Concept de base – L’accumulateur de Ruths
Du fait de la faible masse volumique de la vapeur, la stocker directement dans des réservoirs sous pression n’est pas envisageable pour la plupart des applications industrielles. Le concept de base de l’accumulateur de vapeur est ainsi de stocker la vapeur sous pression en équilibre thermodynamique avec un volume d’eau liquide : la masse volumique bien plus élevée de l’eau liquide permet un volume de réservoir bien moins important que si l’eau était stockée uniquement sous forme gazeuse. La chaleur latente de condensation de la vapeur, combinée à l’importante capacité thermique de l’eau liquide, bien plus élevée que celle de la vapeur, contribuent à la capacité de stockage [32]. Un accumulateur au repos contient un volume d’eau liquide surplombé par un volume de vapeur saturée (Figure 3). Les deux phases sont sous pression, à une température proche de la température de saturation de l’eau pour la pression en vigueur dans l’accumulateur. Selon le mode de fonctionnement le plus classique, la charge s’effectue en injectant de la vapeur dans la phase liquide, via un injecteur dédié immergé dans l’eau liquide [33].
La vapeur injectée se condense au contact du liquide ; la chaleur latente qu’elle libère augmente la température du volume d’eau liquide. Cela a pour effet d’augmenter la pression de saturation : un nouvel équilibre thermodynamique se crée dans le réservoir, caractérisé par une pression et une température plus élevées. La décharge s’effectue en faisant diminuer la pression du système, via une vanne située sur la conduite de sortie. De l’eau liquide va s’évaporer, produisant de la vapeur qui pourra être évacuée et récupérée. La pression de la vapeur obtenue diminue au cours de la décharge, à mesure que l’équilibre thermodynamique dans l’accumulateur se déplace de la pression haute atteinte en fin de charge vers la pression plus basse en sortie ; on parle de décharge en pression glissante. Lorsqu’un accumulateur de vapeur est utilisé sous cette forme et avec ce mode de fonctionnement, on parle d’accumulateur de Ruths [32], [33], du nom de son inventeur J. Ruths qui a breveté ce système sous cette forme en 1913. Figure 3 : Schéma d’un accumulateur de Ruths [32] La quantité de vapeur produite lors d’une décharge, et par voie de conséquence la densité énergétique de stockage de l’accumulateur, dépendent de manière importante de la chute de pression entre le début et la fin de la décharge : plus celle-ci est élevée, plus une quantité élevée d’eau liquide va pouvoir s’évaporer. Pour donner un ordre de grandeur, si l’on considère l’exemple d’un accumulateur chargé à 100 bar et déchargé à une pression de 55 bar, le modèle simple d’accumulateur de Ruths donné par Steinmann et Eck [32] prédit une production de 90 kg de vapeur pour 1m3 de volume d’eau liquide dans l’accumulateur. En termes de densité de stockage d’énergie, cela correspond à environ 36 kWh déchargés pour 1m3 d’eau liquide. D’après Steinmann et Eck, les accumulateurs de Ruths ont une densité de stockage allant généralement de 20 à 30 kWh.m-3 (rapporté au volume total de l’accumulateur).
L’accumulateur de Ruths est considéré comme une référence dans l’industrie pour le stockage de vapeur. De nombreux procédés industriels faisant intervenir de la vapeur utilisent des accumulateurs pour déphaser la production et l’utilisation de la vapeur, ou bien pour récupérer et valoriser de la vapeur rejetée par le procédé, normalement perdue. Parmi les applications industrielles utilisant des accumulateurs, on trouve la stérilisation d’aliments [11], des procédés de séchage [13], la métallurgie [14], la papeterie [12], ainsi que les centrales thermiques « classiques » exploitant des ressources fossiles [32]. Des accumulateurs sont utilisés aujourd’hui dans certaines centrales solaires thermiques GDV pour la production d’énergie, à savoir PS-10 et PS-20 (Séville, Espagne ; Figure 4-(a)) [34], [35], et Khi Solar One (Upington, Afrique du Sud ; Figure 4-(b)) [36]. Les accumulateurs de PS-10 atteignent en fin de charge une pression de 40 bar pour une température de 250°C (conditions nominales de la turbine à vapeur).
