Une politique militaire révolutionnaire ?

Une politique militaire révolutionnaire ?

 « Les deux méthodes »

Le débat sur l’insurrection dans la SFIO avant Pour les socialistes d’avant , le choix des moyens de transformation de la société est une question cruciale, qui remonte en fait aux origines du mouvement ouvrier et du marxisme. En France, cette question oppose théoriquement les héritiers de Blanqui, les courants réformistes et les partisans du marxisme révolutionnaire regroupés autour de Guesde et Lafargue. Les fusions et recompositions des différents courants socialistes, jusqu’à la création de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) en 05, ne débouchent pas sur une position unifiée. Dans les deux domaines où le rapport à l’État se pose de la façon la plus pratique, c’est-à-dire l’attitude face à l’armée et l’autodéfense ouvrière, des divergences profondes existaient au sein du mouvement socialiste d’avant et se maintiennent jusqu’à la déclaration de guerre. Le marxisme et l’État — la nécessité de l’insurrection révolutionnaire Déjà du vivant de Marx et Engels se pose la question du rapport des socialistes à l’État. Pour eux, celui-ci est le fruit de la division de la société en classes antagonistes et nait sous la forme d’une « force publique qui ne coïncide plus directement avec la population s’organisant elle-même en force armée ». Son rôle étant de maintenir la domination de classe en utilisant la force pour atténuer les conflits sociaux, toute perspective révolutionnaire réelle doit donc souligner la nécessité de s’attaquer à lui et de le détruire. C’est ce qu’Engels et Marx écrivent dans leur préface de 72 au Manifeste du Parti communisteI  : La Commune, notamment, a démontré que « la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l’État et de la faire fonctionner pour son propre compte ». À partir de ce moment, pour les marxistes « orthodoxes », c’est-à-dire révolutionnaires, la transformation de la société ne peut s’accomplir qu’au moyen du renversement de l’ordre existant. Cela suppose bien sûr de préparer la révolution comme un acte insurrectionnel — soit par la seule éducation politique du prolétariat, comme le théorise alors notamment Rosa Luxemburg (rejointe sur ce point par la majorité de la IIe Internationale), soit par la conjugaison de cette éducation politique à l’organisation de l’insurrection par le parti, comme l’affirme Lénine dès 04. C’est dans cette optique que le mot d’ordre de « l’armement du prolétariat » prend tout son sens. Il s’agit, en armant les travailleurs, de leur permettre de prendre et de conserver le pouvoir politique, en remplaçant après la révolution l’armée permanente par l’armement du peuple entier, le « peuple en armes ». Cette perspective révolutionnaire est remise en cause plusieurs fois, notamment lors de la célèbre « querelle réformiste »II, avant d’être abandonnée théoriquement par la plupart des partis de la IIe I Elle fut ensuite citée et commentée longuement par Lénine dans l’État et la révolution (). II La « querelle réformiste » (en allemand : Reformismusstreit) éclata dans le SPD, puis dans l’Internationale tout entière, suite à la publication en 96 par Eduard Bernstein de ses articles portant sur les « Problèmes du socialisme ». Il y remettait en cause à la fois l’inéluctabilité des crises dans le système capitaliste et la nécessité de renverser celui-ci ; pour lui, il était devenu possible de passer graduellement au socialisme par des réformes Internationale lors de la Première Guerre mondiale. C’est dans ce cadre théorique que la réflexion sur la question militaire et son rapport à la révolution s’opère d’abord dans la SFIO, puis dans la SFIC au moins jusqu’au milieu des années . L’héritage de Blanqui et les controverses entre réformistes et révolutionnaires Le cas français est compliqué du fait de l’histoire particulière de son mouvement ouvrier. En effet, celui-ci est extrêmement marqué par la question de l’insurrection, depuis celle des canuts en à Lyon jusqu’aux grèves quasi insurrectionnelles des années 90-00 en passant bien sûr par juin 48, décembre 51 et la Commune de Paris. Cette question est largement discutée et divise profondément le mouvement ouvrier français dès ses origines, et plus encore après la Commune. Il en est sorti une tradition politique et un courant d’idées largement spécifiques à la France, le blanquisme. Nommé d’après Auguste BlanquiI , un des révolutionnaires républicains socialistes les plus connus du XIXe