une tentative de rationalisation du signifia graphique

Postulats et méthode du « plurisystème » dans une application au français

Le « plurisystème » mis en place par Catach représente l’articulation de champs visibles au plan graphique, parfois corrélés avec el plan phonique. En l’occurrence, les graphèmes sont répartis dans plusieurs catégoriesquatre( au total), ce qui explique le nom de la théorie.
Tout d’abord, l’auteur distingue les phonogrammes (80 à 85% des graphèmes du français), lesquels transcrivent un son : o, au, eau ; in, ain, ein, etc. (cf. Catach et alii, 1986 : 23). Ensuite, elle insère dans une deuxième classece qu’elle nomme les morphogrammes (3 à 6% des graphèmes du français), qui apportent un supplément d’information. De fait, les morphogrammes peuvent être soit grammaticaux e(.g. s de vais, tables) soit lexicaux (e.g. d prononcé dans grandeur) et peuvent être prononcés ou non (cfibid..) La troisième catégorie se compose de graphèmes qui constituent une discrimination graphique entre plusieurs homophones (e.g. seau, sceau, sot, saut). Elle nomme ces graphèmes les logogrammes (3 à 6% des graphèmes du français, cf. Catach et alii, 1986 : 28). Enfin, à ces trois classes, s’ajoute une quatrième comportant des graphèmes en tant quetraces étymologiques (e.g. h de homme) et qui représentent statistiquement 12 à 13% des graphèmes du français (cf. ibid.)
Si les logogrammes ne sont pas pertinents pour l’espagnol et que le système phonogrammique y est nettement moins complexe, il convient de souligner malgré tous les critères de classification proposés. En l’occurrence, Claude Gruaz, qui a contribué à l’ouvrage sur lequel nous nous appuyons, a recensé quatre critères principaux de reconnaissance des graphèmes inhérents à la démarche structurale adoptée par Catach et mêlant emprunts, lexèmes et morphèmes grammaticaux :
1. leur fréquence, ou plus exactement leur probabilité d’apparition : la graphie sh de shoot n’est pas significative ;
2. leur degré de cohésion, de stabilité, d’autonomie : « un graphème est reconnu comme tel s’il se retrouve intact dans divers contextes » [Catach et alii, 1986 : 30], ex. ai dans maison, fait, sais, geai ;
3. leur degré de rapport direct avec les phonèmes :un graphème renvoie à un même phonème quel que soit le contexte, ex. eau renvoie toujours à /O/ ; ceci est une condition nécessaire
mais pas suffisante : bien que renvoyant à un même phonème, […] è de père, e de vers, ai de vrai sont des graphèmes différents ;
4. le degré de rentabilité et de créativité linguistiques, par exemple, le graphème ai a une forte rentabilité morphologique dans la conjugaison et se retrouve dans tous les verbes créés en français à l’imparfait, au conditionnel, etc. 434
Ces critères rigoureux montrent, au-delà de l’appli cation monolinguistique, des unités rattachables en fonction de la stabilité de l’unitéen synchronie, de la probabilité d’apparition (touchant à la compétence graphique des locuteurs), le rapport direct aux phones très prégnant en espagnol. Ces critères ont, pour la plupart, déjà été évoqués plus haut dans ce chapitre en application à des motivations d’ordres phonétique ou articulatoire et sont tout à fait transposables à l’espagnol. Enfin, ce que Gruaz nom me « le degré de rentabilité et de créativité linguistiques » nous semble également importanced’ car il instaure comme référence la fréquence d’utilisation, qui implique également une certaine compétence. Cependant, il n’est rien dit de ce qui constitue cette fréquence, comme l’économie (cf.infra, l’étude du graphèmek appliquée à l’espagnol).
Pour une application au castillan, il importe de considérer que le « degré de rapport direct » avec les phones est maximal dans la mesure où un graphème (la plupart du temps monographique) y correspond souvent à un son. En ef fet, l’arborescence des déclinaisons graphématiques étant moins importante o( = [o] ; a = [a] ; e = [e], etc.), le classement des graphèmes est de fait opérable de manière moins complexe. Mais surtout, si à une graphie correspond fréquemment une phonie à l’échelle du système, les écarts, les « bifurcations » et donc les possibilités motivantes, s’en voient quantitativement réduits. On constate alors une inverse proportion entre degré de rapport direct etmotivation. Il n’existe par exemple qu’une représentation graphique de [e], soit e, du fait de l’inexistence notamment des phones [ ə], [œ] ou [ε] et d’une règle d’accentuation différente de celledu français.
Pour en revenir à la classification de Catach, précisons que les graphèmes se répartissent sur trois niveaux. Le premier représente les 45 graphèmes de base (dont les archigraphèmes) qui montre une connaissance du français basique, fondamentale. Quant au deuxième niveau, il est constitué de 70 graphèmes ubsumant les 45 premiers et atteste une meilleure connaissance de la langue, et enfin le troisième niveau se compose de 130 graphèmes qui subsument les 70 précédents et qui n’apparaissent que dans des cas précis (e.g. th de théâtre).435 Cette hiérarchisation des quantités graphématiquesmémorisées, c’est-à-dire le facteur de la compétence graphique, garde de sa pertinence pour l’application à l’espagnol car, quoique dans une moindre mesure, la disposition d’un stock suffisant de graphèmes est nécessaire.
Le « plurisystème » met donc en lumière les corrélations de mots qui échapperaient radicalement à une analyse purement phono-sémantique. Il est clair qu’ici ai par exemple est autonome et stable graphiquement mais pas référentiellement. L’impératif aie ou le substantif lait n’ont en effet de pertinence de corrélation que par l’unité phonogrammique ai.
Dans l’optique d’une application au lexique espagno l, tentons désormais de détecter les liens phonogrammiques qui lui sont propres et qui seraient susceptibles de donner lieu à motivation.
435 Catach et alii (1986 : 10-15).

