Variabilité climatique récente de l’Antarctique

Variabilité climatique récente de l’Antarctique

 L’analyse des carottes de glace

 Les forages profonds 

Théorie de Milankovitch : Cette théorie explique l’alternance de cycles glaciaires10 interglaciaires, par des calculs de l’ensoleillement incident modulé par trois paramètres orbitaux (Berger, 1988)5 : l’excentricité de l’orbite terrestre, qui fluctue avec des périodicités de l’ordre de 100 et 400 000 ans, l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre (ou obliquité), dont la périodicité approximative est de 41 000 ans, et la précession présentant une double périodicité à 19 000 et 23 000 ans. 15 Les recherches scientifiques en Antarctique initiées lors de l’AGI en 1957-1958 ont pris un essor avec le début de l’analyse des carottes de glace (Lorius et al., 1969). Ces archives ont le potentiel de témoigner des climats passés lointains. Les carottes recouvrant les plus longues périodes ont été forées à la station Vostok, reconstituant 420 000 ans (Petit et al., 1999), au 20 Dôme F reconstituant 700 000 ans (Kawamura et al., 2017), et à Dôme C, dans le cadre du projet EPICA (« European Project for Ice Core in Antarctica », Jouzel et al., 2007), remontant 800 000 ans de l’histoire du climat Antarctique. Leur analyse ont permis de reconstituer la température de surface de l’Antarctique grâce au thermomètre isotopique (cf. Section 1.4.1), ainsi que les concentrations en gaz à effet de serre (dioxyde de carbone et méthane) contenus 25 dans les clathrates de la glace (Lüthi et al., 2008). Ces enregistrements montrent qu’au cours des derniers 800 000 ans, la Terre a expérimenté des cycles glaciaires d’une durée moyenne de 100 000 ans, interrompus de courtes phases interglaciaires (10 000 – 30 000 ans), qui s’expliquent par la réponse du système climatique aux variations de répartition de l’ensoleillement, pilotées par les paramètres astronomiques de Milankovich* (Berger, 1988). 30 Ce forçage astronomique étant calculé avec précision sur cette période, l’étude des variations glaciaires-interglaciaires permet de caractériser les rétroactions climatiques à l’œuvre (qui intègrent le couplage entre climat et cycle du carbone), et de caractériser la variabilité naturelle du climat. Ces longues séries de données permettent de mettre en perspective les évolutions récentes et ainsi de caractériser la perturbation anthropique de la composition de l’atmosphère planétaire (Etheridge et al., 1998). 

Carottes de névé

 Des efforts importants pour obtenir des carottages de névé ont été mis en place dans les années 1990 en Antarctique (e.g. Isaksson and Karlén, 1994), motivés par le contexte du changement climatique, pour caractériser la variabilité spatio-temporelle du climat et du bilan de masse de surface de l’Antarctique au cours des dernières décennies (Abram et al., 2013; cf. Section 1.1.1), complétant ainsi les informations parcellaires issues des enregisterments instrumentaux (cf. 10 Sections 1.2.1 et 1.2.3) et les informations de long terme issus de forages profonds. Ainsi, le programme internationnal ITASE6  a été mis en place avec pour objectif principal de caractériser la variabilité spatio-temporelle du climat de l’Antarctique (accumulation, température et circulation atmosphérique) sur les deux cent 15 dernières années (Mayewski and Goodwin, 1997). Par rapport aux forages profonds, ces carottes courtes requièrent une logistique plus légère, de sorte que plusieurs carottes peuvent être extaites localement, permettant ainsi d’extraire un signal régional et d’étudier le rapport signal sur bruit (Schlosser et al., 2014; Altnau et al., 2015). Enfin, étudier le signal enregistré dans des carottes de névé est un moyen efficace d’explorer le potentiel des enregistrements 20 climatiques de certains sites pour y poursuivre des forages profonds (Fernandoy et al., 2012; Caiazzo et al., 2016). Dans les régions côtières où l’accumulation est la plus élevée (75 % de l’accumulation totale; Agosta, 2012), l’extraction d’un signal issu de carottes de glace peut être obtenue à l’échelle saisonnière (e.g. Isaksson and Karlén, 1994; Kreutz et al., 1999; Delmotte et al., 2000; Inoue et 25 al., 2017), permettant ainsi l’exploitation des mécanismes responsables de la variabilité climatique saisonnière (e.g. Fernandoy et al., 2018). 

