Vers un système unifié d’interaction et de
synchronisation en composition électroacoustique et mixte
De la notation de l’électronique et de l’interaction à la partition centralisée
Le travail de cette thèse porte sur la notation de l’électronique et de l’interaction, dans le contexte de la musique mixte et de la musique électroacoustique (purement électronique). Il défend une notion, la partition centralisée, qui vise à combiner la notation instrumentale et la notation de l’électronique, au sein d’un même document. Et comme le domaine musical s’est élargi aujourd’hui à d’autres médias et d’autres pratiques « mixtes », il s’agit aussi d’inclure dans ce même document la gestion d’autres flux temporisés (lumière, vidéo, mécatronique de scène) et d’intégrer d’autres types de performances (gestes). L’enjeu artistique est l’écriture et la réalisation d’interactions mettant en rapport la liberté interprétative de l’artiste sur scène et les processus sonores en temps réel à partir de dispositifs de captation efficaces et de mécanismes de synchronisation. La centralisation et la coordination de ces interactions au sein d’une même partition a pour objectif une intégration fine des processus électroniques dynamiques et génératifs avec différents médias temporels. Cette intégration ne va pas de soi. La question de la notation de l’électronique est toujours vivement débattue. Cette dernière serait par essence procédurale et impliquerait de spécifier tous les paramètres de la fabrication du son, ce qui s’opposerait à la déclarativité et à l’abstraction auxquelles est parvenue la notation occidentale en se focalisant principalement sur les seules hauteur, durée et intensité des sons à produire. Une abstraction désirable car elle permettrait de mieux adresser les problématiques de formes, de polyphonie, d’articulation du discours musical, etc. Mon travail sur mes propres compositions, mais aussi mon travail de RIM (réalisateur en informatique musicale) [Zat13] pour d’autres compositeurs, m’ont convaincu que cette nature procédurale de la définition du son à produire « reste neutre » par rapport aux autres problématiques plus macroscopiques de l’écriture musicale. Ces problématiques doivent en effet être traitées à un autre niveau de la partition. Encore faut-il pouvoir intégrer au sein de la même partition l’écriture de toutes les parties musicales, et donc aussi la production de l’électronique. Il faut souligner que les intégrer au sein d’un même document ne vise pas à unifier les notations destinées aux instruments et à l’électronique, mais à permettre leur mise en relation explicite afin de faciliter l’écriture de leur polyphonie et de composer leurs articulations. Cette notion de partition centralisée, qui n’est pas une partition unifiée, a émergé de mon activité de compositeur mais est largement restée utopique par manque d’outils permettant d’incarner cette notion. Un fait nouveau est apparu avec le développement du système Antescofo qui a renouvelé la notion de suivi de partition en couplant une machine d’écoute à un langage de programmation. L’intégration de la fabrication du 11 son électronique (qui doit être programmé) à la spécification de la partie instrumentale (qui doit être écoutée) devient théoriquement possible. Théoriquement, car Antescofo ne permet pas de spécifier directement la synthèse et la transformation des sons. AntesCollider, issu de ce travail de thèse, est un système qui vise à doter Antescofo d’une capacité de synthèse et de transformation du son, afin d’offrir un premier exemple de partition centralisée. Dans les faits, les traitements audionumériques sont délégués à SuperCollider, qui est vu comme un moteur de rendu sonore piloté depuis la partition Antescofo. Cet outil permet de spécifier au sein d’un même document, puis de réaliser lors de l’interprétation d’une œuvre musicale ou scénique, les relations temporelles complexes exprimées dans la partition, en contrôlant en temps réel les flux d’événements interconnectant les performeurs, la partie électronique, le public, les équipements permettant de gérer les dispositifs scéniques et les systèmes de production, de diffusion et de transformation du son. Notre prototype a été utilisé dans plusieurs compositions qui ont nourri notre réflexion et qui ont