L’objet de cette thèse, à savoir le prix de marché de l’immobilier, n’existe pas. L’ambition qui consiste à vouloir résumer à un seul chiffre (la valeur de l’indice) l’état d’un marché aussi hétérogène, illiquide et flou que l’immobilier est assez déraisonnable et très mal fondée théoriquement. Mais si du point de vue conceptuel les difficultés sont réelles, il n’en reste pas moins que ce chiffre unique est absolument incontournable ; il n’est pas possible, tant pour les praticiens de la gestion que pour les théoriciens, de s’arrêter à ce constat. C’est en gardant à l’esprit cette tension entre la rigueur scientifique et la nécessité de l’action que ce travail a été réalisé. Nous discuterons dans la suite de ce paragraphe des problèmes théoriques de la mesure du prix, au niveau d’un bien isolé puis pour le marché dans son ensemble.
Au niveau désagrégé des biens immobiliers, les difficultés de la notion de prix sont nombreuses et parler au singulier de ce concept est déjà discutable. Prenons l’exemple d’une maison située près d’une école réputée. Pour un couple avec enfants cette caractéristique est un élément de valorisation compte tenu de la carte scolaire en usage en France par contre, pour des retraités, il n’y aura pas de raison de surpayer cette situation géographique. Les valeurs que ces deux types d’agents économiques accorderont à cette maison seront donc différentes . Les mécanismes d’établissement du (des) prix sont d’autre part relativement complexes pour un bien comme l’immobilier. En général les transactions sont intermédiées par un agent, on peut alors s’interroger sur l’impact qu’a ce tiers sur le prix de vente (Evans, Kolbe (2005)). Dans le cas des ventes aux enchères on peut également se poser la question, comme Ong, Lusht et Mak (2005), de savoir quels sont les principaux facteurs influençant le prix et le succès de l’enchère (prix proposé supérieur au prix de réservation du vendeur). Toutes ces questions relèvent d’un champ que l’on pourrait appeler « microstructure immobilière » et elles mettent en évidence la complexité de la notion de prix dans ce secteur. Mais, à nouveau, si ce concept est discutable il a cependant le mérite d’exister. L’observation d’un prix de transaction reste une donnée irremplaçable.
Toujours au niveau désagrégé, il faut prendre en compte un élément supplémentaire, à savoir celui de la faible rotation des biens immobiliers qui sont en général détenus pendant plusieurs années. Implicitement on est alors souvent amené à estimer la valeur du stock (non échangé) par les prix constatés sur le flux (échangé), à une date donnée. Et si le flux n’est pas représentatif du stock, ce qui est tout à fait envisageable dans le cas des biens non fongibles, la détermination de la juste valeur devient un exercice périlleux. On glisse ainsi insensiblement du concept de prix au concept de valeur, rendant encore plus délicat l’exercice de la mesure monétaire requis par la finance (cf. Thion (1998)) .
Inévitablement, les difficultés que l’on rencontre en cherchant à définir sans ambiguïtés la notion de valeur ou de prix pour un bien particulier, se répercutent sur le concept agrégé de « prix de marché de l’immobilier ». Sans aller jusqu’à affirmer qu’un marché résulte uniquement de conventions sociales comme Favereau, Biencourt et Eymard-Duvernay (2002), on peut toutefois s’interroger sur le niveau de solidité théorique de ce concept. En d’autres termes, quel est le degré de quantifiabilité ou de mesurabilité de cette notion curieuse que l’on appelle « LE prix de l’immobilier » et qui fait si souvent la une des hebdomadaires grand public ? Pour illustrer plus concrètement ce problème, on peut considérer une situation où l’échantillon d’estimation est constitué de deux types de biens : des studios-T1-T2 typiquement destinés aux primo accédants et des appartements de grande taille correspondant mieux aux besoins et aux moyens des familles avec enfants. Si l’on considère que les caractéristiques de rendement et de volatilité sont identiques pour ces deux catégories de logements, il est alors légitime d’estimer un seul indice. Par contre, si l’on a des raisons de penser comme Clapp et Giaccotto (1999) que les dynamiques sont différentes, quel sera alors le sens économique de l’indice ? Aura-t- il une signification réelle ou ne sera-t-il qu’un résultat mathématique découlant de l’application mécanique d’une procédure économétrique? Ce type de questionnement revient en fait à s’interroger sur l’existence, ou plus exactement la représentativité, de l’indice (cf. Case, Pollakowski, Watcher (1991)).
