VALORISATION, ETUDE PHYTOTOXICOLOGIQUE DES QUALITES D’EAU D’IRRIGATION
Modes de réutilisation des eaux usées traitées
La réutilisation des eaux usées est répandue dans le monde entier avec plusieurs types de valorisation. Il existe des milliers de projets utilisant des eaux usées (Boxio et al. 2008), mais dans la plupart des cas, les eaux usées sont utilisées à l’état brut ou après un traitement minimal, et pratiquement aucune mesure n’est prise pour protéger la santé (OMS, 1989). Boxio et al. (2005) ont classés les différents types de réutilisation selon 4 catégories : 1- usage agricole, 2- usage urbain et périurbain et recharge des nappes, 3- usage industriel, 4- usages mixte. Sur le plan mondial, la réutilisation des EUT pour l’agriculture, l’industrie et les usages domestiques couvrent respectivement 70 %, 20 %, 10 % de leur demande en eau (Ecosse, 2001). Cependant, ces proportions varient selon les régions dans le monde (figure I.4)
Conditionnements et usages
Agriculture et Aquaculture La majorité des projets de réutilisation des eaux usées concerne des utilisations agricoles. La réutilisation pour l’irrigation est essentiellement présente dans les pays réputés agricoles mais dont les ressources hydriques sont faibles, comme le bassin méditerranéen, le Sud des Etats-Unis. Les plus grands projets de réutilisation ont été développés dans les régions de l’Ouest et de l’Est des EtatsUnis, l’espace méditerranéen, l’Australie, l’Afrique du Sud et dans les zones semi-arides de l’Amérique du Sud et de l’Asie du Sud (Lazarova, 1998). La production commerciale du poisson dans des étangs avec les EUT est une pratique courante en Asie du sud et en Chine. Il existe en Inde, plus de 130 réseaux de viviers fertilisés par des eaux usées, couvrant une superficie d’environ 12 000 ha. La plupart sont située dans l’Ouest du Bengale. Le plus vaste système d’aquaculture alimenté par des eaux usées se trouve à Calcutta (OMS, 1989). Une production de poissons à grande échelle avec des EUT est également réalisée aux Etats Unis. La plupart des étangs de loisirs qui utilisent les EUT aux Etats Unis permettent généralement la pêche. Quand des poisons sont pêchés dans ces étangs et sont destinés à la consommation humaine, la qualité du traitement des eaux doit être minutieusement évaluée (qualité chimique et microbiologique) afin d’éviter la bioaccumulation de contaminants toxiques à travers la chaîne alimentaire. Ainsi, les recommandations de l’OMS, 1989, exigent un nombre de coliformes totaux de 103 germes/100mL et l’absence d’œufs de nématode. b. Secteur industriel La réutilisation industrielle des eaux usées et le recyclage interne sont désormais une réalité technique et économique. Pour certains pays, l’eau recyclée fournit 85 % des besoins globaux en eau pour l’industrie (OMS, 1989). Les plus grands secteurs consommateurs de l’eau sont les centrales thermiques et nucléaires (eau de refroidissement) et les papeteries. La qualité de l’eau réutilisée est réglementée et dépend du type d’application ou de production industrielle. Aux Etats-Unis, par exemple, le volume des eaux résiduaires réutilisées en industrie est d’environ 790 000 m3/j, dont 68 % pour le refroidissement (Lazarova, 1998). En Arabie Saoudite, 15000 m3/j des EUT issue de la ville de Riyadh sont réutilisés dans les circuits de refroidissement de la raffinerie pétrolière de la région (USEPA, 2004). c. Milieu urbain et périurbain Les usages urbains et périurbains des eaux usées ayant subi un traitement se développent rapidement et deviennent un élément fondamental de la politique de gestion intégrée de l’eau dans les grandes agglomérations. Les bénéfices obtenus sont importants. Il faut noter en premier, la réduction Chapitre I Synthèse bibliographique 22 de la demande en eau potable qui peut atteindre 10-15 %, voire 40 % dans les zones résidentielles avec beaucoup d’espaces verts (Miller, 1990). Les usages les plus courants sont l’irrigation d’espaces verts (parcs, golfs, terrains sportifs), l’aménagement paysager (cascades, fontaines, plans d’eau), le lavage des rues ou des véhicules et la protection contre l’incendie. Les normes qui régissent la qualité des eaux usées destinées à de tels usages sont très sévères et voisines de celles en vigueur pour l’eau potable. Dans ce cas, les filières de traitement se rapprochent de celles de la production d’une eau potable. La principale motivation concernant la recharge de nappe est la dégradation de sa qualité physicochimique et/ou la diminution de sa capacité. Ce mode de réutilisation a lieu essentiellement dans des zones arides qui doivent faire face à des problèmes d’assèchement de nappes, ou dans des zones côtières où les nappes sont envahies par l’eau de mer.
