VEILLE TECHNOLOGIQUE ET INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE EN PME ET TPE
LA PROBLEMATIQUE
La description précédente de quelques-unes des applications du web 2.0 interroge naturellement sur leur apport dans la veille technologique et l’intelligence économique en PME. À y voir de très près, il apparaît clairement que ces outils de customisation de l’information et de partage peuvent jouer un rôle prépondérant dans un système de veille de n’importe quelle entreprise, qu’elle soit petite ou grande. Dans certaines étapes du cycle de renseignement (Surveillance Collecte et la diffusion) on pourrait supposer une possible exploitabilité. L’information informelle, entre autres exemples, qui a toujours fait l’objet d’une attention particulière dans la collecte de l’information est en train de se « formaliser » en partie grâce à l’émergence des blogs. Le langage jusqu’à maintenant verrouillé et très officiel des manageurs et employés d’entreprises dans les sites web et autres communiqués, coexiste désormais avec un autre langage libéré, décontracté et plus révélateur, utilisé dans les blogs d’entreprises ou d’employés de grandes entreprises. L’anonymat et l’absence totale de contrôle des supérieurs, la facilité d’édition entre autres qui y sont légions suffisent largement Veille technologique et Intelligence Économique en PME et TPE : réalités d’une comme explication. Ce qui d’ailleurs représente leur principale différence avec les sites très officiels des entreprises. Un tel revirement de situation dans les pratiques informationnelles au niveau de la société et qui naturellement se transporte dans les entreprises – les employés d’une entreprise étant forcément des individus de la société – nous interpellent sérieusement concernant sa récupération dans la gestion de l’information stratégique et technologique en entreprise. Aussi, les services web 2.0 comme moyen d’assouplir la fonction de collaboration et de diffusion des informations au sein d’une entreprise, même s’ils ne font pas l’objet pour l’instant de nombreuses études, ne devraient-ils pas être considérés comme un possible moyen d’amélioration de la diffusion des informations de veille en entreprise. D’ailleurs, concrètement l’intervention des outils web 2.0 dans un dispositif de veille pourrait se traduire dans le travail de ciblage, de repérage des sources, celui de la traque et dans une moindre mesure dans le partage, la collaboration et la diffusion au sein de l’entreprise. Les services du web 2.0 tels que les blogs et les lux RSS regorgent d’énormes potentialités pour intéresser la veille stratégique. La surveillance de la concurrence, de la technologie, de la stratégie des entreprises…fonctions historiques des dispositifs de veille s’y enrichissent indéniablement. Cependant, de la révolution insufflée par ces outils, il ne peut pas y’en avoir. Loin de cette idée, elles renouvellent les pratiques en mettant en avant l’utilisateur. Car avec le phénomène web 2.0 ce n’est pas la technologie qui change, mais c’est l’internaute qui brille désormais par sa présence dans l’élaboration et le choix des informations et des outils. Ces aspects web 2.0 potentiellement exploitables par le dispositif de veille ne cachent pas outre mesure les points négatifs qui se mesurent par rapport à leur démocratisation. L’appropriation des blogs et des flux RSS par les masses populaires a comme limites : – un accroissement de la désinformation, des rumeurs et autres actions malveillantes dictées par des individus aux intensions malsaines. Les blogs peuvent se révéler comme des outils privilégiés de manipulation de l’information. Joël de Rosnay dira à cet effet « Plus les « pronétaires » [utilisateur producteur-diffuseur d’information] seront dotés de cyberarmes de désinformation massive, plus celles-ci risqueront d’être utilisées par quelques-uns à des fins répréhensibles »9 – L’amateurisme qui caractérise la description de l’information avec les tags, des mots clés dont le choix dépend de la sensibilité des auteurs qui peuvent être impertinents. Ce qui rend en général la recherche d’informations infructueuse. – Le retard de certains sites d’entreprises surtout en France à proposer des formats RSS… À l’issue de ce tour d’horizon des possibles