De quelques « formes canoniques graphiques » de l’espagnol

Une application (partielle) du « plurisystème » suppose de prendre en compte non seulement les phénomènes systématiques rattachés laà structure graphique du signifiant mais également ses propriétés. C’est le lieu des oppositions allographiques simples ou complexes436.
Il conviendra de prendre en charge certaines particularités de l’espagnol tel l’archigraphème K représentant k, c et q(u)437 ; l’archigraphème G représentant gu et g ; l’archigraphème X représentantj et g (cf. Juan Ramón Jiménez dont les poèmes font figurer exclusivement le graphème j pour le son [χ]) ; les deux graphèmes b et v réunis sous un même son [b] ; l’impossibilité du redoublement des consonnes à l’exception de c, r, l, n (sauf certains emprunts en position de coda : e.g. topless, cross et dérivés,miss, gauss. Cf. DRAE, s.v.) ; le h phone muet (hombre, haber) vs. phone aspiré, notamment dans la prononciation d’emprunts : e.g. Georges Harrison, Hanan. On pourra également prendre en compte ce qui n’est pas propre à l’espagnol tels le S et le Z, dialectalement allographes et considérés comme des diagraphèmes (cf. chapitre septième). Cela est en lien avec l’économie articulatoire qui fait prononcer les mots avec le segment ps- à l’initiale en omettant le [p] ou l’« omission » phonétiqueplus dialectale : cantado [cantaØ o] ; dormir [doØ miØ ].
En somme, l’on pourra postuler que « [l]a lettre est hiéroglyphe indirect du son » en tant que correspondant graphique direct ou indirect en fonction des phones et des systèmes. Car, dans une optique plus proprement graphématique et en restant dans le cadre d’une démarche structurale, il est loisible d’appliquer les fondements théoriques retenus au symbolisme graphique.
En effet, comme le symbolisme phonétique peut entre structuralement dans la composition de certains mots du lexique, la figurativité de la lettre (ou des lettres), quoique peu étudiée, ne doit pas être considérée à part. rtainsCe vocables peuvent effectivement par leur graphisme contribuer à représenter un aspect du référent. Ainsi, la notion de « circularité » est souvent évoquée par des termesqui contiennent deux c. Sur le plan articulatoire, si l’on considère le premier c (interdental) et le deuxième (guttural) comme situés à des côtés opposés de la sphère buccale, force est de constater que pour la prononciation, une fermeture partielle de la bouche est certes nécessaire, mais ce n’est pas le cas de tous les mots motivés par cet invariant (e.g. cárcel [kárθel]). En revanche, dans les deux cas, on referme les deux c pour former le rond ou l’« enfermement » à quoi réfèrent cerco, círculo ou encore ciclo, d’origines distinctes. On retrouve d’ailleurs cet te fermeture des deux c dans le préfixe circun-.439 Nous tenterons plus avant de donner un aperçu de structuration par le biais du symbolisme graphique reniant ainsi, à l’instar de Guiraud, l’opposition plus large entre iconicité et motivation relative. Consacrons-nous pour le moment, afin d’en illustrer la potentialité, à une application de la théorie de la motivation relative graphique au graphème k en espagnol.

L’exemple du graphème k en espagnol

Signifiants phono-articulatoire et graphique peuvent coïncider et, ainsi, référer au même objet. C’est le cas du phone-graphèmek. Ainsi que l’écrit Toussaint :
On peut prévoir que lek va pouvoir exprimer le mouvement plutôt comme « déplacement dû à une force » (cette signification pouvant d’ailleurs peut-être s’inscrire dans la seule contraction des muscles qui élèvent le dos de la langue.)
L’auteur trouve une corroboration à ses arguments d ans le Robert (s.v. kinésique) où il lit comme définitions de kinésique: « mouvement », « action de se mouvoir », « soulèvement », « révolution » et, pour le verbe correspondant : «mettre en mouvement », « faire évacuer », « presser », « poursuivre » et « toucher du doigt » « (comme la langue touche le voile) ».441
Or, le graphème k pourrait sembler plus propre à exprimer l’idée de « force » que le « mouvement » et, métaphoriquement, une « force expressive ». Ainsi, s’opposent ocupar (« occuper ») et ses dérivés àokupar (« squatter ») et son paradigme. On peut encore noter le non-maintien en langue de la graphie quilo mise pour kilo dans une tendance pourtant coutumière à l’« hispanisation ». 442

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