Risques associés à la réutilisation des eaux usées
Risque sanitaire
Dans le cas de l’agriculture, il est prouvé depuis longtemps que les micro-organismes pathogènes des animaux ne peuvent ni pénétrer ni survivre à l’intérieur des plantes (Sheikh et al., 1999). Les micro-organismes se retrouvent donc à la surface des plantes et sur le sol. Les feuilles et la plante créent un environnement frais, humide et à l’abri du soleil. Il peut donc y ‘avoir une contamination pendant la croissance des plantes ou la récolte. Les pathogènes survivent plus longtemps sur le sol que sur les plantes (Asano, 1998). Le mode d’irrigation a une influence directe sur le risque : ainsi, l’irrigation souterraine ou gravitaire peut nuire à la qualité des eaux souterraines et de surface. Des contaminations directes peuvent avoir lieu lors de la maintenance du système d’irrigation. L’irrigation par aspersion crée des aérosols contaminants qui peuvent être transportés sur de longues distances. Alors que l’irrigation gravitaire à la raie et par inondation exposent les travailleurs à des hauts risques sanitaires, notamment lorsque le travail de la terre se fait sans protection (Peasey et al., 2000). Les nouvelles recommandations de l’OMS ont prévu des niveaux de risque selon la technique d’irrigation et les types des cultures (OMS, 2006).
Risques environnementaux
La salinisation du sol
La salinisation du sol par une eau d’irrigation résulte des effets combinés de plusieurs facteurs (climat, caractéristiques du sol, topographie du terrain, techniques culturales, conduite des irrigations…etc.). En effet, chaque facteur va contribuer, selon son état, à l’accentuation ou à l’atténuation de la salinisation du sol.
L’eau d’irrigation
La qualité de l’eau utilisée en irrigation est un facteur de premier ordre dans la salinisation du sol. En effet, le risque de salinisation du sol est exclu si l’eau d’irrigation est de bonne qualité même si les autres facteurs influençant ce processus sont favorables. La qualité d’une eau d’irrigation est estimée en prévoyant son influence sur les propriétés du sol et en considérant la tolérance des cultures pratiquées à la salure. Une eau est dite « de bonne qualité » lorsqu’elle n’entraîne ni la salinisation du sol irrigué (CE du sol > 4 mS/cm), ni sa désagrégation (taux de sodium échangeable ESP du sol > 15%) (Brady and Weil, 2002). Les effets d’une eau d’irrigation sur le sol sont jugés à travers la concentration totale de cette eau en sels solubles et par son rapport de sodium absorbable (SAR) (Leone et al., 2007). Une grande quantité d’ions sodium dans l’eau affecte la perméabilité des sols et pose des problèmes d’infiltration (Suarez et al., 2006). Ceci est dû au fait que lorsque le sodium apporté par les eaux d’irrigation au sol est sous une forme échangeable, il remplace le calcium et le magnésium adsorbé sur les agrégats du sol et cause ainsi la dispersion de ces particules argileuses. Cette dispersion a comme conséquence la désagrégation des sols. Le sol devient alors dur et compact (lorsqu’il est sec). Sa porosité se colmate, réduisant ainsi les vitesses d’infiltration de l’eau et de l’air, affectant ainsi sa structure (Halliwell et al., 2001; Leone et al., 2007). Le choix du domaine de la réutilisation des eaux usées dépend essentiellement, de la qualité de l’effluent, des types de cultures, du système d’irrigation et des conditions édaphiques du sol (Pereira et al. 2002). Ainsi, la connaissance de la qualité physico-chimique de ces eaux usées est fondamentale afin de prévoir les éventuels impacts sur le milieu récepteur. En effet, lors de la réutilisation pour l’irrigation agricole, leur qualité est déterminée essentiellement par la salinité et surtout le contenu en ion sodium (Toze, 2006). Herpin et al. (2007) ont constaté que l’irrigation avec des EUT chargées en Na+, entraîne une élévation des teneurs en cet élément dans tout le profil d’un sol de type « Typic Haplustox ». De plus, ils ont signalé que le Calcium apporté par les EUT, entraîne la libération des ions sodium du complexe absorbant du sol sous forme échangeable, ce qui facilite sa migration en profondeur ainsi que sa biodisponibilité. L’étude d’un autre cas d’irrigation avec des EUT, dont la charge en sel est de 1,8 g/l, a montré, après