Vedette du théâtre des années 30

Vedette du théâtre des années 30

Il était clair, dès le début, que ce n’était ni au chant ni au cabaret que songeait Marguerite Pierry en quittant ses parents et le fait qu’elle ait choisi de passer deux ans à préparer en vain son entrée à la Comédie française le prouve. Cependant, elle est bonne joueuse et elle ne rejette jamais, dans ses interviews, l’époque qui précéda sa période théâtrale. Elle s’amusa beaucoup au cabaret et chanta avec plaisir dans les opérettes jusqu’en 1938. Des années 20 aux années 60, elle fut sans aucun doute une plus grande vedette de théâtre que de cinéma où elle laissa pourtant un certain souvenir puisqu’à notre époque, cinquante ans après son décès, Armel de Lorme et Paul Vecchiali sont aussi éblouis par son talent. Nous ne saurions pourtant passer sous silence son activité théâtrale qui est étroitement liée à celle qu’elle exerce au cinéma. Les rôles qu’elle joue au théâtre ressemblent à ceux qu’elle interprète au cinéma et nous renseignent à la fois sur sa personnalité et sur sa persona. La liste de ses rôles au théâtre est assez impressionnante 1920 : La Dame de chez Maxim’s de Feydeau. 1921 : Le Caducée d’André Pascal. 1924 : La Fleur d’oranger d’André Birabeau et Georges Dolley.1928 : Un cœur tout neuf de Paul Vialar. 1929 : Le Trou dans le mur de Yves Mirande. 1930 : La Petite Catherine d’Alfred Savoir.1932 : La Pâtissière du village d’Alfred Savoir. 1932 : Madame Sans gêne de Victorien Sardou. 1932 : Bourrachon de L.J.D Doillet. 1933 : Châteaux en Espagne de Sacha Guitry. 1933 : Aurélie de Germaine Lefranc. 1934 : Le mari que j’ai voulu de Louis Verneuil.1935 : Les Fontaines lumineuses de Louis Verneuil et Georges Berr. 1935 : Y’avait un prisonnier de Jean Anouilh. 1936 : Fiston d’André Birabeau. 1936 : Le Pélican de Somerset Maugham et F de Croisset. 1940 : Le Bien-aimé de Sacha Guitry 1941 : Vive l’empereur de Sacha Guitry. 1946 : La Sainte Famille d’André Roussin. 1946 : Un homme sans amour de Paul Vialar. 1948 : Aux deux Colombes de Sacha Guitry. 1949 : La Galette des Rois de Roger Ferdinand. 1950 : J’y suis j’y reste de Vincy et Valmy. 1954 : Gigi de Colette. 1956 : La Plume de Barillet et Grédy. 1958 : L’Enfant du Dimanche de Pierre Brasseur. 196: Un Garçon d’honneur de Blondin et Guimard, d’après Oscar Wilde. 1960 : L’Avare et Les Femmes savantes de Molière. 1960 : La Voleuse de Londres de Georges Neveux. 1961 : Georges Dandin de Molière. 1962 : La Vénus de Milo de Jacques Deval. Date inconnue : Le Mot de Cambronne de Sacha Guitry. Marguerite Pierry interprètera donc une trentaine de pièces en 41 ans (dont cinq avec Sacha Guitry), du début des années 20 où elle joue dans La Dame de chez Maxim’s à 1962 où elle participe à une pièce de Jacques Deval : La Vénus de Milo. Fidèle à ses rôles du cabaret, elle interprète souvent les œuvres des auteurs comiques de l’époque : Mirande, Savoir, Verneuil, Roger Ferdinand, Roussin, Barillet et Grédy et Jacques Deval, Vedette du théâtre des années 30 478 mais aussi celles des auteurs plus littéraires que sont Anouilh, Guitry, Somerset Maugham et Oscar Wilde et elle ne néglige pas, elle qui n’a pas pu entrer à la Comédie Française, les pièces des auteurs classiques comme Molière et celles des romanciers comme Vialar, Blondin, De Croisset, Colette et Georges Neveux. Elle jouera aussi les pièces de quelques auteurs peu connus. Elle occupa donc la scène parisienne pendant une quarantaine d’années où elle fut presque toujours complimentée par Colette et bien par d’autres journalistes sauf peut-être pour la pièce d’Anouilh qu’elle avait autoritairement transformée en farce mais Colette pense qu’elle avait raison. Il est, bien entendu, inutile de rendre compte de toute son activité de comédienne puisque notre sujet est avant tout le rapport de l’actrice avec le cinéma de Sacha Guitry mais l’analyse de quelques-uns de ses rôles au théâtre est malgré tout indispensable car on les retrouve en filigrane dans ses rôles au cinéma.