siècle français, ce courant se définit comme un insurrectionnalisme révolutionnaire, reposant sur la nécessité pour la classe ouvrière de recourir à la force pour faire valoir ses droits (idée qu’il résume en 51 par la maxime « Qui a du fer a du pain »). De son expérience des années et , âge d’or des conspirations politiques classiques (et notamment de la CharbonnerieII au sein de laquelle il fait son initiation politique), Blanqui déduit la nécessité pour les révolutionnaires socialistes de s’organiser en petits groupes militarisés et secrets devant passer à l’action dans le cadre d’un complot révolutionnaire et instaurant ensuite une dictature de fer pour défendre la révolution. Cette conception s’oppose radicalement aux théories de Marx et de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), qui soulignent, quant à eux, l’importance de l’activité des masses ouvrières et concluent donc à la nécessité d’organiser celles-ci de la façon la plus large possible. Pour Marx et Engels, la faiblesse principale de Blanqui repose dans le primat qu’il donnait à l’action sur la théorie : Blanqui est essentiellement un révolutionnaire politique ; il n’est socialiste que de sentiment, par sympathie pour les souffrances du peuple, mais il n’a pas de théorie socialiste ni de projets pratiques de transformation sociale. Dans son activité politique, successives. Karl Kautsky, puis Rosa Luxemburg lui répondirent, défendant le point de vue révolutionnaire. Luxemburg montra notamment, dans Réforme sociale ou révolution (98), le rôle joué par la lutte pour les réformes dans la préparation de la révolution. I Auguste Blanqui (05-81) : Fils d’un immigré italien élu à la Convention, Auguste Blanqui devient militant et révolutionnaire très jeune, sous Charles X. D’abord proche de la Charbonnerie et des saint-simoniens, il se rapproche des républicains. Il devient socialiste après la révolution de , et est emprisonné pour la première fois en (il passera une grande partie de sa vie en prison). Après 48, il rompt fermement avec les socialistes modérés. Emprisonné de 48 à 59, puis de 61 à 65, il s’évade et ne revient en France qu’en 69, après une amnistie générale. Il a alors parmi ses disciples Paul Lafargue et Charles Longuet. Clandestin après une nouvelle tentative d’insurrection contre l’Empire, il est à nouveau arrêté à la veille de la Commune de Paris et condamné en 72 à la détention perpétuelle. Libéré en raison de son grand âge en 79, il se relance dans l’action politique. Son cortège funéraire sera suivi par près de 0 000 personnes. (http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php? article9, « Notice BLANQUI Auguste ». Notice remaniée et complétée par Michel Cordillot et Jean Risacher, version mise en ligne le janvier 09, dernière modification le mai .) II La Charbonnerie (de l’italien Carbonaria) était un rassemblement de sociétés secrètes opposées au régime de la Restauration, inspiré des organisations qui luttaient alors contre la domination autrichienne sur l’Italie du Nord. il fut avant tout un « homme d’action » qui croyait qu’une petite minorité bien organisée pourrait, en essayant au bon moment d’effectuer un coup de main révolutionnaire, entraîner à sa suite, par quelques premiers succès la masse du peuple et réaliser ainsi une révolution victorieuse. Ou, comme le formule Trotsky, quelques décennies plus tard : En principe, l’erreur du blanquisme consistait à identifier la révolution avec l’insurrection. L’erreur technique du blanquisme consistait à identifier l’insurrection avec la barricade. La critique marxiste fut dirigée contre les deux erreurs . Après la mort de Blanqui en 81, et alors que les marxistes français autour de Guesde et Lafargue créent le Parti Ouvrier Français (POF), les blanquistes s’organisent dans le Comité Révolutionnaire Central (CRC), qui se divise dès la crise boulangiste, lorsque certains de ses dirigeants choisissent par opposition à la république « bourgeoise » de soutenir le général Boulanger, aux côtés des monarchistes et des nationalistes. Durant toute cette période, la rivalité entre les deux ailes révolutionnaires du mouvement ouvrier français, blanquistes et « guesdistes », se poursuit, même si elle s’atténue de plus en plus au fur et à mesure que les blanquistes intègrent de plus en plus de marxisme à leur corpus théorique. En 98, le CRC se transforme en un éphémère Parti Socialiste Révolutionnaire qui fusionne avec le POF avant de participer à la fondation de la SFIO en 