 Zoom sur les carottes de névé côtières de l’Antarctique de l’Est 

La majorité des carottes de névé côtières forées en Antarctique de l’Est proviennent de la Terre de la Reine-Maud (cf. Fig. 1.2). C’est dans cette région que les premières extractions de carottes 30 de névé ont été effectuées (Isaksson and Karlén, 1994), et se sont continuellement poursuivies 6 Cette collaboration regroupait initialement 12 pays (Angleterre, Australie, Canada, Chine, Etats-Unis, France, Italie, Allemagne, Japon, Russie, Suède, et Suisse) puis s’est amplifiée, rejoints par l’Argentine, la Belgique, Brésil, le Chili, la Corée du Sud, la Hollande, l’Inde, la Norvège, et la Nouvelle-Zélande. CHAPITRE 1: Introduction 35 Les isotopes stables de l’eau : définition Les atomes sont caractérisés par leur nombre de protons, et définis par le numéro atomique Z, et de neutrons contenus dans leur noyau. La somme du nombre de protons et de neutrons est indiqué par le nombre de masse A. A l’état naturel, un atome existe sous différentes formes 5 se distinguant par leur nombre de neutrons et donc leur masse A, et appelés isotopes. La molécule d’eau est thermodynamiquement stable sous la forme 1H2 16O, composée des isotopes d’hydrogène et d’oxygène majoritaires 1H et 18O. Néanmoins, se trouve sur Terre aussi sous des formes isotopiques métastables plus lourdes, composée des isotopes de l’hydrogène et de l’oxygène, 2H (ou D, appelé deutérium) , 18O et 17O (cf. Tableau 1.2) : 1HD16O, 1H2 18O, et 1H2 17 10 O.

Les isotopes stables de l’eau

 Dans la partie précédente, j’ai souligné l’intérêt de l’utilisation des carottes de glace pour la 15 reconstruction des climats passés de l’Antarctique. Au cours de ma thèse, je me suis particulièrement intéressée aux enregistrements des isotopes de l’eau. Pour faciliter la lecture de la suite du manuscrit, j’explique brièvement dans cette section la théorie des isotopes de l’eau, la limite de nos connaissances et de leur utilisation. 

