Zones de minimum d’oxygène
La concentration en oxygène dissous aux profondeurs intermédiaires, dans les océans, dépend des apports par advection et diffusion, et de la consommation de l’oxygène lors de la dégradation de la matière organique produite en surface. Les gyres océaniques (immenses tourbillons d’eau formés d’un ensemble de courants liés à la force de coriolis) ont une concentration en oxygène relativement élevée du fait d’une circulation intense, et d’une faible productivité en surface. Ces gyres océaniques ne sont pas symétriques et le déplacement des masses d’eaux est plus lent sur les bordures Est des océans. A l’extérieur de ces gyres, et notamment sur les bordures Est, le faible renouvellement des masses d’eau intermédiaires combiné à une productivité élevée, entraîne la formation de zones de minimum d’oxygène (Oxygen Minimum Zone ou OMZ ; Figure I.1).
Les OMZ sont définies par des concentrations en oxygène dissous comprises entre 0μmol/l, et 10μmol/l (≈0,2ml/l) à 40 μmol/l (≈0,8ml/l) selon les zones, les auteurs et les processus considérés [Paulmier et Ruiz-Pino, 2009]. On retrouve ces OMZ le long des marges Est océaniques, dans les basses latitudes de l’Atlantique et du Pacifique, ainsi qu’en mer d’Arabie et dans le golfe du Bengale (Figure I.1.). Les organismes marins, notamment la macrofaune, ont besoin d’une concentration en oxygène suffisante pour maintenir leur activité biologique. L’extension verticale des OMZ fait peser une menace sur les stocks de pêche en comprimant l’habitat des espèces marines [Brewer et Peltzer, 2009; Stramma et al., 2010b]. De plus, la forte concentration en carbone inorganique dissous (Dissolved Inorganic Carbon, DIC) dans les OMZ, liée à la reminéralisation de la matière organique [Paulmier et al., 2011], modifie les équilibres physico-chimiques des carbonates, et favorise la dissolution de l’aragonite et de la calcite [Feely et al., 2002], avec un impact direct sur les organismes calcifiants.
Les OMZ peuvent relarguer des gaz à effet de serre (CO2 et N2O) lors de la remontée de ces masses d’eau vers la surface durant les épisodes d’upwellings [T. Takahashi et al., 1988]. C’est par exemple le cas de l’OMZ au large du Chili [Paulmier et al., 2008]. L’étude des OMZ revêt donc une importance toute particulière dans le cadre des changements climatiques actuels, liés aux perturbations anthropiques du cycle du carbone. La position, l’intensité, et la forme des OMZ dépendent à la fois de la productivité marine et de la circulation océanique (I.1.3.), en lien étroit avec la circulation atmosphérique globale (I.1.2.), mais l’augmentation des températures affecte la solubilité des gaz et la stratification des masses d’eau, ce qui influence la concentration en oxygène dans les océans. Au cours des dernières années, différentes études ont montré un renforcement de ces OMZ en termes d’extension latérale et verticale, dans la plupart des océans [Stramma et al., 2008; Stramma et al., 2010b]. Ces évolutions récentes sont attribuées aux changements climatiques en cours. L’augmentation des températures de surface entraîne une diminution de la solubilité de l’oxygène, qui, combinée avec des modifications de la circulation océanique, réduit les apports en oxygène vers les OMZ [Stramma et al., 2008]. La concentration en oxygène est donc extrêmement sensible aux changements physiques et biologiques dans les océans. Par conséquent, la concentration en oxygène des océans est un paramètre clé pour une meilleure compréhension des forçages et rétroactions internes qui influent sur le climat global.
Circulation océanique
L’hydrologie de surface et subsurface de la zone étudiée est sous l’influence directe des deux grands systèmes de courants du Pacifique Nord en relation avec la circulation atmosphérique générale : le gyre océanique au nord, et le système de courants équatoriaux au sud [Hickey, 1998] (I.1.3, Figure I.5). La carotte MD02-2508 a été prélevée au large de la pointe de Basse Californie correspondant à la limite sud de l’extension du California Current (CC, Figures I.5. et I.7.). Le CC transporte en surface (0-400 m) des eaux froides, peu salées (33 p.s.u.), et bien ventilées (O2>4ml/l), depuis les hautes latitudes du Pacifique Nord jusqu’à environ 20°N, avant de diverger vers l’Ouest [Durazo, 2009] (Figure I.7.). Le CC correspond donc à la limite est du gyre Nord Pacifique. Les NPIW formées aux hautes latitudes du Pacifique Nord occupent la partie inférieure de la colonne d’eau du Pacifique Nord (≈ 500-1000 m), et présentent une salinité plus élevée (34,2 p.s.u.) que les eaux du CC (Figure I.7.). Le refroidissement intense et la formation de glace dans les mers d’Okhotsk et de Béring contribuent à la formation des NPIW [L. D. Talley, 1991; K. Takahashi, 1998; Shcherbina et al., 2003]. La forte productivité le long de la côte Nord Est Pacifique entraîne une diminution de la concentration en oxygène de cette masse d’eau pour former l’OMZ de l’Eastern SubTropical North Pacific (ESTNP, Figure I.7.) [Paulmier et Ruiz-Pino, 2009]. La carotte MD02-2508 a donc été prélevée dans une zone baignée par les NPIW, en limite sud de l’ESTNP et en limite nord de l’ETNP (voir le paragraphe suivant). Au sud de 20°N, les eaux intermédiaires (100-1000 m) présentent des salinités plus élevées (34,5 à 35 p.s.u., Figure I.7.). Cette masse d’eau, désignée par le terme d’Equatorial Subsurface Water [Durazo et Baumgartner, 2002] ou Equatorial Pacific Intermediate Water [Bostock et al., 2010] (ESsW ou EqPIW), est issue du mélange avec les PDW, qui remontent vers la surface à la faveur de l’upwelling équatorial, et de masses d’eaux intermédiaires formées aux hautes latitudes de l’hémisphère Sud (Figure I.7., I.1.3, voir aussi le paragraphe suivant) [Bostock et al., 2010].
