Une Quête d’excellence objet de nombreuses préoccupations

Une Maîtrise de l’activité porteuse de sens…

Nos résultats montrent que les travailleurs bénéficient d’une grande autonomie dans la manière de concevoir et d’animer leurs Expériences.
Nous commencerons (1.1) par voir que les critères de qualité édictés par Airbnb Experience sont incompatibles avec un contrôle algorithmique des processus de travail. Ce faisant, les travailleurs disposent de vastes espaces d’autonomie pour concrétiser l’idéal d’authenticité et de personnalisation mis en avant par la stratégie globale de Airbnb Experience. Puis (1.2), nous verrons que cette autonomie génère un rapport renouvelé au travail, porteur de sens et de plaisir.

Une Valorisation de l’authenticité incompatible avec le contrôle des processus de travail

Nous soutenons que les processus de travail sont volontairement non contrôlés afin que les expériences correspondent aux critères de qualité établis par Airbnb Experience, dont l’authenticité de la connexion humaine.
Afin de bâtir une image de marque différenciante par rapport à ses concurrents (e.g. Offices de Tourisme, Trip Advisor, etc.), la plateforme-organisation Airbnb Experience met l’accent sur trois grands critères de qualité : expertise de « l’host » ; authenticité de la connexion humaine ; accès privilégié à une expérience locale. D’après les documents Airbnb que nous avons consulté, une expérience idéale doit laisser l’impression au « guest » d’avoir échangé avec un ami et de s’être senti comme un local, en cohérence avec le motto de l’entreprise belong anywhere » (être à sa place n’importe où). L’authenticité des expériences est particulièrement mise en avant dans l’ambition affichée de créer des « nouvelles manières de voyager » (extrait d’un podcast Let’s Talk Experience) et paraît peu compatible avec un processus de travail standardisé.
De ce fait, le management algorithmique implémenté par Airbnb Experience ne s’exerce pas sur les processus de travail. Le travailleur est libre de concevoir son expérience comme il le souhaite : il définit la thématique, la durée, le prix et le script de sa proposition de service. Au moment d’animer l’expérience, le travailleur peut dévier du script prévu car il ne suit aucune indication de la plateforme. Le travailleur n’a par ailleurs pas l’obligation ni la nécessité de télécharger l’application Airbnb pour animer ses expériences : la plateforme coordonne le travail principalement en amont et en aval de l’activité.
L’autonomie dans les processus de travail permet une nécessaire adaptation de chaque expérience par rapport aux attentes et aux humeurs singulières de chaque client. Par exemple, un atelier d’initiation à la photographie peut se transformer en shooting de portraits si le client préfère avoir des photos de lui plutôt que de prendre des photos. Les différentes étapes de l’itinéraire sont également flexibles : « On fait une visite à pied de 2h. Comme certaines visites finissent plus vites que d’autres, on a une partie supplémentaire qu’on peut ajouter si besoin. Dans l’itinéraire, on a une pause-café qui fonctionne généralement bien parce qu’on peut montrer la carte, on peut montrer les endroits qu’on aime bien et qu’on recommande, on peut montrer les endroits qu’ils aimeraient voir. Mais certaines personnes ont pas envie de prendre un café. Comme on veut pas arrêter la visite plus tôt, on s’est dit : qu’est-ce qu’on fait ? C’est pour ça qu’on a rajouté une option supplémentaire, pour ceux qui veulent pas forcément faire la pause-café mais qui ont payé pour 2h de visite » (extrait d’entretien).
Nous pourrions penser que cette autonomie dans les processus de travail est propre à la nature intellectuelle de l’activité, en opposition à une activité davantage manuelle comme la livraison de plats cuisinés. Pourtant, au cours de notre enquête préliminaire, nous avons identifié la plateforme City Wonders, qui propose des services touristiques similaires (de type visite guidée), mais que nous avons classé parmi les plateformes « opératrices ». Sur City Wonders, les processus de travail sont fortement standardisés, parcellisés et contrôlés. Les travailleurs choisissent les visites qu’ils souhaitent animer dans un catalogue préétabli. Pour chaque visite, la durée, le prix, l’itinéraire et le script détaillé sont déjà définis sans qu’ils ne puissent être modifiés. Au moment de la visite guidée, le travailleur doit valider sa présence à chaque étape clé de l’itinéraire. Enfin, comme sur Deliveroo, les algorithmes de la plateforme servent à attribuer automatiquement les missions de travail selon les attentes spécifiées par le client.
L’instrumentation de gestion Airbnb Experience implémente seulement deux prescriptions sur les processus de travail. Tout d’abord, une expérience ne peut se faire qu’auprès d’un nombre limité de clients (au maximum 12 « guests » par expérience) pour se démarquer d’une offre plus classique proposée par exemple par les offices de tourisme. En second lieu, il est interdit de refuser ou d’annuler une expérience sauf raison de force majeure. Les clients réservent une expérience via un calendrier en ligne sur lequel le travailleur indique ses disponibilités : pour chaque jour où il a indiqué être disponible, le travailleur ne peut refuser ni annuler aucune réservation.