 Le thermomètre isotopique remis en question 

 La relation isotope – température La relation empirique qui lie la température de surface aux paramètres isotopiques du premier ordre (δD, δ 18O) a été établie par Lorius and Merlivat (1975) à la suite de mesures effectuées sur de la neige fraîche le long d’un transect entre DDU et Dôme C en Terre Adélie. En effectuant une régression linéaire entre les températures de surface et les mesures de δD, ils ont obtenu une pente de 6,04 ‰ °C-1 25 . Appliquée sur des mesures effectuées sur l’ensemble de l’Antarctique, non seulement dans de la neige mais aussi dans des précipitations et des carottes de glace, Masson-Delmotte et al. (2008) ont obtenu une pente de 6,34 ± 0,09 ‰ °C-1 (r2=0,91, n=547) pour δD, et de 0,80 ± 0,01 ‰ °C-1 pour δ 18O (r 2=0.92, n=745, cf. Fig. 1.10). Cette relation, utilisée pour les reconstructions de température à partir des analyses isotopiques 30 effectuées le long des carottes de glace, est connue sous l’appellation de « thermomètre isotopique ». Théoriquement, cette relation s’explique par la prédominance du fractionnement à l’équilibre lors de la dernière condensation de la masse d’air, en prenant en compte la particularité de la CHAPITRE 1: Introduction 39 relation linéaire qui lie la température de condensation (i.e. température d’inversation) à la température de surface en Antarctique (Phillpot and Zillman, 1970; Connolley, 1996). Les relations obtenues par Masson-Delmotte et al. (2008) reposent sur des mesures distribuées sur l’Antarctique, elles sont dites « spatiale ». Ce thermomètre isotopique est utilisé pour 5 reconstruire les températures passées, mais repose sur un certain nombre d’hypothèses qui peuvent être matière à débats. Limite du thermomètre isotopique Utiliser le thermomètre isotopique, c’est faire l’hypothèse majeure que les variations de 10 température de surface intervenant dans le fractionnement de la dernière condensation est la seule origine des variations de la composition isotopique des précipitations qui en sont issues, et donc que toutes les autres lois physiques régissant l’évolution des masses d’air au cours de leur existence sont invariables, et que le signal isotopique atmosphérique est préservé lors de son archivage dans la glace. 15 (i) La distribution dans le temps des précipitations Le thermomètre isotopique repose tout d’abord sur l’hypothèse que les précipitations suivent une distribution statistique uniforme à l’échelle inter-annuelle. Or la circulation synoptique peut changer d’une année à l’autre (e.g. Masson-Delmotte et al., 2003), entraînant davantage 20 d’intrusions marines d’air chaud et humide associées à de plus fortes précipitations certaines années, ou à l’inverse favorisant la prédominance de régimes de temps froids et secs, comme le montre Schlosser et al. (2016) pour les années 2009 et 2010 à Dôme C. Enfin, d’autres auteurs ont montré, en utilisant des modèles de circulation générale de l’atmosphère intégrant la  représentation des isotopes stables de l’eau (cf. Section 2.3), que différentes variations climatiques induisent un changement de l’intermittence des précipitations. Par exemple, Krinner and Werner (2003) ont montré qu’un tel changement au cours du dernier maximum glaciaire comparé à aujourd’hui, au Groenland, pourrait expliquer la différence entre la 5 reconstruction de température obtenue pour cette période à partir des enregistrements isotopiques issus des carottes de glace, avec celle obtenue à partir des profils de température mesurés dans les trous de forage (Dahl-Jensen et al., 1998). Pour l’Antarctique, les simulations glaciaires suggèrent que le thermomètre isotopique spatial reste valide dans une gamme de conditions climatiques entre un état glaciaire et pré-industriel (Werner et al., in press). En 10 revanche, pour des climats plus chauds, les simulations de Sime et al. (2008) en réponse à une augmentation future de la concentration atmosphérique en CO2 ont montré que cela induit, en Antarctique, une pente isotope-température de moitié plus faible que le gradient spatial moderne. Enfin, Schmidt et al. (2007) ont effectué une simulation à partir d’un modèle couplé atmosphère-océan pour explorer la réponse climatique à la variabilité intrinsèque aux échelles 15 inter-annuelles et décadales, mais aussi en utilisant des forçages orbitaux et concentrations en gaz à effet de serre différents afin de reproduire le climat du milieu de l’Holocène. Dans le premier cas, ils ont obtenu des pentes isotope-température plus de 60 % plus faibles que la pente spatiale. Dans le second cas, le modèle a montré des résultats contrastés entre les régions côtières (pentes négatives) et le centre de l’Antarctique, pour lequel les pentes sont proches de 20 celles obtenues pour la variabilité intrinsèque. (ii) Les variables climatiques à la source d’évaporation A la formation d’une masse d’air (en considérant une unique source d’humidité), le fractionnement cinétique associé est invariant si la composition initiale, la température au25 dessus des océans, l’humidité relative à leur surface, ainsi que les vents de surface le sont aussi. Or, on sait déjà que la température de surface de l’Océan austral a varié tant au cours de ces dernières décennies (cf. Fig. 1.6, Section 1.1.3) que pour des périodes plus lointaines (Dowsett et al., 1996). Certains auteurs ont donc appliqués une correction, afin d’enlever toute influence des variations de température de surface océanique (Stenni et al., 2001). Aussi, grâce à l’étude 30 des carottes sédimentaires marines, il a été montré que sur de longs termes, la composition isotopique des océans a significativement varié au cours du temps (e.g. Lisiecki and Raymo, 2005). Ces estimations ont permis des corrections de la composition isotopique initiale à la source d’humidité pour une reconstruction à l’échelle glaciaire/interglaciaire sur le site de Vostok (Petit et al., 1999) et Dôme C (Jouzel et al., 2007).

