usages des robots de téléprésence dans des contextes d’enseignement

Présentation des études menées sur l’utilisation de robots de téléprésence dans l’enseignement* Etude conduite par Williams et al. (1998) :

La première recherche que nous avons recensée est une étude expérimentale conduite en 1998 à Toronto par Williams, Fels, Treviranus, Smith, Spargo, et Eagleson. L’objectif est de concevoir un dispositif de téléprésence adapté à des élèves qui seraient malades ou hospitalisés, afin qu’ils puissent participer à leur enseignement à distance et en synchrone. La finalité était alors d’étudier les possibilités techniques offertes par ce dispositif, dans le maintien des interactions sociales entre l’élève et son école, en évaluant ses aspects ergonomiques.
Les résultats obtenus seront appliqués à la conception d’un système de visioconférence mobile adapté aux élèves à besoins particuliers et tout particulièrement à ceux qui présentent un handicap moteur.
Dans leur recherche, l’équipe de Williams propose à cinq enfants de piloter un robot de téléprésence depuis un lieu distant, durant deux heures de cours chacun. Les chercheurs évaluent leur capacité à participer aux activités de la classe, leurs interactions avec les autres élèves de la classe mais aussi l’efficience de l’utilisation des commandes de pilotage du robot.
Les résultats sont positifs quant aux participations aux activités de la classe et aux interactions avec les autres élèves, cependant, ils observent des difficultés pour attirer l’attention de l’enseignant pour intervenir en classe ainsi qu’une faible visibilité de l’environnement du fait d’un champ de vision réduit et du réfléchissement trop élevé de la lumière.
Outre ces aspects, les élèves utilisateurs ont tous déclaré avoir apprécié d’utiliser ce type de dispositif et les enseignants comme les autres élèves du groupe, ont eu le sentiment d’interagir avec une personne et non avec un robot.
Ces précurseurs ont mis en œuvre un dispositif purement prototypique conçu à partir d’un chariot, d’une télévision et l’envoi et la réception des commandes directionnelles et du zoom, étaient contrôlés par une manette de jeux Nintendo. Un éventuel usage en situation réelle aurait donc réclamé des compétences suffisantes en informatiques et n’était alors pas accessible à des personnes novices.
Le passage du stade embryonnaire de leur utilisation à leur dissémination a été facilité par le développement industriel de ces robots mais surtout, grâce à l’évolution du réseau Wi-Fi, de la bande passante, des techniques de compression et de décompression d’images. Bref, d’une infrastructure qui permette une transmission qualitative du son et de l’image ainsi qu’un envoi et réception de commandes (déplacement, zoom) en synchrone avec des coupures de connexion de moins en moins fréquentes.

Etude conduite par Fels, Waalen, Zhai, et Weiss, (2001) :

La seconde étude que nous avons analysée, a pu bénéficier de ces avancées technologiques ainsi que de l’industrialisation du robot de téléprésence PEBBLES (Providing Education By Bringing Learning Environments to Students). Ce robot a été développé en 2001 par la société américaine Telbotics après cinq années de recherche menées en collaboration avec l’université de Toronto et l’université Ryerson.
Sa conception vise spécifiquement l’usage par des élèves dont la maladie ou l’hospitalisation ne permet pas de maintenir un lien avec son environnement scolaire d’origine. Il s’agit très certainement du premier robot de téléprésence développé pour un usage éducatif. Ce robot est composé d’une base robotisée roulante, intégrant le système électronique et les batteries, ainsi que d’une partie haute intégrant un écran, des haut-parleurs, des microphones et une caméra frontale.
Le robot dispose aussi d’un bras articulé pour permettre à l’élève de lever la main. La transmission des flux audio, vidéo et l’envoi des diverses commandes, passent par un système traditionnel de vidéoconférence. L’élève pilote le robot grâce à une manette de jeu vidéo et dispose d’un ordinateur avec une webcam pour interagir avec sa classe.
Fels et al. (2001) ont conduit une étude longitudinale sur l’usage de ce robot en situation réelle, par trois enfants hospitalisés qui ont utilisé ce dispositif pour participer à leur cours. Les chercheurs partent du constat que, malgré le déploiement de moyens destinés à accompagner la poursuite scolaire des enfants hospitalisés sur une période longue, l’enfant reste malgré tout séparé de son entourage (familial, amical et scolaire), ce qui contribue d’une part à augmenter son anxiété et d’autre part, à empêcher le développement de compétences sociales (Thompson, 1994).
Il est donc apparu nécessaire de proposer des solutions alternatives qui puissent permettre à ces enfants de construire des compétences sociales et de bénéficier des relations sociales fondamentales. Les auteurs interrogent la pertinence de cette technologie, pour le développement des compétences sociales des enfants. Leurs recueil de données concernait les enfants utilisateurs, leurs enseignants, leurs camarades de classe, leurs parents ainsi que le personnel soignant.
L’évaluation a porté sur trois unités d’analyses : la communication (la spontanéité et la qualité de l’interaction avec autrui) ; la concentration dans l’activité ; les prises d’initiative dans les activités. Ces unités d’observations sont catégorisées selon leur versant positif ou négatif, du point de vue des acteurs eux-mêmes via les questionnaires et entretiens et du point de vue des chercheurs grâce à leurs observations.
Les résultats indiquent des effets positifs de l’usage du robot sur les trois dimensions comportementales évaluées, avec une évolution allant d’un versant neutre à un versant positif.
Cette étude montre que l’incarnation d’une présence dans un dispositif de téléprésence, rend possible le développement de compétences sociales chez des enfants longuement éloignés de leur environnement scolaire. Cependant, le choix des unités d’analyse telles que la spontanéité des interactions et la prise d’initiative dans les activités, serait à discuter dans nos contextes d’enseignements magistraux français. En effet, l’enseignement magistral dans notre culture, incite peu à la prise d’initiative et à la prise de parole spontanée (Foucault, 2003 ; Maulini et Perrenoud, 2005), hormis lors des formats de types travaux pratiques, travaux dirigés ou travaux en petits groupes.