On trouve également des accumulateurs dans des centrales solaires GDV dont la fonction est de fournir de la vapeur à un procédé industriel ; on peut citer l’exemple des procédés de dessalement d’eau de mer [37] ou bien d’un procédé pour l’industrie pharmaceutique présenté par Berger et al. [38]. Cette technologie de stockage de vapeur a l’avantage d’être relativement simple techniquement ; elle ne fait pas intervenir de fluide caloporteur ni d’échangeurs de chaleur intermédiaires. Elle présente également l’intérêt notable de permettre des temps de réaction rapides lors de la décharge. Cela fait de l’accumulateur un bon candidat si l’objectif du stockage est de compenser une variation transitoire rapide du débit de vapeur dans le procédé dans lequel il se trouve (on parle de stockage tampon). Dans le cas d’une centrale solaire thermique, de telles variations peuvent être liées à des fluctuations d’ensoleillement de courte durée [34]. En contrepartie, le fait qu’un accumulateur produise de la vapeur dont la pression décroit au cours de la décharge est un inconvénient majeur. En effet, cela n’est pas idéal pour certaines applications (notamment les centrales solaires thermiques GDV) : si la vapeur est utilisée au sein d’un cycle thermodynamique, l’efficacité du cycle décroit lorsque la pression de la vapeur diminue [32], [34]. Par ailleurs, la vapeur produite en décharge est nécessairement saturée ; si le procédé consommateur de vapeur a besoin de vapeur surchauffée, une solution pour surchauffer la vapeur extraite de l’accumulateur doit être installée (des exemples de telles solutions sont donnés dans la section II.1.1.2.2).
Les accumulateurs présentent également l’inconvénient de ne pas être compétitifs économiquement lorsqu’il s’agit d’installer une importante capacité de stockage [40]. Pour l’application des centrales solaires thermiques, Gonzalez-Roubaud et al. [41] montrent qu’une centrale utilisant du sel fondu comme fluide caloporteur, avec un système de stockage sensible adapté, est plus compétitive qu’une centrale GDV avec des accumulateurs de vapeur, pour une même capacité de stockage. Prieto et al. [42] comparent les performances et les coûts économiques de trois systèmes de stockage différents pour les centrales GDV, utilisant des accumulateurs de vapeur ou bien un système de stockage de vapeur par MCP. Ils montrent qu’une solution avec accumulateurs (seuls ou accompagnés d’un système de stockage sensible) est intéressante lorsque la capacité de stockage installée est inférieure à 3 heures. Pour une capacité plus importante, remplacer les accumulateurs par un système de stockage par MCP augmente la production annuelle de 15%, tout en réduisant de 12% environ le coût total de la centrale. Les auteurs expliquent ce résultat par le fait que le débit de charge des accumulateurs est limité, du fait de contraintes liées à leur intégration dans la centrale. Par ailleurs, un système de stockage par MCP présente l’avantage de permettre une production de vapeur en décharge à des conditions plus proches du fonctionnement nominal de la turbine
. Du fait de ces contraintes techniques et économiques, les capacités de stockage installées sur les centrales GDV actuellement en fonctionnement dans le monde sont relativement faibles. Les quatre accumulateurs de la centrale PS-10 (Figure 4-(a)) ont une capacité totale de 20 MWh, et permettent à la centrale de fonctionner sans ensoleillement pendant 50 minutes à 50% de la capacité nominale de la turbine [35]. La centrale Khi Solar One a une autonomie de 2 heures, permise par 19 accumulateurs (Figure 4-(b)). Sa production nominale étant de 50 MW [39], on peut estimer la capacité de stockage à 100 MWh minimum. A titre de comparaison, d’autres centrales solaires thermiques ayant un système de stockage sensible à base de sels fondus ont une capacité de stockage pouvant dépasser 1000 MWh [43]–[45]. Cela leur permet de produire de l’électricité quelle que soit l’heure de la journée, le stockage seul permettant d’assurer une production pendant la nuit. Le manque de compétitivité économique des accumulateurs de vapeur pour les grandes capacités de stockage est probablement à imputer au coût économique individuel d’un accumulateur. Celui-ci est probablement élevé, du fait des importantes contraintes mécaniques dues à la pression de plusieurs dizaines de bars sous laquelle est stockée la vapeur : une grande épaisseur de paroi est nécessaire. Cette même raison rendrait difficile également la construction d’accumulateurs de grande taille.
