Utilisation des isotopes stables du chlore pour le traçage des processus générés par l’injection de CO2

Utilisation des isotopes stables du chlore pour le traçage des processus générés par l’injection de CO2 

Interactions CO2-eau-roche 

L’injection de CO2 supercritique au sein d’un réservoir va perturber de manière importante les équilibres géochimiques initialement en place entre la matrice rocheuse et la saumure présente dans le réservoir (Gaus et al., 2008). Il s’agit ici de rappeler les propriétés du CO2 supercritique, ainsi que les processus géochimiques mis en jeu dans les interactions CO2-eauroche et qui sont susceptibles d’aboutir au travers notamment de réactions de dissolution ou de précipitation à une modification de la structure du milieu poreux, et par conséquent de ses propriétés d’écoulement. 

Le CO2 supercritique 

A l’état supercritique, soit dans des conditions au-delà de son point critique situé à 73.8 bar et de 31.1°C, le CO2 possède des caractéristiques très particulières : il combine à la fois les propriétés d’un gaz et celles d’un liquide (Figure 4). Le fluide obtenu est caractérisé en raison de sa faible viscosité par une grande diffusivité se rapprochant de celle des gaz, et d’une densité élevée qui le dote d’une capacité de transport et d’extraction importante. La plupart des fluides supercritiques agissent en effet comme des solvants non polaires et présentent une grande affinité avec les lipides et les hydrocarbures notamment, mais une faible affinité avec les molécules polaires (Kauffman et al., 2001 ; Rempel et al., 2011). Toutefois, le pouvoir solvateur du CO2 peut être accru par la solubilisation de l’eau dans la phase supercritique (Wai et Wang, 1997 ; Kersch et al., 2004 ; Baltrusaitis et Grassian, 2010), favorisant ainsi par exemple l’extraction et le transfert de métaux (sous forme de complexes métalliques) vers des aquifères voisins (Rempel et al., 2011). 21 Figure 4 : Diagramme de phase du CO2. Les pointillés correspondent aux lignes de densité constante (g.cm-3 ). Au-delà du point critique, la courbe de transition vapeur-liquide (VLE) disparaît et l’état supercritique est observé 

Solubilité mutuelle du CO2 et de H2O 

L’injection de CO2 supercritique au sein d’un réservoir aboutit à un système diphasique, les deux phases CO2 et saumure étant partiellement immiscibles. Le CO2, moins dense, va former un panache de gaz sec qui va se déplacer sous l’effet de la poussée d’Archimède et des écoulements régionaux. A l’interface du panache de CO2 supercritique et de l’eau du réservoir existe par ailleurs une zone d’échange où le CO2 diffuse continuellement. La solubilité mutuelle du CO2 et de H2O va ainsi pouvoir affecter le processus d’injection de différentes manières : le CO2 dissous dans la saumure va engendrer une acidification de l’eau et entraîner des réactions géochimiques entre les fluides et la matrice rocheuse (cf paragraphe suivant), tandis que la solubilisation/l’évaporation de H2O dans le CO2 (nommé par la suite phase riche en CO2) va provoquer un assèchement de la roche et être potentiellement à l’origine d’une précipitation de sels, susceptible qui plus est de faire chuter drastiquement la perméabilité, et donc l’injectivité, en plus de menacer l’intégrité mécanique du forage (Hurter et al., 2008). Ce phénomène dit de drying out est décrit plus en détail dans le Chapitre 4 qui lui est dédié. La dissolution du CO2 dans le fluide en présence est contrôlée par les conditions de pression et de température, ainsi que par la salinité du fluide en question. De manière générale, la solubilité du CO2 augmente avec la pression et diminue avec la température et la salinité (effet de « salting out »). Un certain nombre de données de solubilité du CO2 obtenues à partir de mesures expérimentales sont disponibles dans la littérature (Figure 5), pour les systèmes CO2- H2O et (e.g. Duan et al., 1992 ; Bamberger et al., 2000), et pour le système CO2-H2O-NaCl (e.g. Duan and Sun, 2003). 22 Figure 5 : Solubilité du CO2 dans l’eau en fonction de la température, de la pression et de la salinité (compilation de données expérimentales publiées (d’après Luquot et al., 2009) H2O n’est que très peu soluble dans le CO2 supercritique. Toutefois, un flux continu de CO2 injecté dans la formation géologique va pouvoir en extraire l’eau jusqu’à atteindre une saturation irréductible proche de zéro et provoquer de cette manière l’assèchement complet d’une région autour du puits d’injection (Hurter et al., 2008). Contrairement à la solubilité du CO2 dans l’eau, peu de données existent quant à celle de H2O dans le CO2. Spycher et al. (2003) ont notamment proposé une méthode de calcul basée sur des données expérimentales et permettant de connaître la composition des phases riche en CO2 et riche en H2O pour différentes pressions et températures (Figure 6). Spycher et al. (2005) puis Springer et al. (2012) ont par la suite développé la méthode pour le système CO2-H2O-NaCl. 23 Figure 6 : Solubilités mutuelles d’H2O et CO2 à 25, 31, 35 et 40°C et des pressions jusqu’à 600 bar. Les symboles correspondent aux données expérimentales, et les lignes aux solubilités calculées à partir des équations d’état (Spycher et al., 2005) 