Téléprésence et présence sociale :

Les années 2010 voient émerger les expérimentations de robots de téléprésence en situation réelle, qui sont concomitantes avec le développement de leurs infrastructures techniques. Depuis, de récentes études expérimentales ont été menées afin d’évaluer le sentiment de présence sociale dans des groupes d’étudiants dans des interactions médiatisées par un robot de téléprésence, comparativement à un cours traditionnel en face à face ou des cours à distance et asynchrones (Lee, Spear et Kero, 2017).
Les résultats indiquent que le sentiment de présence dans les interactions ainsi que la dimension socio-affective du groupe, sont ressentis comme étant plus favorables dans les conditions d’enseignement en présentiel ou via un robot de téléprésence, que lors d’un cours en distanciel. L’usage du robot procurerait alors un sentiment de présence sociale plus proche d’une condition de cours en présentiel qu’en distanciel.
En 2016, Newhart, Warschauer et Sender, mènent une étude in situ auprès d’enfants dont la maladie rend impossible tout contact avec les camarades de classe ou les enseignants. Les données indiquent que l’usage du robot de téléprésence réduit le sentiment d’isolement social. Il favorise le sentiment d’intégration dans la classe ainsi que les interactions humaines avec les enseignants et les autres élèves.
Ces deux précédentes recherches tendent à faire émerger les effets de l’usage du robot pour pallier la distance physique d’élèves et d’étudiants avec leur environnement socioéducatif. L’étude de Sheehy et Green (2011) attribue une autre fonction sociale à l’usage du robot. L’objet de leur recherche est de développer des liens entre des enfants de classes spécialisées avec d’autres enfants de classes traditionnelles, pour une rencontre mutuelle de deux mondes éducatifs qui, habituellement, ne se croisent pas. Le robot de téléprésence est ici utilisé afin de réduire les frontières entre des modèles éducatifs clivés et ainsi, favoriser l’inclusion scolaire d’élèves exclus de l’école traditionnelle.
Ces études visent la compréhension des usages de ces catégories de robots sous l’angle du lien social et du sentiment d’être en coprésence de l’autre. L’expérimentation menée dans le cadre du projet régional « Robot Lycéen » que nous avons décrit plus haut, visait également à maintenir le lien social d’élèves éloignés de l’école pour des raisons médicales, ainsi que la poursuite des enseignements et le maintien du niveau scolaire.
Le rapport issu de cette expérimentation (Coureau-Falquerho, Simonian et Pérotin, 2016) fait état de retours favorables de la part des élèves utilisateurs et de leur entourage, concernant l’absence de rupture pédagogique et sociale ainsi que la possibilité de participer activement aux enseignements.
Néanmoins, de nombreux enseignants refusaient l’utilisation du robot dans leur classe. Cette expérience soulève alors des interrogations relatives aux enjeux de l’acceptabilité du dispositif par les enseignants. Effectivement, cette présence médiatisée de l’élève, ouvre une fenêtre sur l’extérieur de la classe et a été parfois ressentie comme un risque d’intrusion de l’entourage familial de l’utilisateur, dans la salle de classe. Les enseignants disent avoir le sentiment de perdre le contrôle de l’activité de l’élève dont ils ne partagent pas l’environnement physique. L’enseignant n’a accès qu’à la vision de la webcam de l’élève et il ne peut donc pas voir au-delà de ce champ de vision.

Evolution de la visioconférence à la téléprésence : une évolution ontophanique

L’évolution notable du passage de la visioconférence à la robotique de téléprésence, se situe dans le glissement d’une interaction relativement symétrique, vers une asymétrie des postures et de l’agentivité. La personne qui pilote le robot de téléprésence dispose d’un espace ouvert sur le territoire de l’autre et d’une certaine autonomie dans son exploration. Elle dispose de liberté d’action, dans les limites des contraintes environnementales et mécaniques de la machine.
Cependant, son interlocuteur dispose des espaces du robot et des espaces sur l’écran. Quant à l’espace visible de son interlocuteur, il est délimité par les mêmes frontières que celle de la visioconférence classique, c’est-à-dire par le champ de la webcam de l’utilisateur.
Ainsi, dans cette situation, les interactants ne sont plus dans une posture en miroir ou réciproque. Ils ne se présentent pas l’un et l’autre dans la même modalité perceptive. L’évolution présente ici une évolution ontophanique (Vial, 2013) dans la manière de percevoir le monde distant et de se présenter à l’autre.
Il s’agit également d’une rupture dans cette habitude de se positionner, de s’installer pour et au cours de l’interaction médiatisée synchrone. La libération du mouvement lors d’une interaction à distance en synchrone s’est déjà produite lors du passage du téléphone fixe à fil, au téléphone mobile. Cette condition offre plus d’intimité dans le choix de la discussion grâce la possibilité de s’isoler des autres pour parler. Les interactants ne sont plus cloisonnés à un espace restreint et délimité par la longueur du fil téléphonique et peuvent ainsi vaquer à d’autres activités en plus de celle de parler, sans que, parfois, l’interactant ne s’en aperçoive.

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