrole amorcée en 2013, qui a entrainé le déficit budgétaire du pays, a fini de convaincre l’Algérie d’investir dans de nouvelles formes d’énergie alternatives, en premier lieu le PV. Depuis le lancement du « Projet 400 MW » en 2014, les projets ont bien avancé. Sur les 23 centrales prévues, déjà sept ont été mises en service, neuf sont en cours de construction et pour les sept restantes, le maître d’ouvrage a été sélectionné. Au Maroc, Masen poursuit la réalisation du « Plan Solaire Marocain » et notamment la deuxième phase du CESO Noor II. Trois programmes se superposent : le « Plan Solaire Marocain », le « Plan Noor-PV » et le « programme PV-ONEE ». Les projets présentent des stades d’avancement différenciés. Les projets qui sont au stade de préfaisabilité sont ceux qui s’incrivent dans le « Plan Noor-PV » de MASEN. En Tunisie, les projets de centrales solaires et hybrides recensés et portés majoritairement par la STEG et la STEG ER, ont été parmi les premiers projets annoncés au Maghreb, suite à la proclamation du « Plan Solaire Tunisien » en 2009. Sur les six projets en 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 Maroc Algérie Tunisie Nombre de projets © Nadia Benalouache – 2016 / Données personnelles – 2016 Étude de préfaisabilité Étude de faisabilité Évaluation financière Choix du maître d’ouvrage Exécution du projet Chapitre 9 – Géographie des projets solaires au Maghreb et des acteurs économiques impliqués dans leur diffusion – 339 – cours, quatre sont au stade d’évaluation financière depuis près de cinq années. Autrement dit, ces projets peinent à trouver des investisseurs. La STEG et sa filiale, la STEG ER sont les acteursinitiateurs de trois projets : deux centrales CSP à Akarit et Gabès de 50 MW chacune, ainsi qu’une CPVS d’une capacité de 12 MW à Tozeur. Un projet soutenu par des investisseurs n’a pour le moment pas été executé. Il s’agit du très médiatisé projet Tunur, entrepris en 2011. Le développeur britannique NUR ÉNERGIE ainsi que des investisseurs, britanniques eux-aussi, ont mis en place un projet qui se compose d’une centrale CSP d’une puissance de 2,250 MW dans le sud tunisien, précisement à Rjim Maatoug dans le gouvernorat de Kébili, et d’une liaison sous-marine HDVC de 2 GW longue de 1000 Km entre la Tunisie et l’Italie [cf. figure 46]. Elle doit générer près de 9400 GWh/an d’électricité d’origine renouvelable et dispatchable, sur une surface foncière de plus de 10 000 hectares.