Un Rapport renouvelé au travail

L’autonomie dans la manière de concevoir et d’animer les expériences génère un rapport renouvelé au travail, porteur de sens et de plaisir.
Il est possible de créer des expériences de toutes sortes. Parmi les travailleurs que nous avons interrogés, certains font des visites guidées sur des thèmes culturels, historiques ou militants. D’autres animent des food tours ou des ateliers culinaires, artistiques ou sportifs. Enfin, certains proposent des séances de méditation en groupe, des tournées de bars ou des balades linguistiques. Créer son expérience renvoie souvent à partager une passion ou une cause qui tient les travailleurs à cœur : “J’ai un amour inconditionnel pour ma ville, bien avant qu’elle soit branchée. Et dans les années 1990, j’étais très très fière déjà de ma ville et je disais toujours à mes amis parisiens, mais vient ! Je vais te montrer ! J’adore la possibilité de faire visiter ma ville à ma sauce, et non pas son côté classique ou sur le vin…” (extrait d’entretien).
Un argument qui est revenu plusieurs fois est la possibilité de révéler une facette de sa personnalité qu’il est peu commun d’exprimer dans le milieu professionnel classique, dans lequel certains enquêtés regrettent qu’il faille endosser un rôle spécifique. A l’opposé, animer une expérience donne la possibilité d’être simplement soi-même :
• Je suis dans un truc très vrai en fait ! Mais qui est ma personnalité ! Je me suis pas mise dans un rôle. Je pense que mon mari est parfois pas très d’accord avec moi, parce que c’est vrai que je fonctionne un peu comme je suis à la maison, je fonctionne un peu comme si j’avais des amis quoi ! Donc… Voilà, parfois je rentabilise moins parce que je vais sortir une cuillerée en plus, je vais être plus généreuse, je vais pas forcément calculer… Je sais qu’une fois j’avais discuté avec un des hôtes qui fait une expérience de crêpe. Il m’avait dit, lui il pesait tout quoi ! Il calcule, son oeuf, la farine… Moi je peux dire que je suis pas du tout dans ce calcul-là ! […] Je suis hyper dans l’humain moi de toute façon ! J’ai enfin trouvé un métier où je peux être avec mon caractère et je peux bosser à la fête, comme j’aime faire, qui est mon caractère de base ! Et dans le milieu du travail, c’est pas forcément bon et accepté… Et là, avec mes clients, je suis moi et je suis totalement à la fête ! » (extrait d’entretien)

Mais une vulnérabilité liée à la rigidité du système d’évaluation des performances

Nos résultats montrent que l’autonomie dans les processus de travail est contrebalancée par des impératifs stricts de qualité. Comme nous l’avons vu, l’image de marque de Airbnb Experience repose sur une idée d’authenticité des expériences qui se décline en trois critères de qualité : expertise ; connexion humaine ; accès privilégié à une expérience locale.
Nous verrons d’abord (2.1) que le bon respect de ces critères de qualité fait l’objet d’un contrôle strict de la part de la plateforme-organisation Airbnb Experience, à la fois en amont et en aval de l’activité.
Puis (2.2), nous montrerons que le sujet des évaluations clients concentrent en particulier les préoccupations de travailleurs. Les évaluations clients impactent en effet fortement le référencement et les possibilités d’obtenir des réservations futures, mais aussi la présence même sur la plateforme car il existe un seuil de 4,7 étoiles sur 5 en-dessous duquel les expériences sont automatiquement désactivées. Le système d’évaluation par les clients est de ce fait jugé comme étant particulièrement dur.

Un Contrôle de la qualité des expériences en amont et en aval de l’activité

Dans cette partie, nous montrerons que l’instrumentation de gestion mis en place par Airbnb Experience permet de contrôler le bon respect des critères de qualité (expertise, connexion humaine, accès privilégié) à la fois en amont et en aval de l’activité.
• Des barrières à l’entrée
Tout d’abord, la plateforme-organisation Airbnb Experience diffère d’une « place de marché » classique car des barrières à l’entrée sont mises en place. Des instruments de gestion de sélection visent à vérifier que toute nouvelle expérience corresponde bien aux trois critères de qualité susnommés.
Au moment de notre enquête de terrain, trois étapes de modération étaient mises en place avant que toute proposition d’expérience ne puisse être mise en ligne. La première étape correspond à une modération automatique : un algorithme semble repérer les mots clés et les critères éliminatoires, ce qui conduit à l’affichage immédiat d’un message de refus une fois le questionnaire complété. Comme nous en avons fait l’expérience, plusieurs refus automatiques peuvent se produire avant de pouvoir être sélectionnés pour la deuxième étape.
La deuxième étape consiste en une modération manuelle, sous quelques jours, de l’expérience. Le candidat n’a pas de retour direct venant de l’équipe managériale de Airbnb Experience mais il reçoit des commentaires semi-automatiques pour proposer des conseils d’amélioration (voir figure 18 ci-dessous).
Enfin, la troisième étape consiste en un dernier tour de modération manuelle. Cette modération manuelle ne s’intéresse plus au descriptif de l’expérience mais seulement aux photographies proposées pour illustrer l’expérience. La plateforme-organisation accorde un soin particulier aux photographies car elles représentent la vitrine des expériences. Les photographies se doivent de présenter une image harmonisée et branchée qui traduit l’esprit d’authenticité des expériences.

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