Vers 1610, Jan Baptist Van Helmont, chimiste, physiologiste et médecin, découvre le dioxyde de carbone (CO2) qu’il nomme « gaz sylvestre » (Philippe de SouabeZyriane, 1988). À cette époque pré-industrielle (avant 1800), les concentrations en CO2 sont estimées à 280 ppm (Siegenthaler et Oeschger, 1987). En 1957, Charles David Keeling, scientifique américain, met au point et utilise pour la première fois un analyseur de gaz infra-rouge pour mesurer la concentration de CO2 de l’atmosphère dans l’île d’Hawaii, à Mauna Loa. La précision et la fréquence importante de ses mesures lui permirent de mettre en évidence pour la première fois les variations journalières et saisonnières des concentrations en CO2 atmosphérique, et d’évaluer également à plus long terme leur tendance à la hausse (Harris, 2010). Depuis l’époque pré-industrielle les concentrations en CO2 ont en effet légèrement augmenté et sont alors estimées à 315 ppm environ. (Pales et Keeling, 1965). Ce constat a probablement joué un rôle dans la prise de conscience, par la communauté scientifique, de l’importance et de l’intérêt de l’étude du changement climatique et plus largement des changements globaux. En 2013, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) a publié son 5e rapport sur le changement climatique qui souligne l’importance des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) dans le changement climatique (Stocker et al., 2013). Au printemps 2014, la barre symbolique des 400 ppm a été dépassée dans tout l’hémisphère nord selon un communiqué de l’Organisation Météorologique Mondiale (http://www. wmo.int/pages/mediacentre/press_releases/pr_991_fr.html).
À l’échelle globale, l’humanité, par la consommation des combustibles fossiles et par la production de ciment, émet dans l’atmosphère environ 7,8 PgC an−1 (Ciais et al., 2014). Les flux « naturels » entre l’atmosphère et la biosphère sont d’un ordre de grandeur supérieur : 98 et 123 PgC an−1 respectivement, pour la respiration (CO2 et CH4 principalement) et la photosynthèse au sens large (Bond-Lamberty et Thomson, 2010; Beer et al., 2010). L’importance de ces flux renforce la nécessité de les comprendre et si possible de les prédire, car une modification de leur dynamique même faible pourrait avoir des conséquences importantes. Les flux de carbone entre les écosystèmes naturels et l’atmosphère sont importants et les sols stockent entre entre 1500 et 2000 PgC qu’il faut mettre en perspective avec les 750 à 800 PgC stockés dans l’atmosphère .
Parmi les écosystèmes terrestres naturels, les tourbières sont les plus efficaces dans le stockage du carbone. Ce fonctionnement naturel en puits de carbone est la conséquence de conditions de saturation en eau importante du milieu, empêchant la dégradation des matières organiques (majoritairement constituées de carbone) qui se stockent sous forme de tourbe. Ce stock est estimé entre 270 et 455 PgC, ce qui représente 10 à 25 % du carbone stocké dans les sols mondiaux alors que ces écosystèmes ne représentent que 2 à 3 % des terres émergées. La concentration de ce stock sous les hautes latitudes de l’hémisphère nord, où sont localisées la majorité des tourbières, rend incertain son devenir. En effet ce sont dans ces zones que sont attendus les changements climatiques les plus importants (Ciais et al., 2014). La pérennité de ces écosystèmes est également fragilisée par les nombreuses perturbations anthropiques qu’ils subissent ou qu’ils ont subit. Longtemps considérées comme néfastes et impropres à la culture, une grande partie des tourbières ont été drainées pour être exploitées : la tourbe a été utilisée comme combustible ou comme substrat horticole, les tourbières comme terres agricoles ou sylvicoles.
Autrefois étudiées pour les propriétés combustibles de la tourbe, les tourbières sont aujourd’hui principalement étudiées afin de comprendre leur fonctionnement et l’effet des perturbations climatiques et anthropiques sur ce fonctionnement, notamment par rapport à leur fonction de puits de carbone. La variabilité de ces écosystèmes rend la prédiction de leurs comportements délicate et aujourd’hui, malgré leur importance, ces écosystèmes ne sont pas pris en compte dans les modèles globaux. Le dernier rapport du GIEC note ainsi que si les connaissances ont avancé, de nombreux processus ayant trait à la décomposition de la matière organique des sols sont toujours absents des modèles notamment en ce qui concerne le carbone des zones humides boréales et tropicales et des tourbières (Ciais et al., 2014). Plus spécifiquement, si les facteurs de contrôle principaux des émissions de carbone dans ces écosystèmes sont connus : la température, le niveau de la nappe d’eau, la végétation, leurs variations et leurs interactions ne font pas consensus. Le rôle des variations du niveau de la nappe d’eau, particulièrement l’effet du sens de ces variations et leur intensité sur les flux de GES, restent à comprendre. Tout commel’effet des communautés végétales et de leurs changements, comme par exemple l’envahissement d’une tourbière par une végétation vasculaire. Pour mieux comprendre ces écosystèmes, à différentes échelles, l’investigation est donc nécessaire pour estimer leur comportement face aux changements qu’ils subissent et vont subir.
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