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Table des matières

1. Introduction
1.1 Pourquoi étudier le climat de l’Antarctique ?
1.1.1 Le changement climatique planétaire
5 1.1.2 L’Antarctique dans le système climatique
1.1.3 Variations climatiques en Antarctique
1.2 La Terre Adélie, une terre à explorer
1.2.1 Une terre exploitée par la France
1.2.2 Un climat très particulier
1.2.3 Les recherches scientifiques
1.3 L’analyse des carottes de glace
1.3.1 Les forages profonds
1.3.2 Carottes de névé
1.3.3. Zoom sur les carottes de névé côtières de l’Antarctique de l’Est
1.4 Les isotopes stables de l’eau
1.4.1 Le thermomètre isotopique remis en question
1.4.2 Bref historique sur l’interprétation du d-excess
1.4.3 Relations indépendantes
1.4.4 Pistes d’amélioration
1.5 Cette thèse
1.5.1 Contexte et objectifs
1.5.2 Organisation du manuscript
2. Matériels et méthodes
2.1 Carottes de névé
2.1.1 Terrain
2 .1.2 Analyses en laboratoire
2.1.3 Mesures de concentrations chimiques par chromatographie ionique
2.2 Observations climatiques régionales
2.2.1 Observations en station
2.2.2 Mesures satellitaires
2.3 Simulations
2.3.1 La modélisation du climat
5 2.3.2 Réanalyses ERA-interim
2.3.3 Réanalyses NCEP-2
2.3.4 Le modèle de circulation atmosphérique générale ECHAM5-wiso
2.3.5 Rétro-trajectoires
2.4 Tests sur les séries temporelles
2.5 Conclusion
3. ECHAM5-wiso, outil d’interprétation des enregistrements isotopiques
3.1 Introduction
3.2 Evaluation du modèle ECHAM5-wiso
3.2.1 Introduction
3.2.2 Material and methods
3.2.3 Model skills
3.2.4 Use of ECHAM5-wiso outputs for the interpretation of ice core records
3.2.5. Conclusions and perspectives
3.3 2 000 ans de reconstruction de la température de l’Antarctique
3.3.1 Introduction
3.3.2 Datasets
3.3.3 Methodology
3.3.4 Results and Discussion
3.3.5 Conclusions and Implications
3.4 Résumé et Conclusions
4. Carottes côtières de la Terre Adélie
4.1 Introduction
4.2 S1C1
4.2.1 Introduction
4.2.2 Material and method
4.2.3 Results
4.2.4 Discussion
5 4.2.5 Conclusions and perspectives
4.3 TA2A
4.3.1 Introduction
4.3.2 Material and method
4.3.3 Results
4.3.4 Discussion
4.3.5 Conclusions and perspectives
4.4 Résumé et conclusions.
5. Conclusions et perspectives
5.1 Situer la variabilité climatique récente dans un contexte plus large
5.2 Caractériser et comprendre la variabilité climatique récente en Terre Adélie
5.3 Mieux comprendre le transport d’humidité vers l’Antarctique
5.4 Mieux caractériser la variabilité du climat en Terre Adélie et en comprendre les mécanismes
Bibliographie
Annexe A
Annexe B
Annexe C

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