Variables associées aux ruptures amoureuses chez les jeunes
Si les amours de jeunesse sont généralement perçus comme étant frivoles, c’ est en partie dû au fait que ceux-ci sont souvent éphémères. Cette section permettra de mieux comprendre les enjeux liés aux relations amoureuses à l’adolescence, de même que les variables associées aux ruptures à cet âge. Nous tenterons également de voir en quoi celles-ci diffèrent de celles des adultes. Jusqu’ ici, les causes de ces ruptures ont été très peu étudiées (Connolly & McIsaac, 2009). Ce que nous en savons provient en grande partie des études réalisées auprès d’adultes ayant connu un divorce (Amato & Previti, 2003). Typiquement, les relations romantiques des adolescents persisteraient rarement audelà d’une année et beaucoup se termineraient au bout de quelques mois, voire de quelques semaines (Seiffge-Krenke, 2000; Shulman & Scharf, 2000; Zimmer-Gembeck, 1999). Lorsqu ‘ils atteignent l’âge de 18 ans, la maj orité des jeunes rapportent avoir déj à vécu au moins une rupture amoureuse (Collins, Welsh, & Furman, 2009). Les jeunes adolescents seraient davantage nombreux que leurs pairs plus âgés à avoir connu une séparation au cours de la dernière année (Connolly & Mclsaac, 2009).
De façon globale, ces chiffres suggèrent que les ruptures font partie intégrante de l’expérience sociale vécue au cours de l’adolescence. Selon une étude réalisée par Trottier et Bélanger (2000) auprès de 100 jeunes québécois âgés en moyenne de 15,7 ans, un répondant sur trois avait vécu une peine d’amour au cours des six derniers mois. De façon plus générale, un peu plus de la moiÙé des adolescents interrogés rapportaient avoir connu de deux à quatre peines d’amour jusque-là. Celles-ci apparaissent comme étant plus fréquentes chez les filles (73 % rapportent avoir vécu des peines d’amour), comparativement aux garçons (55 %). Bien qu’elles soient communes, les peines d’amour n’empêchent pas la plupart des adolescents de se réengager dans de nouvelles relations, et ce, souvent à l’ intérieur d’un court délai. Pour la plupart, la peine d’amour serait de courte durée (Trottier & Bélanger, 2000). Plusieurs facteurs sont susceptibles d’ influencer la durée de la peine d’ amour, notamment l’ intensité de l’amour ressenti pour l’autre, la durée de la relation et les circonstances de la rupture. Plusieurs raisons sont évoquées par les jeunes lorsque vient le temps de justifier leur séparation. Parmi les plus communes répertoriées dans l’ étude de Battaglia, Richard, Dateri et Lord (1998), on retrouve le fait de ne plus être amoureux, d’éprouver des sentiments pour quelqu’un d’autre ou de ne plus se sentir aimé, l’absence de points communs entre les partenaires, le désir d’autonomie, le peu de temps passé avec l’ autre (en quantité et en qualité), l’absence de romance et le manque de soutien et d’ouverture de l’ autre. Par ailleurs, les adolescents présentant des problèmes comportementaux ou psychosociaux seraient davantage à risque de s’ investir dans des relations romantiques instables (Shulman, Tuval-Mashiach, Levran, & Anbar, 2006).
Personnalité à l’adolescence
L’adolescence et le début de l’âge adulte constituent des phases de la vie où les changements et les défis sont considérables. Une majorité y vivra leur premier amour, premIer emploi, déménagement de la maIson familiale, choix de carrière, etc. Parallèlement, les adolescents doivent s’ajuster aux changements biologiques tels que les changements hormonaux, physiques et neuronaux qui surviennent au cours de la puberté. Bien que la plupart des jeunes traversent l’adolescence sans trop de difficultés, elle n’en demeure pas moins une période exigeante en termes d’adaptation et d’ajustement (Hollenstein & Lougheed, 2013). Certains chercheurs (p. ex., Lewis, 1999) ont mis en lumière l’importance de cette période de transition, au cours de laquelle la personnalité serait particulièrement propice à se modifier. L’approche contextuelle (Lewis, 1999) met l’emphase sur l’importance des transitions de vie et des changements de rôles dans le développement de la personnalité. Selon cette approche, il est attendu qu’à la fin de l’adolescence et au début de l’âge adulte, la personnalité soit fluide et propice au changement (Lewis, 1999). Les nouveaux rôles dans lesquels s’engagent les jeunes impliquent de nouvelles expériences, réussites, épreuves et relations, qui à leur tour génèrent des changements dans les pensées, émotions et comportements, lesquels se traduisent avec le temps par des changements dans la personnalité (Roberts & Wood, 2006).
D’un point de vue développemental, les changements dans les traits de personnalité principaux seraient normatifs et reliés aux parcours de vie (Baltes, 1987). Tout comme chez les adultes, les traits de personnalité des jeunes seraient organisés de façon hiérarchique (Soto & John, 2014). Toutefois, il y aurait des différences importantes entre la structure de personnalité des jeunes et celle des adultes. L’une de ces différences concerne la corrélation entre certains traits du modèle en cinq facteurs. Par exemple, Soto et Tackett (2015) ont découvert que les dimensions agréabilité et caractère consciencieux sont fortement et positivement corrélées l’une avec l’autre chez les adolescents. Leur recherche a également fait ressortir une relation positive considérable entre le caractère consciencieux et l’ ouverture à l’ expérience, deux dimensions de la personnalité distinctes parmi les adultes. Une autre différence observée entre la structure de personnalité adulte et celle des adolescents concerne le niveau de base de la hiérarchie des traits. Dans une étude réalisée par Tackett et al. (2011) auprès de 3000 enfants et jeunes adolescents provenant de cinq pays, incluant le Canada, seulement trois des traits du modèle en cinq facteurs (agréabilité, extraversion et ouverture à l’ expérience) ont pu être reproduits de façon constante à travers les groupes. Les études longitudinales actuelles font ressortir des différences significatives d’un individu à l’ autre lorsqu’ il est question de changements liés aux traits de personnalité au cours de la transition de l’enfance à l’adolescence (McCrae et al. , 2002; Soto et al., 2016).