deux années de suivi, une augmentation de la conductivité électrique du sol de 0,92 dS/m à 1,93 dS/ m sur les 40 premiers centimètres du sol, ce qui correspond à un apport en sel de l’ordre de 6,2 T/ha (Zekri et al., 1997). Cette augmentation de la salinité du sol suite à l’irrigation par des eaux usées est également signalée par d’autres auteurs (Yadav et al., 2002; Al-Nakshabandi et al., 1997) b. Les modes d’irrigation Lorsque l’eau est de mauvaise qualité, le mode, la dose et la fréquence d’irrigation ont une influence directe sur le processus de salinisation du sol. Dans ces conditions, une dose supérieure Chapitre I Synthèse bibliographique 24 aux besoins du sol est favorable à une lixiviation (lessivage) des sels. Ce qui permet de maintenir la salinité du sol à un niveau raisonnable surtout si le drainage interne et externe est convenable. Heidarpour et al. (2007) ont étudié l’effet de l’irrigation par les EUT sur les propriétés chimiques du sol en testant deux systèmes d’irrigations différents. Le premier système est de surface, alors que le second est de subsurface. Ils ont constaté que système d’irrigation en subsurface augmentait la conductivité électrique du sol dans les horizons de surface. Par contre, le résultat inverse est observé avec le système d’irrigation de surface où la conductivité électrique est plus importante dans les niveaux inférieurs. D’après les auteurs, l’augmentation de la CE dans le premier cas est due à une remontée capillaire des sels en surface suite à l’évapotranspiration. Dans le second cas, c’est plutôt le lessivage des sels par les eaux d’irrigation qui est à l’origine de l’augmentation de la CE en profondeur. Il en résulte donc, que l’irrigation de surface permet mieux le lessivage des sels vers la profondeur. Des périodes d’irrigation rapprochées conduisent au même résultat. Une irrigation fréquente entraîne le lessivage du sodium apporté par les EUT vers la profondeur du sol ce qui se manifeste par une augmentation du taux du sodium échangeable (Herpin et al., 2007). Le mode classique d’irrigation par submersion convient mieux à la désalinisation du profil de sol à chaque irrigation que tout autre mode d’irrigation localisée. c. Les facteurs socio-économiques Les facteurs socio-économiques englobent le savoir-faire des agriculteurs (maîtrise des pratiques agricoles adéquates) et le capital dont ils disposent pour couvrir le coût des aménagements indispensables et celui des techniques culturales courantes (labour, semis et autres traitements). En effet, au sein d’un même périmètre irrigué, la gestion de l’irrigation, les soins apportés dans la préparation du sol et les pratiques culturales influencent largement l’accentuation ou l’atténuation du processus de salinisation selon le niveau de technicité des agriculteurs.
Accumulation de métaux dans le sol
Bien que la concentration en métaux dans les eaux usées surtout traitées soit faible, l’irrigation peut, à terme, entraînée l’accumulation de ces éléments dans le sol (Rattan et al., 2005). En effet, la rétention, par le sol, des éléments métalliques est gouvernée par divers phénomènes d’ordre mécanique, physico-chimique et même biologique (Mantinelli, 1999). Bien entendu, les métaux acheminés vers le sol par les eaux usées, ne sont pas tous sous une forme assimilable ou bio disponible. En effet la forme chimique des métaux va dépendre des conditions intrinsèques du sol tels que le pH, le Eh, la matière organique, le taux d’argile, la CEC… (Mapanda et al., 2005). L’accumulation d’éléments métalliques (EM) suite à l’irrigation avec des eaux usées brutes est souvent constatée. Ainsi, Mapenda et al. (2005) ont constaté une augmentation des teneurs en EM Chapitre I Synthèse bibliographique 25 dans les horizons de surface des sols irrigués par des eaux usées brutes durant des périodes de temps plus ou moins importantes. Les teneurs trouvées dans les horizons de surface sont largement supérieures à celles trouvées dans les horizons de subsurface et dans le sol témoin (tableau I.6). Les auteurs ont signalé qu’au bout de 5 à 60 ans, les teneurs des EM dans les sols de toutes les parcelles irriguées vont dépasser les limites exigées par les normes anglaises de teneur en métaux lourds dans les sols agricoles brutes mélangées