permis de valider les développements informatiques. AntesCollider permet d’expérimenter de nouvelles approches de l’écriture de l’électronique à travers l’organisation et la composition de structures sonores, multitemporelles, multi-échelles et de l’interaction. En tirant partie des notions informatiques d’agents, de processus et de réactions, ces structures sonores peuvent se combiner dynamiquement et polyphoniquement en relation avec les autres parties de la partition ou avec des événements externes (captation gestuelle, interconnexion avec d’autres médias) ouvrant vers de nouveaux paradigmes compositionnels et renouvelant la liberté et la plasticité de la création musicale. La seconde partie de cette thèse est dédiée à la présentation des pièces réalisées avec AntesCollider dans le cadre de ce travail et comment un tel système peut apporter des éléments nouveaux de réponses à des problématiques paradigmatiques de l’activité du compositeur. L’utilisation d’AntesCollider pour réaliser l’électronique de pièces d’autres compositeurs et l’aboutissement de projets multimédias comme Las Pintas (projet audiovisuel) ou impliquant le suivi des gestes du performeur comme GeKiPe (projet de suivi de geste en collaboration avec la HEM de Genève) indique clairement que certains mécanismes dédiés dans les langages de programmation – comme le contrôle réactif, les acteurs, la représentation de variations temporelles par des données (plutôt que du contrôle) ou la synchronisation – apportent des réponses concrètes à la notation de l’électronique et de l’interaction, tout en ouvrant un espace de pensée fécond pour la musique en elle-même. AntesCollider n’est qu’une première étape dans la concrétisation de la notion de partition centralisée. Mais les résultats obtenus m’ont convaincu qu’il faut poursuivre dans cette voie.
Développements logiciels
La librairie AntesCollider est constituée d’une librairie Antescofo et de programmes compagnons en sclang. La librairie Antescofo représente 24 239 lignes de code définissant 45 processus, 34 acteurs et 69 fonctions. J’ai aussi développé antescollider_spatial_interface, un programme de visualisation adapté au contrôle et à la représentation graphique des données issues de modèles physiques que j’utilise pour le pilotage de processus de synthèse. Ce programme représente 2 085 lignes de code. Ces logiciels sont des logiciels libres. Ils sont actuellement diffusés auprès de quelques compositeurs qui m’en ont fait la demande, mais ils seront accessibles librement avec l’achèvement de mon travail de thèse et après un peu de nettoyage. Création musicale en relation avec la recherche La librairie AntesCollider a été validée à travers plusieurs de mes créations réalisées pendant ce travail de thèse : • Hypersphères, Projet GeKiPe (HEM de Genève) pour un performeur, captation gestuelle et vidéo générée en temps réel, 4 758 lignes de code, durée 10- 15 minutes • Homotopy pour percussions, captation gestuelle et électronique, 11 391 lignes de code, durée 17 minutes 14 • Crossing Points, œuvre collective avec Alexander Vert, Thomas Köppel et Philippe Spiesser pour 5 toms, électronique, captation gestuelle et vidéo en temps réel, 4 390 lignes de code, durée environ 30 minutes • Curvatura II, œuvre électroacoustique en HOA, entièrement écrite dans le langage Antescofo, 17 442 lignes de code, durée 11 minutes • Las Pintas, audiovisuel en temps réel et en HOA, 10 192 lignes de code, 25 minutes • Stück für die Schwerkraft, pièce utilisant un dispositif particulier de 400 trappes pour laisser tomber des objets sur scène, pour la compagnie de théâtre Suisse ultra. Je cite aussi une pièce antérieure mais qui est la première à utiliser le couplage entre Antescofo et le logiciel SuperCollider : • Dispersion de trajectoires, pour saxophone baryton et électronique, 15 000 lignes de code, durée d’environ 20 minutes. Ce travail se complète aussi par la réalisation de l’électronique pour la compositrice Lara Morciano avec les pièces : • Estremo d’ombra, pour flûte, saxophones, trombone, alto, contrebasse et électronique • Philiris, pour piano, captation gestuelle et électronique • Taygeta, pour percussions transducteurs et captation gestuelle • Lyphira, pour piano, transducteurs et captation gestuelle.
Remerciements |