Alors que certaines études prétendent à un accroissement de certains traits, comme l’ extraversion (Klimstra et al. , 2009), d’autres affirment que ces mêmes traits diminuent (Branje, van Lieshout, & Gerris, 2007; Soto, John, Gosling, & Potter, 2011) au contraire, alors que d’autres ne relèvent aucun changement significatif (McCrae et al., 2002). Ce manque de consistance à travers les études peut s’ expliquer, entre autres, par le fait que toutes n’utilisent pas les mêmes méthodes ~’évaluation (p. ex., certaines utilisent des questionnaires autorapportés alors que d’autres utilisent des questionnaires complétés par les parents ou les enseignants), de même que par le fait que les échantillons peuvent différer par leurs caractéristiques (Gollner et al., 2016). Plusieurs recherches, dont une méta-analyse combinant les résultats de 14 études (Denissen, van Aken, Penke, & Wood, 2013), ont démontré que la transition biologique, sociale et psychologique de l’enfance à l’adolescence est accompagnée d’un déclin temporaire de certains aspects de la·personnalité. Ainsi, les niveaux moyens d’agréabilité, de caractère consciencieux et d’ouverture à l’expérience déclineraient dès la fin de l’enfance et au début de la puberté, pour ensuite augmenter rapidement à la fin de l’adolescence et au début de l’âge adulte.
Personnalité et rupture
L’influence de la personnalité sur la satisfaction amoureuse et la qualité des unions n’est plus à démontrer. Jusqu’à récemment, toutefois, peu d’études s’étaient penchées sur les processus par lesquels la personnalité contribue à la dissolution des relations. Les résultats d’une étude longitudinale de Solomon et Jackson (2014) menée auprès de plus de 4000 couples suggèrent que la personnalité joue un rôle significatif dans l’adaptation aux différents événements de vie. Par le fait même, celle-ci façonne la qualité globale de la relation amoureuse, qui influence à son tour la probabilité de vivre une rupture. La qualité de l’union est façonnée, jour après jour, par les interactions entre les partenaires, c’est-à-dire la façon dont chacun communique avec l’autre et par les modèles comportementaux qui régissent ces interactions (Donnellan, Assad, Robins, & Conger, 2007). Les traits de personnalité peuvent prédire, par exemple, la nature des interactions quotidiennes entre les conjoints, incluant la fréquence à laquelle l’humour, les marques d’affection, les accords, les gestes de colère, de contrôle ou encore les mauvaises habiletés de résolution de problèmes sont utilisés (Donnellan et al. , 2007). De nombreuses études ont démontré que les traits de personnalité des partenaires permettent de prédire combien de temps un couple va durer. Ces résultats ont été répliqués à travers des études impliquant des échantillons d’âges et de cohortes différents (Roberts, Kuncel, Shiner, Caspi, & Goldberg, 2007).
Les traits de névrosisme (élevé), le caractère consciencieux (faible) et l’agréabilité (faible) figurent parmi les prédicteurs psychologiques de divorce les plus importants, surpassant même, selon Roberts et al. (2007), les effets du statut socioéconomique et du potentiel intellectuel. En fait, le névrosisme est considéré comme l’un des facteurs de personnalité les plus forts et les plus constants d’ insatisfaction conjugale, de conflits, d’abus et, ultimement, de rupture amoureuse (Karney & Bradbury, 1995). De façon générale, selon Solomon et Jackson (2014), les traits de personnalité pourraient prédire la satisfaction envers la relation, et ce, indépendamment du type de relation (fréquentation, nouveaux mariés, couples de longue date, etc.), de l’âge des partenaires et de la durée de la relation. Certains auteurs ont également démontré que le niveau de satisfaction d’un partenaire, au sein du couple, est influencé par les traits de personnalité de l’autre, en dépit de ses propres traits (Malouff, Thorsteinsson, Schutte, Bhullar, & Rooke, 2010). Cet impact serait dû au fait que certains traits influencent directement la relation, et par conséquent peuvent améliorer ou détériorer les expériences relationnelles quotidiennes de l’un des partenaires (Malouff et al. , 2010). Par exemple, un partenaire ayant un niveau élevé de névrosisme pourrait être enclin à s’engager dans des modèles de communication négatifs, tandis qu’un partenaire ayant un niveau élevé d’agréabilité serait plutôt porté à adopter des modèles de communication positifs (Donnellan, Conger, & Bryant, 2004). Ainsi, les traits de personnalité du conjoint teintent jour après jour la nature des interactions, influençant par le fait même la qualité de la relation et, ultimement, le degré de satisfaction envers celle-ci (Malouff et al., 2010). 39 Malheureusement, à ce jour, aucune étude spécifique n’a été recensée sur la personnalité et les ruptures à l’adolescence.
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