Les méthodes interactives de PMOM
Les méthodes interactives sont généralement définies comme étant des méthodes itératives qui alternent, successivement dans les différentes itérations, des étapes de calcul et de décision (Hwang et al., 1980, Roy, 1985). L’étape de calcul, qui est généralement exécutée par l’homme d’étude ou à l’aide d’un ordinateur, consiste essentiellement à générer des solutions afin d’élaborer des propositions au décideur. Dans l’étape de décision, un dialogue est établi avec le décideur afin de lui permettre d’exprimer son appréciation vis-à vis des solutions et des propositions qui lui sont présentées.
Shin et Ravindran (1991) considèrent que les méthodes interactives sont des méthodes avec une articulation progressive des préférences du décideur, où il fournit à chaque itération une information, explicite ou implicite, relative à ses préférences vis-à vis de la solution obtenue. Selon ces auteurs, vu que le décideur est impliqué dans tout le processus décisionnel, ce type d’approches a été mieux accepté en pratique. Les méthodes interactives sont généralement basées sur la procédure suivante (Vincke, 1989; Shin et Ravindran, 1991; Miettinen, 1998; Stewart, 1999; Korhonen, 2005), à savoir : a) trouver une solution; b) interagir avec le décideur pour obtenir sa réaction vis-à-vis de celle-ci, et utiliser des informations supplémentaires sur ses préférences pour générer une nouvelle solution; et c) répéter ces deux étapes jusqu’à ce que le décideur soit satisfait d’une solution donnée ou qu’un certain critère d’arrêt de la procédure soit satisfait. Sur la base de la dernière itération, une recommandation finale est faite au décideur qui aura participé activement à son élaboration; cette dernière ayant ainsi plus de chance d’être acceptée et implantée.
Par ailleurs, il est à noter que les méthodes d’aide à la décision impliquent, en général, à divers degrés et à différents moments, un dialogue avec le décideur, et ce, par exemple, pour définir les objectifs à considérer (Vincke, 1989; Korhonen, 2005). Cependant, Vincke (1989) souligne que toute méthode ne peut être considérée comme interactive que si ce dialogue joue un rôle fondamental dans celle-ci pour l’obtention de la solution la plus satisfaisante. En d’autres termes, selon cet auteur, il est nécessaire que le décideur joue un rôle direct dans la construction de la solution, rôle qui ne se limite plus, dans ce cas, à la définition et à la formulation d’un contexte décisionnel.
Shin et Ravindran (1991) ont caractérisé les différentes méthodes de PMOM interactives selon le style d’interaction avec le décideur qu’elles préconisent. Shin et Ravindran (1991) identifient plusieurs styles d’interaction qui ont généralement été utilisés dans les différentes méthodes interactives et que nous résumons comme suit:
• Les comparaisons de vecteurs : le décideur doit comparer un ensemble de vecteurs et déterminer le meilleur, le moins bon ou un ordre de préférence. Il est à noter que par comparaisons de vecteurs, il est généralement fait référence à la comparaison de plusieurs solutions de compromis. Shin et Ravindran (1991) soulignent que ceci peut être effectué par une série de comparaisons par paires, où le décideur compare, à chaque itération, une paire de vecteurs et détermine une préférence. Korhonen (2005) cite l’exemple de la méthode de Steuer (1977);
• Détermination et comparaison des taux de substitution : ce style d’interaction regroupe trois possibilités, à savoir :
a. des taux de substitution précis, où le décideur doit déterminer des valeurs précises des taux de substitution à un point donné ou à une solution donnée, tel que dans la méthode de Geoffrion et al. (1972);
b. des taux de substitution imprécis, où le décideur doit déterminer un intervalle pour chaque taux de substitution;
c. des comparaisons entre des taux de substitution, où le décideur doit déterminer le taux de substitution qu’il préfère, tel que dans la méthode ISWT de Chankong et Haimes (1978);
• Détermination des objectifs et valeurs des taux de substitution : le décideur doit désigner les objectifs qui doivent être améliorés ou ceux sur lesquels il est prêt à faire une concession, et en préciser le montant, tel que dans la méthode STEM;
• Niveaux d’aspiration (points de référence) : le décideur doit déterminer ou ajuster des niveaux d’aspiration pour les différents objectifs, qui reflètent ses attentes vis-à-vis de la réalisation de ces objectifs. La méthode du point de référence (Reference Point Method) de Wierzbicki (1980) est un exemple des méthodes qui se basent sur la fixation et l’ajustement des niveaux d’aspiration.
Ainsi, ces différents styles d’interaction permettent d’avoir une perspective des différentes manières d’établir un dialogue systématique avec le décideur. De plus, certaines méthodes interactives, telles que la méthode de Geoffrion et al. (1972), peuvent combiner plusieurs styles d’interaction. En effet, cette méthode requiert du décideur de déterminer les taux de substitution entre les différents objectifs et de choisir la solution qu’il préfère parmi un ensemble de solutions qui lui est proposé. Cependant, il est à noter qu’en général, une méthode interactive est considérée comme satisfaisante si elle ne requiert pas trop d’information de la part du décideur et si cette information est suffisamment claire pour le décideur pour pouvoir prendre part au processus de résolution d’une manière satisfaisante. Korhonen (2005), par exemple, considère que la communication entre le décideur et le modèle, par l’intermédiaire de l’homme d’étude, ne doit pas être compliquée.