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Acidification de la saumure

 La dissolution du CO2 dans H2O va entraîner la libération d’ions H+ et provoquer de cette manière l’acidification de la saumure du réservoir. Le CO2 dissout s’associe en effet avec la molécule d’eau pour former de l’acide carbonique H2CO3 d’après les réactions : ܥܱଶ(௚) → ܥܱଶ(௔௤) (suivant la loi de Henry) Or le CO2(aq) étant environ 600 fois plus abondant que l’acide carbonique à 25°C dans l’eau (Appelo et Postma, 2005), l’équation ci-après est utilisée par convention et K le produit des activités des espèces à l’équilibre à 25°C (ou constante d’équilibre de la réaction) dans de l’eau pure. La dissociation de l’acide carbonique se fait en libérant deux protons et aboutit à la formation des ions HCO3 – et CO3 2- dans de l’eau pure à 25°C. Aussi, il a été calculé qu’une pression de CO2 de 90 bar et une température de 40°C conduirait à un pH d’environ 3.16 pour la solution, soit une acidification massive du milieu. Dans ces conditions, d’importants phénomènes d’interaction peuvent survenir entre les fluides et les minéraux constitutifs du réservoir, au travers de réactions de dissolution et de précipitation. 

Table des matières

Remerciements
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1. Contexte de l’étude
1.1. Le stockage géologique du CO2
1.2. Conséquences d’une injection de CO2
1.3. Considérations théoriques
1.4. Interactions CO2-eau-roche
2. État de l’art sur le chlore et ses isotopes
2.1. Le chlore, composant majoritaire des saumures
2.2. Mécanismes fractionnant les isotopes du chlore
3. Synthèse et justification de la démarche adoptée
Références bibliographiques
CHAPITRE 2 : MÉTHODES ANALYTIQUES
1. Analyses élémentaires
1.1. Chromatographie ionique
1.2. Spectrométrie de Masse Quadripolaire
1.3. Spectrométrie d’Emission Atomique4
2. Procédure analytique pour les mesures de δ
37Cl 
2.1. Transformation du chlore dissous en CH3Cl gazeux
2.2 Mesures isotopique
3. Les techniques de tomographie à rayon-X50
3.1. Tomographie par rayons X (TRX) sur scanner médical
3.2. Microtomographie RX
Références bibliographiques
CHAPITRE 3 : ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE LA SOLUBILISATION DU CHLORE DANS LE
CO2 SUPERCRITIQUE
Introduction
4. Propriétés du CO2 supercritique
4.1. Pouvoir solvant du CO2 supercritique
4.2. Etudes expérimentales existantes
5. Méthode et protocole expérimental
5.1. Réacteur Parr
5.2. Protocole expérimental
5.3. Analyse des échantillons
6. Résultats et discussion
6.1. Aspects analytiques
6.2. Aspects expérimentaux
6.3. Comparaison des résultats avec les données de la littérature .
6.4. Implications pour le stockage du CO2
Conclusion
Références bibliographiques
CHAPITRE 4 : ETUDE EXPERIMENTALE DE LA PERCOLATION ET DE LA DIFFUSION
D’UNE SAUMURE REACTIVE AU SEIN D’UN MILIEU POREUX – IMPACT SUR LA
COMPOSITION ISOTOPIQUE DU CHLORE
1. Expériences de percolation
1.1. Présentation du banc expérimental ICARE
1.2. Expériences précédentes réalisées avec le dispositif ICARE.
1.3. Méthode expérimentale
1.4. Résultats et discussion
2. Expériences préliminaires en cellule de diffusion
2.1. Diffusion du chlore en milieu poreux saturé et fractionnement isotopique
2.2. Méthode expérimentale
2.3. Résultats préliminaires
2.4. Commentaires et perspectives
Conclusion
Références bibliographiques
CHAPITRE 5 : ETUDE DE L’IMPACT DE LA PRECIPITATION DE SEL SUR LE FRACTIONNEMENT ISOTOPIQUE DU CHLORE AU COURS DU PROCESSUS DE DRYING OUT
Introduction
Article : Solute transport in porous media during drying: the chlorine isotopes point of view
1. Introduction
2. Experimental methods
2.1. Rock samples description
2.2. Experimental set up and methodology
3. Results
3.1. Water saturation evolution during drying
3.2. Salt efflorescence crust formation and ion distribution profile inside the porous medium by CT-scan1
3.3. Chlorine content and isotopic composition profiles during drying
4. Discussion
4.1. Determination of chloride transport mechanisms from evaporation rate calculations
4.2. Origin of Cl-content and δ 37Cl profiles evolution during drying
4.3. Modeling approach
4.4. Results of Cl-isotopes transport modeling
5. Summary and conclusion
APPENDIX A: VALIDATION OF THE CHLORINE RECOVERY METHOD
APPENDIX B: RESOLUTION OF THE TRANSPORT EQUATION.
6. Discussion complémentaires sur les résultats expérimentaux
6.1. Expériences complémentaires concernant la valeur δ
37Cl de la croûte de sel (efflorescence)
6.2. Profils de quantité de Cl vs profils de concentration en Cl 
6.3. Question de la précipitation de sel au sein du milieu poreux
6.4. Discussion sur le modèle et ses limites
Conclusion et perspectives
Références bibliographiques
Étude expérimentale sur la solubilisation du chlore dans le CO2 supercritique
Etude expérimentale de la percolation et de la diffusion d’une saumure réactive au sein d’un milieu
poreux – impact sur la composition isotopique du chlore
Etude de l’impact de la précipitation de sel sur le fractionnement isotopique du chlore au cours du
processus de « drying out »
Liste des figures
Liste des tableaux
ANNEXE : Analyses synchrotron
Résumé.190
Abstract.

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