En subsurface, le système complexe de courants équatoriaux régit les apports en oxygène. L’Equatorial Under Current (EUC) transporte les eaux de subsurface relativement bien ventilées d’ouest en est, entre 50 et 300 m de profondeur (Figure I.7.). Les North and South Equatorial CounterCurrent (N/SECC) ventilent le Pacifique Est dans la même tranche de profondeur que l’EUC entre 3°Net 8°N et entre 7°S et 10°S [Tomczak et Godfrey, 2003]. Les contre-courants de subsurface Nord et Sud (North/South Subsurface CounterCurrent, N/SSCC) alimentent en oxygène les profondeurs intermédiaires du Pacifique Est équatorial (entre 2°S et 5°S et entre 2°N et 5°N, entre 300 m et 700 m de profondeur) [Tomczak et Godfrey, 2003; Stramma et al., 2010a]. Dans le même temps, les North/South Equatorial CounterCurrent (NEC et SEC) transportent les eaux appauvries en oxygène vers l’ouest [Tomczak et Godfrey, 2003; Stramma et al., 2010a] depuis la surface, jusqu’aux profondeurs intermédiaires (1000 m) [Tomczak et Godfrey, 2003]. La forte productivité combinée avec de faibles apports en oxygène provoque une anoxie (2ml/l<O2<0ml/l) dans la colonne d’eau dans les EqPIW pour former les OMZ de l’Eastern Tropical North Pacific (ETNP) entre environ 25°N et 8°N, et de l’Eastern South Pacific (ESP) au sud, entre environ 25°S et 5°S [Paulmier et Ruiz-Pino, 2009] (Figure I.7.). La carotte MD02-2524 a été prélevée au coeur de l’OMZ dans l’ETNP. Enfin, les profondeurs intermédiaires du Pacifique Sud (500 m-1000 m) sont occupées par les AAIW combinés aux SubAntarctic Mode Water ou South Pacific Mode Water (SAMW/SPMW, Figure I.7.), et sont les précurseurs des EqPIW [Bostock et al., 2010]. Le bilan précipitation/évaporation déficitaire contribue à augmenter la salinité dans le Pacifique sud (Figure I.7.). Une partie de ces eaux est advectée au niveau de l’équateur par le New Guinea Coastal UnderCurrent (NGCUC) et se trouve reprise et transportée vers l’est dans le système de courants équatoriaux, en particulier l’EUC [Tomczak et Godfrey, 2003] (Figure I.7.).
Variabilité des OMZ à l’échelle des cycles glaciaires/interglaciaires
La combinaison des différents paramètres orbitaux avec des rétroactions internes au système climatique sont responsables des variations climatiques à l’échelle glaciaire/interglaciaire. Les variations de l’insolation aux moyennes et basses latitudes sont principalement contrôlées par la précession des équinoxes. Les climats de mousson (cf. 1.2) sont liés aux variations saisonnières de l’intensité du rayonnement solaire (Figure I.3., I.1.2.). On peut donc supposer qu’il existe un lien entre les variations de l’intensité du rayonnement solaire à l’échelle de la précession (soit une cyclicité de l’ordre de 22000 ans [Berger et Loutre, 1991]) et le climat des basses latitudes. La relation entre précession et climat aux basses latitudes à été mise en évidence par une multitude d’études sur des archives climatiques variées tel que les spéléothèmes [Y. Wang et al., 2008] ou les carottes sédimentaires marines [Schulte et al., 1999; Pailler et al., 2002; Ziegler et al., 2010; Caley et al., 2011; Tachikawa et al., 2011] (voir en annexe). Des modifications des climats de mousson sont susceptibles d’impacter les conditions hydrologiques en milieu continental, le régime des vents ainsi que la productivité marine, la circulation océanique, et donc les OMZ. Différentes études ont montré que la productivité primaire en mer d’Arabie et dans l’océan Indien était régulée par l’intensité des vents de mousson, par le biais des upwellings côtiers [Schulte et al., 1999; Schulte et Muller, 2001; Pailler et Bard, 2002; Pailler et al., 2002; Clemens et Prell, 2003]. L’étude de la Carotte MD90-0963 indique que l’intensité de la productivité (basée sur l’abondance de Florisphaera Profunda, ou sur les assemblages de foraminifères) du nord de l’océan Indien a varié avec une cyclicité de 23000 ans [Beaufort et al., 1997; Cayre et al., 1999] (Figure I.8.), en lien avec des modifications de la mousson, et a régulé l’oxygénation des sédiments marins [Pailler et al., 2002]. Le lien entre la précession, la mousson et la productivité est confirmé par une étude plus récente portant sur l’analyse de la carotte MD04-2861 prélevée en Mer d’Oman [Caley et al., 2011]. Pourtant, les enregistrements suffisamment longs pour évaluer la variabilité orbitale, obtenus à l’intérieur de l’OMZ de la mer d’Arabie (par exemple la carotte 88-93KL, Figure I.8.), ne varient pas de manière significative à l’échelle de la précession, mais montrent des variations millénaires de forte amplitude [Schulz et al., 1998].
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