« Amoureuse et débridée » chez Yves Mirande

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Le Trou dans le mur (1930) Nous connaissons les films de Mirande : Baccarat (1936), Messieurs les ronds de cuir (1936), Café de Paris (1938), Derrière la façade (1939) et Paris-NewYork (1940). Il est aussi l’auteur du scénario de Carnet de Bal (Duvivier,1937) et Circonstances atténuantes (Boyer, 1939). C’est lui qui a écrit le rôle de Jacqueline Delubac dans Une brune piquante (1932) La pièce que Marguerite Pierry crée pour lui se nomme Le Trou dans le mur (1929). Un jeune avocat sans clients découvre l’existence, dans un château, d’un trésor caché dans un mur. Il entre comme chauffeur chez la châtelaine (Marguerite Pierry), une vieille demoiselle nommée Artémise. Le trésor se trouvant dans sa chambre, il cherche à y pénétrer et Artémise croit qu’il est amoureux d’elle. Elle est désespérée quand elle s’aperçoit de son erreur. L’avocat épouse finalement la nièce d’Artémise et reçoit le trésor en dot. Dans Le Trou dans le Mur, elle joue le rôle d’une demi-folle et elle s’en réjouit dans un texte qu’elle publie dans l’Intran et qu’elle intitule « Comment je suis devenue tragédienne », marquant ainsi l’importance de cette œuvre par rapport à sa nouvelle carrière mais aussi à sa double personnalité ce qu’elle reconnait volontiers : 479 « Il y a deux ans, à la Michodière, Le Trou dans le Mur m’apporta ce rôle d’Artémise que j’aimais tant et où je pouvais lâcher la bride à Pierry-Clown en même temps qu’à l’autre, dans les expansions amoureuses et débridées de la pauvre vieille folle104 » Elle a donc le sentiment d’avoir enfin accès à la tragédie ou plutôt à un mélange tragédie-comédie qui n’est pas tellement français mais qu’on trouve en revanche souvent dans la littérature anglaise de Shakespeare à Becket. (Rappelons qu’elle a interprété Maugham et Wilde avec succès) Ce côté « borderline » de sa personnalité sera évidemment exploité par Guitry dans la Vie d’un honnête Homme ou dans Le Comédien où elle joue des personnages cruels et névrosés, mais il l’utilisera surtout dans le personnage frénétique de MarieJeanne qui est victime de ce que les psychiatres appellent des « bouffées délirantes » et le suicide la tente, à un certain moment, dans Aux deux colombes. Au début de sa carrière, nous l’avons vu, elle avoue avoir eu plusieurs fois envie d’en finir. Elle sait parfaitement jouer la folie mais ce n’est peut-être pas par hasard. Le rapport de Marguerite Pierry au Trou dans le mur est assez rocambolesque et elle sera extrêmement déçue, deux ans après sa création en 1931, quand Barbieris lui préfèrera Marguerite Moreno pour l’adaptation de la pièce au cinéma. La robuste santé et la majesté incontournable de Marguerite Moreno convenaient moins bien au personnage que la fébrilité naturelle – voire la frénésie congénitale – de Marguerite Pierry. L’actrice aura portant sa revanche à l’écran car, vingt ans après sa création, en 1949, elle retrouva le rôle de sa chère Artémise et put enfin « lâcher la bride de Pierry-Clown». Le metteur en scène fut, hélas, le triste Couzinet avec lequel elle tournera plus tard Le Don d’Adèle en 1950 où elle sera encore une folle bourgeoise assez ridicule. On peut évidemment regretter qu’elle ait eu si souvent des metteurs en scène médiocres mais ils lui permettaient parfois, par leur manque de rigueur, de retrouver la liberté du cabaret et de créer, en solitaire, dans ces films en perdition, des numéros ébouriffants qu’un metteur en scène plus énergique eût peut-être censurés. Vecchiali dit en effet d’elle qu’elle « tire le rôle vers la folie pathétique » et admire « sa voix inimitable, chevrotante et fragilisée et son incroyable culot » qui « sauvent le film ». Il se « régale » littéralement en l’entendant dire : « Ma vie ressemble à un petit oiseau frileux105». On voit par là que son rôle au théâtre fut intimement mêlé à celui qu’elle joua au cinéma et on peut difficilement parler de l’un sans parler de l’autre.

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