Valeur prédictive des prélèvements bactériologiques per opératoires chez les patients opérés d’une chirurgie de cytoréduction

Valeur prédictive des prélèvements bactériologiques per opératoires chez les patients opérés d’une chirurgie de cytoréduction

Introduction

L’apparition d’une carcinose péritonéale au cours de l’histoire naturelle d’un cancer, quelle qu’en soit l’origine, a été considérée pendant de nombreuses années comme une situation palliative (1–5). Depuis plusieurs dizaines d’années, de nouvelles stratégies thérapeutiques ont été développées pour offrir un espoir de traitement curatif à ces patients chez qui la maladie est limitée à la cavité péritonéale. En ce sens, la chirurgie de cytoréduction (CCR) de la maladie macroscopique, associée à une chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) pour la destruction du résidu microscopique, a montré des résultats de survie à long terme encourageants pour différents type de cancer (1,2,6–12). En effet, pour certains patients dont la prise en charge était jusqu’ici considérée comme palliative, une survie prolongée peut être envisagée. Selon l’origine et l’étendue de la carcinose péritonéale, le taux de survie globale à 5 ans peut atteindre 80% (6,13). Goéré et al. rapportent 16 % de guérison chez des patients sélectionnés, opérés d’une CCR/CHIP pour carcinose péritonéale d’origine colorectale (14). Cependant, cette stratégie extrêmement agressive reste controversée et n’est pas reconnue dans le monde entier, du fait des taux élevés de complications associées (12,15–21). Les complications les plus fréquemment rencontrées sont infectieuses, hémorragiques, et pulmonaires. Plusieurs auteurs ont tenté par différentes méthodes de diminuer le taux de complications infectieuses, afin de réduire la principale source de complications après CCR/CHIP (22,23). La confrontation de notre expérience aux données de la littérature, nous a permis de confirmer que les complications infectieuses sont parmi les plus fréquentes et les plus sévères après CCR/CHIP. Ces complications sont associées à un risque de mortalité et de # réintervention propre, entrainent un allongement des durées moyennes de séjour et une augmentation du coût global de la prise en charge. Suite à l’analyse rétrospective d’une première cohorte de patients, opérés dans notre centre entre 2006 et 2010, nous avons observé que les prélèvements bactériologiques réalisés lors de réinterventions après CCR/CHIP, quelque soit le motif de réintervention (septique ou non), étaient fréquemment positifs (82% de positivité). De plus, Honoré et al. ont rapporté que le taux de péritonites post-opératoires sans fistule digestive associée représentait 13% de l’ensemble des péritonites après CCR/CHIP (24). Ainsi, nous avons émis l’hypothèse que la translocation bactérienne au cours de la CHIP pourrait être l’une des explications pour ces taux élevés de complications infectieuses post-opératoires, et pourrait évidemment avoir un impact clinique important sur les suites post-opératoires. Pour confirmer cette hypothèse, nous avons réalisé, de manière prospective, en routine, des analyses bactériologiques du liquide de rinçage après chirurgie de cytoréduction et CHIP, et traité les patients avec une antibiothérapie ciblée en cas de positivité de ces prélèvements. L’objectif de cette étude était de déterminer si un prélèvement bactériologique per opératoire positif au cours d’une CCR/CHIP, pouvait être un facteur prédictif de complications infectieuses post opératoires. Un objectif associé était d’évaluer si l’introduction d’un traitement orienté par les résultats bactériologiques pouvait diminuer l’incidence, ou au moins la gravité, des complications infectieuses post-opératoires. $ II. Patients et méthodes Entre Mars 2006 et Décembre 2014, nous avons réalisé une chirurgie de cytoréduction associée à une CHIP chez 120 patients consécutifs, pris en charge au CHU de Rouen pour carcinose péritonéale. Jusqu’en Octobre 2010, 45 patients ont bénéficié d’une CCR/CHIP, et nous avons observés un taux élevé de complications septiques (82% de complications septiques, dont 60% graves). Au cours de cette période, la plupart des prélèvements bactériologiques réalisés de façon systématique lors des reprises chirurgicales, étaient positifs en culture, même lorsque reprise chirurgicale n’était pas motivée par un syndrome septique clinique ou biologique (82% de prélèvements bactériologiques positifs). Ces résultats ont suscité notre intérêt pour mener une étude sur nos futurs patients. De ce fait, depuis Novembre 2010, des analyses bactériologiques ont été réalisées de façon systématique sur des prélèvements intra abdominaux réalisés en per opératoire après réalisation de la CHIP, chez 75 patients consécutifs. Cette étude compare 2 groupes, un groupe avec prélèvements positifs (n=30), et un groupe avec prélèvements négatifs (n=45).

