Vacarme silencieux à elseneur le silence, ce meurtrier de tragédie, l’exemple d’hamlet

 » Ce monde est une comédie pour ceux qui pensent. une tragédie pour ceux qui ressentent. » Horace Walpole .

La formule de Walpole décrit bien la situation de l’Ham let de Shakespeare. Ce prince est partagé entre sa nature cynique et la souffrance originant de son statut d’orphelin. Tout au long de la pièce, l’humeur d’Hamlet alterne entre bouffonnerie et rage alors que son intelligence des événements tragiques qui ont coûté la vie à son père aurait suffit à expédier nombre d’autres héros vers une conclusion expéditive.

Ce mémoire se veut un ouvrage dédié essentiellement à ce personnage que nombre de critiques considèrent comme le plus complexe de la littérature occidentale. C’est une chose d’analyser un personnage de fiction dans le cadre englobant d’une étude sur une oeuvre, c’en est une autre de centrer son analyse sur ce seul personnage. André Green a écrit que « [ … ] rien ne peut être dit d’Hamlet qui ne passe par Ham/et. » Je crois que l’inverse est également vrai. Rien ne peut être dit d’Ham/et qui ne passe par Hamlet. L’éminent Harold Bloom l’affirme aussi, dans son ouvrage Shakespeare : The invention of the human : « La question d’Ham/et doit toujours être Hamlet lui-même, car Shakespeare l’a créé pour être une conscience aussi ambivalente et divisée qu’un drame cohérent puisse soutenir. » .

Au sujet de cette conscience, Bloom affirme que l’on peut la ressentir dans l’interraction du prince avec lui-même et avec les autres. Il est possible de cerner la conscience du prince et de comprendre la manière dont il évolue par ses interjections, ses moqueries, et ses dissertations. Je crois aussi qu’on peut apprendre plus d’Hamlet par le biais d’Ham let que des seules actions qui composent la pièce. Comme les humains, qu’on ne peut réellement comprendre que lorsqu’ils s’expriment, les personnages de tragédies sont construits d’une telle façon qu’ils présentent un visage réel, presque vivant. Le prince danois ne fait pas que vivre la pièce, il en est l’artisan. Il porte sur ses mains les trace des destins qu’il a changés, et dans ses humeurs, de ceux qu’il changera encore.

L’idée que l’on retrouve le sens. d’une pièce dans l’esprit de ses personnages n’est pas récente. On a vu renaître depuis quelques décennies un courant analytique fondé sur le personnage comme pôle actif de la pièce. ,., Il ,, s’agit du character criticism de A.C Bradley, courant fort au . dix-neuvième siècle. La critique récente effectue un retour vers la psychologie du personnage, qu’ont délaissé les méthodes structuralistes du vingtième siècle, et cet essai s’inscrit dans la continuation de cette résurrection analytique. Shakespeare est connu pour avoir tenu un miroir à la hauteur de l’homme, en construisant ses personnages. Cela tombe sous le sens qu’une étude d’Hamlet provienne de sa source, soit de ses personnages. Ces personnages qui s’écoutent parler selon Bloom, sont des agents humains selon le mot de Fahmi. Ils sont des représentations de l’être humain, et comme tels, ils s’offrent à une analyse de valeurs.

Le point de départ de cet essai est donc Hamlet, sans toutefois omettre le fait qu’un personnage s’articule au contact de son entourage. Cela vaut autant lorsqu’il est question d’un entourage qui, tyranniquement, ne lui laisse aucune liberté, que d’un entourage qui abandonne le héros à lui-même. C’est le cas du prince, qui s’inscrit en faux dans cette cour qu’il estime corrompue dès son entrée en scène, cette cour avec laquelle il souhaiterait n’entretenir aucun lien.

Ainsi, c’est dans l’esprit des Bloom, Michael Bristol, Stanley Cavell et de mon co-directeur de maîtrise, Mustapha Fahmi, que s’inscrit cet essai, qui s’affaire à déterminer l’importance de la solitude comme motivateur de l’action du prince danois. Hamlet devient ce héros particulier parce qu’il est seul. Parce que chaque événement qui se produit ne fait que l’afliger, l’aliéner un peu plus, et parce qu’il ne peut s’en remettre qu’à lui-même, il en vient à prendre des décisions sur lesquelles il ne pourra revenir.

Notre réflexion se fera en six temps. À chaque étape de ce processus correspond un chapitre abordant un aspect différent de la tragédie, et plus spécifiquement, de son héros. Hamlet sera évidemment le principal point de mire de ce travail, sans pour autant omettre à aucun point l’apport des autres personnages à sa fortune. Nous étudierons donc Hamlet pour ce qu’il est, pour ce qu’il croit être, et pour ce que les autres voient et croient qu’il est.

Il sera fait démonstration que l’homme pour qui les autres ne sont pas un recours doit puiser davantage en lui et conséquemment, qu’il se retrouve trop souvent isolé, n’accordant plus aux autres le pouvoir de l’influencer. Or à cet homme qui est possédé des passions les plus ardentes, il manque la distance requise pour prendre des décisions éclairées, malgré un net désir d’agir en fonction d’une morale très stricte. Cette morale qui peut sembler, dans le cas d’Hamlet, à contre-courant avec les valeurs tenues pour justes par son entourage et par son époque.