apports positifs et négatifs des services du web 2.0 dans la veille stratégique, une question nous interpelle : Les compétences extraprofessionnelles des utilisateurs en matière d’exploitation des outils web 2.0 sont-elles réutilisées, ou réutilisables dans les entreprises afin d’améliorer les activités de veille ? L’usager est devenu la pièce maîtresse des nouvelles architectures numériques. Ce changement a considérablement affecté l’offre informationnelle et a fait émerger un écosystème environnemental dans lequel le statut, l’action et le degré d’implication de l’usager changent de valeur 10 . L’usager numérique développe de nouvelles compétences par accoutumance avec le maniement d’une technologie : maîtrise technique et cognitive de l’outil, intégration significative de l’objet dans la pratique quotidienne de l’usager, ouverture vers des possibilités de création. Ces nouvelles compétences se manifestent par l’utilisation quotidienne des outils du web social (blogs, flux RSS, réseaux sociaux…) : création et cocréation de contenus, indexation (tags), travail en réseau, influence et partage etc. Un tel savoir-faire caractéristique de l’usager numérique reste le plus souvent dans le domaine privé. L’usager lambda les développe en autodidacte pour son plaisir ou son information personnelle. Pendant ce temps-là l’entreprise se perd parfois dans une tentative et de maîtrise des flux informationnel pour être informée juste, vrai et en temps réel. Elle met sur pieds des dispositifs de captage, de traitement, de diffusion et de partage de l’information dans lesquels le recours à des compétences, procédures et outils classiques est bien ancré. Cette problématique s’interroge alors sur le lien entre compétences classiquement requises et compétences élaborées personnellement avec l’usage des outils 2.0 désignées ici sous le qualificatif « extraprofessionnelles ou 2.0 ». Ces compétences élaborées peuvent-elles ou sont-elles récupérées dans les différentes phases de la veille informationnelle dans les PME ? À l’image de Louise Merzeau il ne s’agira pas tout simplement de réfléchir sur la portée de ce changement : recyclage d’anciens « arts de faire » ou compétence inédite – en d’autres termes s’agit-il d’une évolution ou d’une révolution ? – ; nous nous proposons aussi de mesurer le degré de récupération de ces compétences des usagers dans les actions de veille informationnelle au sein des entreprises. Pour ce faire nous disposons de deux hypothèses de travail : Une première hypothèse est que l’échange, la collaboration et l’enrichissement collectif de connaissances caractéristiques du web 2.0 ont une fonction de soutien à la souplesse du partage de l’information en en supportant collaborativement la veille et l’Intelligence économique au sein de l’entreprise. La seconde hypothèse est que la socialisation du réseau et « l’informalité » qui l’accompagne (descriptions approximatifs des signets, les tags, les commentaires souvent exagérés…) serait une des explications d’une possible réticence des professionnels de la veille à les utiliser au travail sous-estimant par avance leur valeur. La première hypothèse correspond à un ensemble de faits observables nous permettant d’affirmer ou d’infirmer que le web 2.0 soutiendrait efficacement la veille et l’intelligence économique. Parmi ces faits observables il y a : a) l’étude fonctionnelle des outils 2.0 et leur supposé apport au cycle de veille : Les blogs comme sources majeures d’information sur internet La syndication de contenus, une méthode pertinente de collecte d’information La mutualisation des contenus web à travers les wikis, et les sites de partage de signet : une démarche collaborative de veille informationnelle. L’émergence d’une nouvelle forme de veille à travers les réseaux sociaux. b) Les mutations induites par la philosophie du partage et de l’intelligence collective. L’apparition de nouvelles formes d’influences La difficulté de vérification et de validation de l’information La question de la réglementation des usages sur internet. Compte tenu du fait que cette thèse propose d’étudier des entreprises d’origines géographiques différentes, la vérification théorique de cette hypothèse sera précédée par un rappel des différentes cultures