Gestion pré et per opératoire

Tous les patients ont bénéficié d’un programme de renutrition pré-opératoire, selon les recommandations des sociétés savantes (25–28), incluant des suppléments nutritionnels oraux ou une immuno-nutrition pendant les 7 jours pré-opératoires immédiats. Après induction de l’anesthésie, et avant incision cutanée, tous les patients recevaient une antibioprophylaxie intra veineuse par cefoxitine (2g, puis 1g toutes les 2h), par analogie avec ce qui est recommandé par la SFAR (Société Française d’Anesthésie et de Réanimation) en chirurgie colorectale (29). % La chirurgie de cytoréduction comprenait la résection de la tumeur primitive lorsqu’elle était présente, et la résection de l’intégralité des nodules tumoraux visibles macroscopiquement, associée ou non à des gestes de résections digestives, et à de multiples péritonectomies. L’extension de la maladie péritonéale était évaluée par le “Peritoneal Cancer Index” (PCI) de Sugarbaker (30,31) (Annexe 1). Le caractère complet de la résection chirurgicale était évalué pour chaque patient par le score d’évaluation du résidu tumoral (CC score) avant réalisation de la CHIP (32,33) (Annexe 2), et était classé en 3 catégories: CC-0 (pas de résidu tumoral macroscopique), CC-1 (résidu tumoral < 2,5 mm), et CC-2 (résidu tumoral > 2,5 mm). La CHIP était ensuite réalisée selon la technique ouverte du “Coliseum”. La technique de CCR/CHIP a été largement rapportée dans la littérature, et est basée sur les principes décrits par Sugarbaker (32,34). Nous avons utilisé principalement 2 protocoles de chimiothérapie hyperthermique pour la perfusion intra-péritonéale de chimiothérapie (35,36) (Tableau 1). Drogue Dose Température Durée Oxaliplatine 460 mg/m2 43°C 30 min Mitomycine C 35 mg/m2 42,5°C 90 min Tableau 1 : Protocoles de CHIP utilisés dans l’étude (35,36). Lorsque l’oxaliplatine était utilisée en intra-péritonéal, son action était potentialisée par l’administration de 5-FU 400 mg/m 2 et acide folinique 20 mg/m 2 en systémique durant l’intervention (35). 2. Analyse bactériologique des liquides de rinçage (ABLR) Après réalisation de la CHIP, la cavité abdominale était lavée au sérum physiologique avec un volume équivalent à celui utilisé pour le bain de chimiothérapie. Trois échantillons de 20mL de liquide de rinçage étaient prélevés (hypochondre droit, hypochondre gauche, pelvis), & pour analyse bactériologique. Les échantillons étaient immédiatement envoyés pour analyse microbiologique, incluant un examen bactériologique direct, une mise en culture à la recherche de micro-organismes aérobies et anaérobies, et un antibiogramme.

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Recueil des données

Les données cliniques des patients opérés d’une CCR/CHIP ont été obtenues de façon rétrospective, à partir de bases de données mises à jour de façon prospective. Les données pré-opératoires suivantes étaient recueillies : ‘ Caractéristiques démographiques ‘ Origine de la tumeur primitive et anatomopathologie ‘ Comorbidités ‘ Antécédents de chirurgie abdominale ‘ Statut nutritionnel pré-opératoire ‘ Score ASA (American Society of Anesthesiologists) (Annexe 3) (37) ‘ Score d’état général ECOG (Eastern cooperative oncology group) performance status (Annexe 4) (38) Les données chirurgicales per opératoires suivantes était consignées : ‘ Extension de la carcinose péritonéale cotée par le PCI (31) ‘ Nombre et type de résections d’organes ‘ Nombre d’anastomoses réalisées ‘ Réalisation d’une stomie ‘ Score CC d’évaluation du résidu tumoral (32) ‘ Drogue utilisée et durée de la chimiothérapie hyperthermique ‘ Durée de la chirurgie ( ‘ Pertes sanguines estimées (mL) (PSE) ‘ Transfusion (nombre de culots globulaires administrés) Les données sur les suites post-opératoires et les complications étaient également recueillies : ‘ Taux de complications globales ‘ Taux de complications infectieuses (sepsis clinique, infections intraabdominales, fistules urologiques ou digestives, infections urinaires, infections pulmonaires, infections de voies veineuses centrales, septicémies) ‘ Taux de complications non infectieuses (hémorragiques, hématologiques, cardiovasculaires, pulmonaires) ‘ Taux de réinterventions chirurgicales ‘ Durée de séjour ‘ Taux de mortalité Les complications étaient classées selon la classification de Clavien-Dindo (39), qui définit les complications sévères par un grade supérieur ou égal à 3 (Annexe 5). Les définitions retenues pour les complications et la mortalité post-opératoire était la survenue d’un évènement dans les 30 jours post-opératoires, ou à tout moment au cours de l’hospitalisation.