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En ouverture, dans un tragique de la déception, il est question du contexte dans lequel évolue Hamlet en ouverture de la pièce. Il s’agit d’un récapitulatif analysé des différentes déceptions que subit Hamlet et qui le dirigent sur la voie de la solitude. Dans ce chapitre, il sera crucial de démontrer combien Hamlet diffère idéologiquement des gens dont il se détourne. Comme le dit Mustapha Fahmi : « Dans un monde où beaucoup de gens parlent le langage de la vengeance et montrent un profond investissement dans un code héroïque de l’honneur, l’étudiant de Wittenberg a choisi une vie de réflexion philosophique, pas tellement en tant qu’une option parmi d’autres plus ou moins valides, mais parce qu’il associe la profonde réflexion avec la bonne vie. » .

Cette incohérence du prince avec son entourage l’amène à ce stade à être victime des événements.

 » Mais, brise-toi, mon cœur, car je dois tenir ma langue « .
Shakespeare, Hamlet, p. 701

Hamlet est une pièce marquée au fer rouge de la désillusion. Rien n’en aura jamais été plus absent que l’espoir. L’espoir que les choses s’arrangent à Elseneur, l’espoir que les esprits reposent en paix, l’espoir que les crimes passent sous le silence de l’ignorance. Au cœur de cette pièce, Hamlet entre en scène en héros, mais pas forcément en tant que héros tragique. Il apparaît au cœur de la cour d’Elseneur – celle de son père et de sa mère – pour assister au mariage de ladite mère, veuve, avec le frère de son mari. Jusque là, le contexte paraît somme toute anodin, mais c’était sans compter sur les dieux de la tragédie, toujours prompts à compliquer l’existence de ceux qu ‘ils choisissent pour pantins. Ces hautes instances réservent à Hamlet des épreuves auxquelles il ne pourra résister, malgré ses efforts les plus inspirés, qui ne serviront qu ‘à rehausser sa stature au niveau des Œdipe et des Phèdre de ce monde littéraire.

Suivons, cependant, le conseil de John Dover Wilson, et « [ … ] commençons par faire ce que Shakespeare nous demande tacitement, regardons Hamlet. Avant de discuter son caractère, étudions sa conduite ». Le comportement d’Hamlet est révélateur de sa psyché, d’autant plus qu’il est, bien sûr, un personnage de théâtre et que nous ne disposons pas, par conséquent, d’indications sur ses pensées autres que ses actes et gestes.

L’entrée en scène d’Hamlet se fait dans la scène seconde, qui présente l’ « après-mariage» de Gertrude et de Claudius. Le nouveau mari est aussi le nouveau roi. Claudius, frère d ‘Hamlet et oncle d’Hamlet, devient aussi père d’Hamlet. La confusion est grande initialement chez le spectateur mais plus encore chez le jeune prince. Bien loin de la liesse générale qui apparaît entourer cette union, Hamlet semble bien perplexe dès son tout premier commentaire: « Un peu plus que neveu, moins fils que tu ne veux ». Il répond ainsi à Claudius, sur un ton dont la réserve n’est pas sans sonner une cloche d’entrée de jeu dans l’esprit des critiques. J’émets l’hypothèse qu’Hamlet possède, à l’égard de cet homme qui porte la couronne de son père, un préjugé défavorable et ce dès la levée du rideau. Nous dirons ceci afin d’établir le fait que dès l’ouverture, Hamlet est livré à une lutte entre ses sentiments pour son roi et son devoir de prince qui le contraint à une certaine retenue. Ainsi, Hamlet censure quelque peu son désir de révolte et se contente de maintenir un écart entre son oncle et lui, et par la même occasion, entre sa mère et lui. Il entreprend de cette façon de s’isoler du couple possédant le pouvoir sans être obligé de montrer les dents, ce qui causerait une commotion parmi la cour assemblée pour une fête.

Ce préjugé se fait donc sentir très tôt, puisque la première conversation d ‘Hamlet implique Claudius, justement, ainsi que Gertrude. Claudius congédie poliment Laërte après avoir acquiescé à sa demande de rentrer en France puis il se tourne vers Hamlet et le désigne comme « [son] neveu et [son] fils ». Aussitôt, avant même d’être informé des gestes infâmes de son oncle, Hamlet se refuse à cette proximité sémantique entre fils et beau-fils que se permet Claudius dans son excessive bonne humeur issue en droite ligne de la plénitude des ambitions enfin concrétisées. C’est à ce commentaire qu ‘Hamlet avait réagi par l’entremise de la réplique subtilement vinaigrée que nous avons citée plus haut. Cette réplique nous autorise pour l’instant à deux hypothèses: Hamlet n’est pas à l’aise avec le mariage qui fait de lui plus que le neveu de Claudius, et il l’est encore moins avec le fait que Claudius s’offre tant de liberté à son égard, allant jusqu’à l’appeler son fils.

Table des matières

INTRODUCTION
UN TRAGIQUE DE LA DECEPTION
UN TRAGIQUE DE LA PAROLE
UN TRAGIQUE DE LA MÉLANCOLIE
UN TRAGIQUE DE L’INSUFFISANCE
UN TRAGIQUE DU DEUIL
UN TRAGIQUE DE L ‘ÉGOÏSME
CONCLUSION

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