dans la veille stratégique et l’intelligence économique. Pour ce qui est de la seconde hypothèse nous supposons que l’origine populaire et le caractère informel des usages de certains outils du web collaboratif ralentirait leur adoption dans les entreprises. Nous essayerons de vérifier théoriquement cette hypothèse en observant les faits suivants : a) La démocratisation de l’accès à l’information qui a comme conséquence la vulgarisation de sa production. Le consommateur d’information devient producteur et diffuseur d’information, b) Le nouveau statut de l’usager qui est désormais au cœur des systèmes de production et de diffusion de l’information, c) La collaboration, l’émergence de l’open source qui concurrencent les systèmes propriétaires fermés. Veille technologique et Intelligence Économique en PME et TPE : réalités d’une approche nouvelle avec le Web 2.0 Djibril DIAKHATE ‐ Doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication | SciencesPO.Aix 13 2.3. METHODOLOGIE ADOPTEE La démarche qui sera adoptée pour instruire cette thèse sera d’abord Bibliographique : la recherche de la documentation (Thèses, ouvrages généraux, articles, sites web etc.) relative au sujet nous permettant de faire l’état de la recherche dans ce sujet et de mieux camper le contexte. Pratique : une démarche de terrain nous invitant à investiguer auprès des entreprises qui ont une expérience dans la veille stratégique et l’intelligence économique en France plus particulièrement – en essayant de faire une comparaison des pratiques IE selon la catégorie des entreprises – afin de vérifier nos hypothèses ainsi apporter des réponses concrètes à notre problématique. Vu le caractère un peu nouveau du sujet, cette thèse sera à la fois exploratoire d’une tendance qui commence à se développer dans la veille. Elle sera aussi révélatrice des réalités existantes en matière d’utilisation des outils web 2.0 dans la collecte le traitement et la diffusion de l’information scientifique, technologique et concurrentielle. Ainsi, nous proposons un raisonnement hypothético-déductif basé sur des observations et des enquêtes de terrain. De la question générale nous procéderons à une mise en place d’un cadre opératoire dont l’ossature sera un questionnaire qui nous permettra de vérifier, d’expliciter les différentes interrogations qu’on se fait dans l’appropriation des outils web 2.0 dans les stratégies de veille et d’intelligence économique des petites et moyennes structures. Le choix de cette méthode ne découle pas du hasard, mais dicté par les hypothèses de travail. Cette méthode située au cœur de la démarche hypothético-déductive conduit à partir d’une question de recherche à proposer des hypothèses qui seront soumises à des tests empiriques. Lesquels tests se font par le biais d’un questionnaire pour ce qui concerne cette thèse. L’analyse des données collectées permet de confirmer ou d’infirmer ces hypothèses.
APPROCHE SIC DU SUJET
En plus d’éclairer la complexité de la relation entre le web social et la veille stratégique et l’intelligence économique, la majeure partie de cette problématique sera étudiée sous l’angle des sciences de l’information et de la communication. Cet aspect est d’autant plus fondamental que le web 2.0, comme la veille à ses débuts, suscite beaucoup d’intérêts de la part d’autres disciplines tels que la gestion, le marketing, etc., qui s’empressent de n’y voir qu’un phénomène purement mercantile. Du mercantilisme, certes, il y’en a, – il ne faut pas ignorer la bulle publicitaire qui l’accompagne – mais pour ce sujet, elle est secondaire par rapport à l’explosion de l’échange informationnel, de la révolution des rapports entre l’utilisateur et Internet à travers la création collective de sens « l’intelligence collective » dirait Pierre Lévy avec sa théorie du cyberespace et de l’intelligence collective , qui, en plus, caractérisent le web 2.0. Nous essayerons de mettre l’accent à travers cette étude sur la plus-value qu’apporte ou qu’apporterait le web 2.0 aux différentes activités de veille et d’IE. Ces dernières seront minutieusement étudiées sur tous leurs angles en partant du début de la chaine de renseignement, en l’occurrence l’expression des besoins jusqu’à la communication « diffusion » des