Gestion post-opératoire

Tous les patients étaient hospitalisés en unité de soins intensifs post-opératoires pendant au moins 2 jours. Ils recevaient tous une anti coagulation préventive par héparine (40). Des prélèvements veineux périphériques (incluant une numération formule sanguine et ) plusieurs dosages métaboliques) étaient réalisés 2 fois par jours pendant les premières 48h, puis quotidiennement pendant les 10 premiers jours, de façon systématique en l’absence d’évènements cliniques intercurrents. 5. Antibioprophylaxie systématique Chaque patient a reçu une antibioprophylaxie par céfoxitine pour une durée comprise entre 48h et 5 jours, en fonction du délai nécessaire pour l’obtention des résultats des cultures bactériologiques. Lorsque la culture pour les germes aérobies était négative, l’antibioprophylaxie était modifiée pour du métronidazole dans l’attente des résultats des cultures pour les germes anaérobies. Une antibiothérapie ciblée était débutée en cas de prélèvement positif. Les analyses bactériologiques étaient également considérées comme négatives lorsque les germes n’étaient pas pathogènes selon les bactériologistes de notre établissement, ou lorsqu’il n’existait pas d’indication à un traitement. 6. Complications infectieuses Chaque complication infectieuse était enregistrée, avec une attention particulière pour le type et le nombre de sites infectieux par patient. Toutes les infections recensées étaient confirmées bactériologiquement par une culture positive. Une complication infectieuse intra-abdominale était définie comme une collection liquidienne diagnostiquée au scanner associée à un syndrome septique sans autre point d’appel retrouvé, ou comme un sepsis intra-abdominal diagnostiqué sur une culture bactérienne positive sur un prélèvement de drain ou un prélèvement per opératoire lors d’une réintervention. Une infection respiratoire était définie comme une anomalie radiologique évocatrice, associée à une hyperthermie et à la nécessité d’un traitement antibiotique. Une * infection de cathéter central était définie comme une hyperthermie associée à des hémocultures positives sur cathéter. Une infection urinaire était définie comme un examen cytobactériologique positif associé à une symptomatologie clinique évocatrice. En cas de sepsis clinique, une antibiothérapie empirique était débutée (la plupart du temps l’association d’une céphalosporine de 3ème génération au métronidazole), dans l’attente des résultats définitifs des analyses bactériologiques (culture et antibiogramme). Ce traitement était ensuite secondairement adapté aux résultats microbiologiques ou à la réponse clinique. Pour chaque patient présentant une complication infectieuse, nous avons réalisé différents prélèvements, orientés par la symptomatologie clinique (prélèvements veineux périphériques ou centraux, urines, liquides de drainage, liquides de lavages broncho alvéolaires, prélèvements intra abdominaux lors des reprises chirurgicales). Nous avons soigneusement recueilli les résultats des analyses bactériologiques des différents liquides collectés. Les micro-organismes isolés dans ces liquides étaient ensuite comparés à ceux mis en évidence dans les prélèvements bactériologiques per opératoires du liquide de rinçage le cas échéant. Nous avons également relevé le délai entre la chirurgie et la première complication septique, ainsi que la durée de l’hyperthermie.

Analyse statistique

Les valeurs quantitatives sont exprimées en moyenne ± écart type, ou en médiane [minimum-maximun]. Les variables qualitatives sont exprimées en pourcentage. La comparaison statistique entre variables catégorielles a été réalisée par le test du chi2 ou le test de Fisher. La comparaison des variables quantitatives a été réalisée avec le test t de Student ou le test de Mann-Whitney. + Une analyse univariée a été réalisée en première intention pour identifier des facteurs associés à la positivité de l’ABLR ou aux complications infectieuses. Les facteurs de l’analyse univariée pour lesquels p < 0,1 étaient intégrés dans le modèle d’analyse multivariée en régression logistique. Une analyse multivariée par un modèle de régression logistique couplé à une méthode d’élimination descendante (élimination « backward ») était réalisée pour identifier les facteurs qui restaient associés de façon significative à la positivité de l’ABLR ou aux complications infectieuses. Pour toutes les analyses, la différence était considérée comme statistiquement significative lorsque p < 0.05. Les analyses statistiques ont été réalisées avec les logiciels SPSS software (version 20.0; SPSS Inc., an IBM Company, Chicago, IL, USA) et Microsoft® Excel® 2011 (version 14.4.2). 8. Aspects éthiques et règlementaires L’étude a été menée avec l’accord du comité d’éthique et de protection des personnes du CHU de Rouen. Il s’agit d’une étude observationnelle pour laquelle le consentement éclairé écrit du patient n’était pas nécessaire.

Table des matières

I. Introduction
II. Patients et méthodes
1. Gestion pré et per opératoire
2. Analyse bactériologique des liquides de rinçage (ABLR)
3. Recueil des données
4. Gestion post-opératoire
5. Antibioprophylaxie systématique
6. Complications infectieuses
7. Analyse statistique
8. Aspects éthiques et règlementaires
III. Résultats
1. Caractéristiques clinico-pathologiques
2. Caractéristiques per opératoires (Tableau 4)
3. Résultats bactériologiques
4. Suites post-opératoires et complications non infectieuses (Tableau 7)
5. Complications infectieuses (Tableau 8)
6. Complications infectieuses intra-abdominales
IV. Discussion
V. Conclusion
VI. Références
VII. Annexes

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