On pourrait répondre très rapidement en affirmant que deux indices détaillés valent toujours mieux qu’un seul. Mais si ce raisonnement est utilisé une fois pour distinguer les petits appartements des grands, pourquoi ne pas le réitérer en distinguant le plus finement possible les différents types de biens et obtenir ainsi des indices aussi spécialisés que « l’indice des studios, 3eme étage, sans ascenseur, orienté au nord, donnant sur cour » ? On obtiendrait alors une collection zoologique de courbes retranscrivant fidèlement l’hétérogénéité des biens immobiliers. Cette approche, appliquée trop naïvement , présente en fait le grand inconvénient de faire perdre de vue l’ambition du chiffre unique (LE cours de l’immobilier). D’autre part, plus un échantillon est homogène plus il est petit, et plus l’indice estimé est susceptible d’être affecté par une volatilité indésirable en provenance des transactions exceptionnelles. Le calcul d’un indice s’inscrira donc dans une tension entre une démarche dissociante, visant à assurer une homogénéité suffisante dans l’échantillon d’estimation, et un principe moniste requis par des nécessités économétriques mais surtout par la volonté d’avoir un seul chiffre sur lequel s’appuyer pour pouvoir prendre des décisions de gestion. Cette intentionnalité numérique commune à la plupart des méthodes de finance moderne (méthode des comparables pour l’évaluation d’entreprise, cotation, choix d’investissement à l’aide des critères VAN et TIR, pricing d’option par réplication…) est motivée par la flexibilité de la notion d’ordre total, caractéristique des nombres réels . Mesurer, c’est ensuite pouvoir comparer puis décider du meilleur investissement. Il faut toutefois mentionner que la notion d’ordre total est à manier avec précaution, car comme l’a souligné Markowitz (1952) un choix d’investissement ne peut pas se faire à la seule vue du rendement espéré, on est obligé de raisonner en termes de couples {Rendement espéré ; Risque de l’investissement}. Dans ce genre de situation la notion d’ordre total disparaît au profit d’une notion d’ordre partiel . Il n’en reste pas moins que la mesure du prix de marché de l’immobilier (l’indice) est la première étape pour l’étude des décisions d’investissement.
Même si « le prix de l’immobilier » est une chimère, ce concept reste d’une très grande utilité en pratique. Il faut donc pouvoir le définir le plus explicitement possible, quitte à avoir recours à un certain degré de convention. On expose ici succinctement les bases des principales méthodologies développées pour répondre à cette question ; les deux notions centrales qui les sous-tendent sont l’illiquidité et l’hétérogénéité.
Ces différentes techniques sont très couramment employées. Elles concernent des situations souvent très diverses, tant du point de vue sectoriel que du point de vue géographique. Ainsi Chau, Wong, Yiu, Leung (2005) étudient le marché résidentiel de Hong-Kong ; Nappi-Choulet, Maleyre, Maury (2005) le marché des bureaux de la Défense ; Sunderman, Spahr, Birch, Oster (2000) le prix des ranchs aux Etats-Unis. Les séries de prix immobiliers peuvent être parfois très longues : Friggit (2001) remonte par exemple au XIXeme pour le prix des logements en France, Eichholtz (1997) étudie les variations de prix le long du canal Herengracht en Hollande de 1628 à 1973, tandis que Eitrheim et Erlandsen (2004) couvre la période 1819-1989 pour quatre villes de Norvège.
Sur le plan du vocabulaire et de manière un peu transversale, on distinguera deux familles d’indices : les indices de prix (médian, hédonique, indice sur valeurs d’expertise…) et les indices de rendement (indice de ventes répétées). Dans le premier cas, la valeur de l’indice à une date t ne sera qu’une moyenne, plus ou moins sophistiquée, des prix enregistrés à cette même date. Le niveau de l’indice à t ne dépendra donc pas du passé ou du futur des prix immobiliers. Dans le deuxième cas la « moyenne » portera sur les rendements et, comme on le verra ultérieurement, la structure temporelle du RSI sera très différente. La valeur à l’instant t sera en fait une fonction des prix d’achat (avant t) et des prix de revente (après t) .
L’idée la plus basique pour définir un indice de prix consiste, à partir des transactions réalisées à une date donnée, à calculer le prix au m² pour chacune d’elle et à prendre la moyenne de ces valeurs; on parle dans ce cas d’indice médian. Pour appliquer cette méthode il faut pouvoir disposer à chaque date d’un nombre suffisant de données afin d’assurer une certaine stabilité de la moyenne. Or, pour certains types de biens comme l’immobilier commercial ou de bureaux, les échantillons sont parfois de petite taille. De plus, effectuer une moyenne brute sur des biens hétérogènes, c’est courir le risque de capturer les variations dans la qualité des biens (rénovation, agrandissement…), ou de capturer les variations des prix implicites des caractéristiques de ces biens (engouement passager pour les appartements avec terrasse…), plutôt que d’essayer de retranscrire les fluctuations de la valeur foncière intrinsèque. Le problème de la rareté des données, dû à la faible liquidité du marché immobilier, se traite en général en ayant recours à des expertises. Les difficultés induites par l’hétérogénéité sont à l’origine des méthodes hédoniques.
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