Variantes pour d’autres applications que le stockage de vapeur
Des accumulateurs de vapeur aux caractéristiques particulières sont utilisés dans le secteur militaire, au sein de systèmes de catapultage présents sur les porte-avions [47], [50]. Ces systèmes permettent aux avions militaires d’acquérir une vitesse suffisante pour décoller depuis la piste d’un porte-avions, trop courte pour que l’avion décolle à l’aide de ses moteurs seuls. De la vapeur à haute pression est utilisée pour propulser à haute vitesse une pièce métallique reliée à l’avion ; cette vapeur est fournie par un accumulateur. De tels accumulateurs ont pour particularité d’avoir un cycle de charge et de décharge de très courte durée. Il est en effet nécessaire d’expulser une grande quantité de vapeur sur un temps très court afin de permettre à un avion de plusieurs tonnes de décoller. Beckmann et Gilli [47] donnent un ordre de grandeur de 2,5 s pour la décharge de vapeur et indiquent en outre qu’un décollage consomme environ 850 kg de vapeur. Du fait de la grande rapidité des charges et décharges, celles-ci se font hors équilibre thermodynamique [47], [51]. Une autre particularité de ce type d’accumulateurs est que la quantité d’eau liquide peut y être plus basse que dans un accumulateur classique ; dans certains cas, un accumulateur aéronautique peut ne contenir que de la vapeur en début de décharge [47].
Cela est dû au fait que la fonction de ces accumulateurs est moins de stocker de l’énergie que de permettre une libération d’une grande quantité de vapeur en un temps très court ; dans un accumulateur classique, plus focalisé sur la capacité de stockage, le volume d’eau liquide y contribue au premier ordre. Sun et al. [51] indiquent que, lors de la conception d’accumulateurs pour catapultes, le choix du niveau liquide résulte d’un compromis entre la capacité de stockage (et donc de fourniture) de vapeur et le temps de cycle charge / décharge. Dans certains procédés industriels, des accumulateurs peuvent être utilisés pour stocker de la chaleur non liée à un effluent de vapeur. On intègre alors un échangeur de chaleur dans l’accumulateur, dans lequel circule un fluide caloporteur intermédiaire qui transmet (en charge) ou récupère (en décharge) de la chaleur de l’eau liquide contenue dans l’accumulateur [47]. Le stockage devient alors indirect, l’eau (liquide et vapeur) contenue dans l’accumulateur étant utilisée uniquement comme milieu de stockage de chaleur, et non directement dans le procédé. Steinmann et Eck [32] indiquent qu’il est envisageable d’utiliser des accumulateurs dont la charge de chaleur est effectuée de manière indirecte, dans les procédés solaires où le fluide caloporteur n’est pas de l’eau, par exemple dans les centrales solaires thermiques qui utilisent de l’huile comme fluide caloporteur. En intégrant un échangeur dans le volume d’eau liquide, l’huile chaude provenant du champ solaire peut venir transmettre sa chaleur à l’eau de l’accumulateur. La décharge peut ensuite s’effectuer de manière classique en extrayant de la vapeur, pour alimenter la turbine (Figure 8).
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