05. L’histoire mouvementée du blanquisme se conclut donc par le ralliement de ses derniers dirigeants, tel Édouard Vaillant, au socialisme marxiste. Malgré cet épilogue, l’histoire de la lutte contre les conceptions « actionnistes » de Blanqui laisse des traces durables dans le socialisme international et particulièrement en France. Pendant de nombreuses années, et jusqu’au début des années , le terme de blanquisme est utilisé, souvent de façon polémique, pour désigner un trop grand attachement porté à l’insurrection au détriment de ses soubassements politiquesI , mais aussi par les courants réformistes pour essayer de délégitimer leurs opposants révolutionnaires. Au-delà des militants et des cadres issus directement du blanquisme, les idées insurrectionnalistes exercent aussi une influence notable sur plusieurs courants de la gauche révolutionnaire, évoluant entre les syndicats et la SFIO. C’est le cas notamment des syndicalistes-révolutionnaires (SR), qui sont alors officiellement majoritaires dans la CGT. Ils rejettent toute action « politique » (c’est-àdire parlementaire) et imaginent la révolution future sous la forme d’une grève générale qui prendrait presque naturellement des couleurs insurrectionnelles. Le gouvernement utilise d’ailleurs lui aussi cette idée d’une CGT portée à l’insurrection révolutionnaire, au « complot » et à la conspiration. C’est par exemple le cas lors des arrestations ciblées de cadres syndicaux par le ministre de l’Intérieur Clemenceau en 06. Les arrêtés, dont le secrétaire de la CGT Griffuelhes, sont accusés d’avoir préparé une insurrection générale à l’occasion du 1er MaiII. Le « complot » imaginé par le gouvernement se révèle inexistant avant même qu’une instruction judiciaire soit ouverte et Jaurès a ensuite beau jeu de dénoncer une manœuvre électorale, visant à donner une I Cette utilisation polémique du « blanquisme » se retrouva lors des multiples débats au sein du PC sur la question de l’autodéfense, notamment contre les « erreurs » de la « période Treint-Girault » à partir de . II Pour faire bonne mesure et gagner à la manœuvre l’aile gauche des républicains, le gouvernement ajoute au « complot » qu’il a « démasqué » un élément réactionnaire, en prétendant que les syndicalistes sont manipulés par des bonapartistes et des monarchistes, qui espéreraient tirer parti du mouvement pour abattre la république. majorité aux républicains non socialistes lors des élections législatives des 6 et mai. Même si le complot de 06 est une fiction judiciaire, le passage réel à l’action directe n’est pas complètement étranger à la CGT. Elle approuve, par exemple, l’emploi de la violence contre les briseurs de grève, voire le sabotage individuel. De nombreux fils télégraphiques sont ainsi sabotés lors des grèves de chemins de fer des années 09-, sans que le phénomène prenne pour autant l’ampleur qui lui est alors attribuée par la presse de droite. Contesté par les dirigeants socialistes et progressivement abandonné, l’emploi du sabotage par la CGT est en fait resté cantonné au niveau individuel et n’a jamais débouché dans le syndicalisme-révolutionnaire sur l’idée d’une organisation paramilitaire de révolutionnaires ou de saboteurs disciplinés. Cette conception clairement héritée de Blanqui se retrouve par contre dans les orientations du groupe organisé autour de La Guerre sociale. Ce journal, créé par Gustave HervéI et Miguel AlmereydaII en 06, rassemble des militants de la gauche de la SFIO et des Jeunesses socialistes ainsi que des anarchistes et quelques militants syndicalistes-révolutionnaires. La doctrine d’Hervé, le « militarisme révolutionnaire », est clairement inspirée par le blanquisme originel et prône la constitution d’une organisation clandestine de cadres militaro-politiques préparant l’insurrection par la lutte armée et le sabotage. Lors des grèves de 09 et , Hervé prétend même être à la tête d’une organisation nationale de combat, spécialisée dans le sabotage des voies de chemin de fer . Malgré ses efforts pour attirer à lui à la fois anarchistes, syndicalistes et socialistes, Hervé semble être peu apprécié et ses idées ont souvent été présentées comme étant restées aux marges de la SFIO comme du mouvement ouvrier. On peut pour exemple citer le point de vue d’Alfred RosmerIII, qui est alors un des principaux meneurs théoriques du courant SR de la CGT : L’hervéisme, nous avons déjà eu l’occasion de le constater, malgré son insurrectionalisme appuyé surtout sur des violences verbales, malgré