avec des eaux de rivière a entraîné une augmentation des teneurs en métaux dans le sol. Les teneurs trouvées dépassent les 50 mg/kg pour le Zinc alors que pour les autres éléments (Cr, Ni, Pb, Co et Cd) elles sont au-dessous de 35 mg/Kg. Les fortes teneurs trouvées dans les horizons de surface montrent une corrélation positive avec les taux d’argiles et négative avec le taux de sable. D’une manière générale, les valeurs trouvées sont 29 fois plus supérieures aux teneurs trouvées dans des sols irrigués avec des eaux de rivières uniquement. Flores et al. (1997) ont étudié l’effet de l’épandage d’eaux usées brutes sur des terres agricoles, pendant une longue période du temps allant de 60 à plus de 90 ans. Ils ont constaté une importante accumulation des métaux lourds dans le sol, essentiellement dans les horizons de surface, avec des teneurs variant entre 36 et 131 mg/kg pour le Pb, 1,28 et 5 mg/ kg pour le Cd, 10,5 et 86,5 mg/kg pour le Cu et entre 154 et 235 mg/kg pour le Zn. Une étude de la spéciation chimique indique une fraction organique dominante suivie par la fraction carbonatée. Par contre, les fractions mobiles et échangeables ne dépassent pas 4,5 % du stock total de métaux dans la plupart des cas. De plus, les teneurs en métaux diminuent en fonction de la profondeur dans le sol. Ce phénomène est attribué par les auteurs, au taux de MO et de carbonates plus important en surface, ainsi qu’au pH élevé du sol. L’ensemble de ces facteurs a réduit la mobilité des métaux, issus des EU, dans le sol (Hatira et al., 1990). Lucho-Constantino et al., (2005) ont étudié l’effet du temps sur l’accumulation des EM dans des sols agricoles irrigués par des EU sur des périodes de temps allant de 6 à 41 ans. Ils ont constaté une corrélation positive entre les teneurs en métaux dans le sol et les périodes d’épandage des eaux usées. Les teneurs trouvées dans les horizons de surface (0-30) varient entre 0,51 et 1,89 mg/kg pour le Cd, 11,59 et 2742 mg/kg pour Cr, 3,99 et 47,08 mg/kg pour le Pb et entre 9,2 et 123,8 mg/kg pour le bore. Ils montrent également que les fractions de métaux trouvées dans le sol, après spéciation chimique, sont essentiellement échangeables, liées à la MO et résiduelles. Rattan et al., (2005) ont étudié l’effet du temps sur l’enrichissement du sol en forme échangeable des EM suite à l’irrigation par des EU brutes. L’équipe a constaté que les teneurs en métaux dans le sol sont d’autant plus importantes que la période d’irrigation par EU est plus importante. Les mêmes auteurs montrent que les teneurs en Mn dans le sol, contrairement a ce qui était observé pour les autres éléments (Zn, Cu, Fe, Pb, Ni), enregistrent une diminution au cours des années d’irrigation. Ils ont attribués cette diminution des teneurs en manganèse à un effet de lessivage de cet élément qui se trouvait sous forme échangeable dans le sol récepteur. Toutefois, il faut préciser que si l’augmentation des teneurs des métaux dans les sols irrigués par les EU, est une fonction de la durée de l’irrigation, l’effet du temps reste difficile à évaluer, car souvent les concentrations en métaux des effluents sont variables et méconnues. Dans ce cadre, Xiong et al., (2001) ont constaté une importante accumulation des métaux lourds dans les horizons A et B des sols agricoles suite à l’épandage des EU depuis plus d’un siècle. D’après les auteurs, ces teneurs élevées sont dues à des accumulations au cours des années avec une augmentation des concentrations en métaux dans les effluents, notamment en Cr et en Zn. Solis et al., (2005) ont signalé également le rôle de certains paramètres physicochimiques du sol, tels que le pH et le carbone organique total (COT), sur la rétention ou la libération des métaux issus des EUT. En comparant les teneurs en métaux entre des sols irrigués par des eaux usées depuis 50 et 100 ans, les auteurs ont constaté une différence peu significative. En effet, dans la parcelle à 100 ans d’irrigation, les auteurs ont constaté une diminution du pH et du COT du sol. Suite à cet effet, les métaux adsorbés sur les agrégats du sol ont été libérés sous forme plus échangeable, ce qui a facilité, par conséquence, leur migration dans le sol ainsi que leur biodisponibilité.
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