Par ailleurs, il considère qu’il existe plusieurs façons de mettre en œuvre cette interaction. L’information qui est présentée au décideur à des fins de comparaison, par exemple, peut être sous forme graphique ou numérique. Selon cet auteur, les graphiques peuvent se révéler dans un bon nombre de cas, plus approprié pour illustrer les conséquences des différents choix du décideur. Dans ce qui suit, nous allons passer en revue certaines des méthodes de PMOM interactives parmi les plus connues.
La méthode STEM
La méthode STEp Method (STEM) développée par Benayoun et al. (1971-a) est l’une des premières méthodes interactives développées dans le contexte de la PMOM. Elle est considérée comme l’un des travaux pionniers qui a permis le développement de plusieurs autres méthodes interactives, telles que : GPSTEM de Fichefet (1976) et la méthode IMGP de Nijkamp et Spronk (1980). STEM est une procédure interactive et itérative qui alterne des phases de calcul et de décision lors des itérations successives. Elle consiste à réduire progressivement l’ensemble des solutions réalisables, et ce, en utilisant les réponses du décideur, fournies dans la phase de décision de chaque itération h, pour ajouter de nouvelles contraintes à cet ensemble lors de la phase de calcul. Cette phase permet de calculer, à l’itération h, une solution de compromis xh qui se rapproche le plus, dans un sens Minmax, de la solution idéale x* (Benayoun et al., 1971-a). Le décideur est ensuite appelé à comparer ces deux solutions et déterminer si xh est satisfaisante. Si elle ne l’est pas, il doit, à la lumière des résultats des phases de calcul qui lui sont présentés, fournir une nouvelle information concernant ses objectifs (Benayoun et al., 1971-a). Ainsi, cette méthode requiert de celui-ci de fournir deux types d’information à chaque itération, à savoir : a) indiquer l’objectif ou les objectifs sur lesquels il est prêt à faire des concessions pour pouvoir améliorer les niveaux de réalisation des objectifs non satisfaisants à la prochaine itération; et b) déterminer le montant de relaxation acceptable pour lui.
Les principales étapes de la méthode STEM sont comme suit :
Étape 0 : Déterminer la matrice des gains (Pay-off table), et ce, en maximisant chaque objectif séparément sujet au système des contraintes retenu. La diagonale principale de la matrice désigne ainsi une solution «idéale» ( x* ) mais non-réalisable. En effet, il n’existe pas, en général, de solutions réalisables, de sorte à ce que tous les niveaux de réalisation de tous les objectifs atteignent simultanément leurs valeurs maximales.
Il est à noter que dans la procédure de Benayoun et al. (1971-a), si le décideur n’est pas satisfait des niveaux de réalisation de tous les objectifs, correspondants à une solution obtenue lors d’une certaine itération, le processus interactif est interrompu et aucune solution satisfaisante ne peut être déterminée. En outre, cette procédure permet d’obtenir une solution finale, si toutefois elle existe, en p itérations au plus, car éliminant un coefficient de normalisation à chaque itération (Benayoun et al., 1971-a; Vincke, 1989). Par conséquent, cette méthode peut être considérée comme étant une méthode basée sur une convergence mathématique. Par ailleurs, Vincke (1989) considère que le décideur peut éprouver, dans certains cas, de la difficulté à déterminer la valeur Δf j , et qu’il est plus naturel pour celui-ci d’indiquer les objectifs à améliorer que ceux qui doivent être «relaxés». Cependant, Benayoun et al. (1971-a) décrivent une analyse de sensibilité qui peut être utilisée par l’homme d’étude afin d’aider le décideur dans la détermination des objectifs qui doivent être relâchés ainsi que la quantité maximale qu’il est prêt à concéder.
La deuxième méthode de PMOM interactive qui a également donné naissance à plusieurs autres méthodes interactives est la méthode de Geoffrion et al. (1972). Nous présentons cette méthode dans la prochaine sous-section.
La méthode de Geoffrion et al. (1972)
Geoffrion, Dyer et Feinberg (GDF) (1972) ont utilisé l’algorithme de Frank et Wolfe (1956) pour développer une méthode de PMOM interactive et l’ont appliqué à la gestion d’un département académique d’une grande université. La méthode GDF est basée sur l’hypothèse de l’existence d’une fonction d’utilité ou de valeur V représentant les préférences du décideur et que l’on cherche à maximiser (Geoffrion et al., 1972). Toutefois, cette fonction n’est pas déterminée d’une manière explicite (elle est implicitement connue); seule une information «locale» est demandée au décideur à chaque itération afin d’obtenir une approximation de cette fonction. En effet, le décideur doit, sur la base de la solution considérée à une itération donnée, fournir une information relative à ses préférences en déterminant les valeurs des taux de substitution entre les différents objectifs et un objectif pris comme référence. Cette information est utilisée, par la suite, pour sélectionner une nouvelle solution supposée être préférée à la solution précédente. La procédure interactive de GDF continue ainsi jusqu’à ce que la nouvelle solution obtenue à une itération h ne représente pas d’amélioration par rapport à la solution obtenue à l’itération h-1.