résultats, en passant naturellement par le traitement des données, leur protection. Aussi avec le développement des réseaux sociaux, une des identités majeures du web social, nous ne manquerons pas d’examiner les possibles mutations qu’ils exerceraient dans la communication d’influence. D’où l’intérêt d’associer déjà dès le titre l’intelligence économique dans la problématique de cette thèse. Pour une approche plus théorique de cette étude, nous nous contenterons d’invoquer des auteurs précurseurs dont les théories sont étroitement liées à certains aspects de notre problématique notamment : – L’intelligence collective et des réseaux : entre cyberespace, cyberdémocratie, intelligence collective, nous essaierons, à travers des auteurs tels que Levy, Weygand, Pierre Musso…de montrer l’évolution de la théorie de l’intelligence collective vers le web 2.0. Ce dernier n’est pas un phénomène ex nihilo, il est la résultante des théories plus ou moins utopistes qui ont commencé à émerger ces derniers décennies. Parler aujourd’hui du web 2.0 et la possibilité de récupération des pratiques qui lui sont corolaires par les entreprises suppose préalablement une réflexion sur les théories précurseures de ce phénomène. Ces dernières sont très liées à la société. Le web 2.0 est à la fois des outils et une philosophie : partage, collaboration, co-création, participation, partage. Et s’il subsiste une polémique sur le caractère innovant ou révolutionnaire de ses outils, un consensus existe quant à l’origine sociale de sa philosophie. Et le côté techniciste de notre problématique ne devrait pas nous imposer de penser cette évolution que du côté de la technique, mais aussi du côté de la société. La théorie d’intelligence collective, de cyberespace nous aidera à mieux cerner l’aspect de la création collective de sens très intéressante à mettre en œuvre dans une démarche collaborative de veille et d’intelligence économique. – L’Internet social ou plus amplement les imbrications entre le monde de l’informatique et la société des hommes. Des auteurs tels que Dominique Wolton avec son « autre mondialisation », Miege avec son œuvre « Nouvelles technologies et nouveaux usages » ou encore le « culte d’internet »15 de Philippe Breton…nous aident à réfléchir sur la portée des mutations que les machines exercent sur la société. Dans une dimension plus large, cette partie nous permet de penser les « révolutions sociales » dont les ordinateurs sont porteurs. Parce que le web 2.0 et ses usages sont souvent considérés à tort ou à raison par certains comme une révolution. Ce qui n’est pas nouveau comme théorie. Les penseurs technicistes soutiennent, par exemple que les TIC, depuis l’apparition d’Internet ont renouvelé la problématique des relations entre le marché, l’espace public et la démocratie…L’espace public tel que Habermas l’avait défini « un espace de médiation entre l’État et la société permettant entre autres une discussion publique, la confrontation d’opinions et d’idées éclairées », se trouve ainsi ressuscité, sauvé de la manipulation politique que craignaient Armand et Michèle Mattelard. En effet, par ces termes, ces derniers s’interrogeaient sur la transparence qui doit sous-tendre toute discussion dans l’espace public : « le développement des lois du marché, leur intrusion dans les sphères de la production culturelle substituent à ce raisonnement, à ce principe de publicité et à la communication publique [qui caractérisent l’espace public] des formes de communication de plus en plus inspirées par un modèle commercial de fabrication de l’opinion » . Les TIC, par l’entremise d’Internet viennent, donc, au secours de cet espace public en lui offrant des forums ouverts et en temps réel, sources d’informations et lieux de discussions universelles et transparentes. De la même manière elles offrent aux entreprises de nouveaux outils venus avec le web 2.0, de nouvelles sources d’informations, des nouvelles compétences leur permettant d’améliorer leur compétitivité. Ces mutations sont-elles assez importantes pour pousser à penser à une révolution ? telle est l’une des préoccupations de notre problématique sur laquelle nous essayerons d’apporter des éléments de réponse.
INTRODUCTION, CONTEXTES, PROBLÉMATIQUES ET OBJECTIFS |