l’influence réelle qu’il exercera pour un temps sur de bons militants ouvriers, ne provoque qu’une effervescence superficielle et passagère. […] Cette opposition n’a pas ombre de doctrine, sa tactique est une « pédagogie » détestable, consistant en un grossissement,une déformation volontaire des faits et des hommes pour que « les ouvriers puissent comprendre ». Pourtant, l’influence d’Hervé semble dépasser largement ses capacités organisationnelles et a été déterminante dans la formation de nombre de militants révolutionnaires d’après , qui ont souvent fait leurs « classes » militantes en lisant la Guerre sociale. C’est le cas par exemple de Georges Beaugrand, de Jacques Duclos, de Camille Larribère, ou encore d’André Marty, qui jouent tous un rôle notable dans l’appareil d’autodéfense ou antimilitariste du PC des années – et lisaient tous avant-guerre le journal insurrectionnaliste. Indépendamment de l’influence ou de l’héritage du blanquisme, la question de l’insurrection, et en fait plus largement du rapport à l’État, se pose aussi avant aux courants socialistes se réclamant du marxisme. Cette question est, par exemple, une des bases de la discussion sur « les deux méthodes », qui oppose le novembre 00, Jean Jaurès à Jules Guesde. Cette réunion contradictoire se déroule alors que le mouvement socialiste est profondément divisé par l’affaire Millerand, du nom de ce socialiste « indépendant » qui vient d’accepter un portefeuille ministériel dans le gouvernement Waldeck-Rousseau aux côtés du général de Galliffet, ancien commandant en chef de la répression de la Commune. Il s’agit pour MillerandI de placer le socialisme en défense du régime républicain face à la menace de la droite nationaliste dans le contexte de l’affaire Dreyfus. Cette entrée d’un socialiste dans un gouvernement bourgeois débouche sur une controverse à l’échelle internationale, opposant Jaurès, qui défend alors Millerand, à de nombreux théoriciens du mouvement socialiste international, et notamment Rosa Luxemburg, Karl Kautsky et Jules Guesde. Lors de ce débat public, Jaurès affirmant que la bourgeoisie ne pourrait pas empêcher la classe ouvrière de conquérir démocratiquement le pouvoir, Guesde lui répond : Il s’agit de recruter, d’augmenter la colonne d’assaut qui aura, avec l’État emporté de haute lutte, à prendre la Bastille féodale ; et malheur à nous si nous nous laissons arrêter le long de la route, attendant comme une aumône les prétendues réformes que l’intérêt même de la bourgeoisie est quelquefois de jeter à l’appétit de la foule, et qui ne sont et ne peuvent être que des trompe-la-faim. Nous sommes et ne pouvons être qu’un parti de révolution, parce que notre émancipation et l’émancipation de l’humanité ne peuvent s’opérer que révolutionnairement.

L’antimilitarisme, point de clivage ou de consensus ? 

Reprenant une large partie d’un autre article publié en 94 : Jules Guesde, « Parlementarisme et Révolution », Le Socialiste, novembre 94, disponible en ligne sur : https://www.marxists.org/francais/guesde/works/94//guesde_91.htm [consulté le 9 mars ]. La question de l’attitude du mouvement socialiste face à l’armée s’est de longue date posée, d’abord parce que celle-ci est alors fréquemment mobilisée contre ses manifestations et ses grèves. Cela a d’ailleurs régulièrement débouché sur des fusillades meurtrières, comme à Fourmies le 1er mai 91 ou à Draveil–Villeneuve-Saint-Georges en juillet 08. La politique du mouvement socialiste, longtemps limitée à des appels à la fraternisation, doit évoluer avec l’adoption du service militaire universel sur le modèle prussien par la plupart des États d’Europe à la fin du XIXe siècle, et en France en 05. Cet accroissement de la place des affaires militaires dans le fonctionnement de l’État est désigné par les marxistes comme le « militarisme », c’est-à-dire comme une phase inévitable du développement des États capitalistes. Pour eux, ce développement s’explique par la nécessité de défendre et d’accroître les marchés coloniaux et les débouchés conquis face à la menace que représente la concurrence des nouveaux États-nations impérialistes. Le militarisme, né dans le contexte du partage colonial du monde, devient de plus en plus indispensable face aux revendications d’un nouveau partage par les nouvelles puissances qu’étaient l’Allemagne, les ÉtatsUnis ou le Japon. Il prend la forme du développement d’armées permanentes basées sur la conscription, ce modèle d’organisation militaire ayant démontré sa supériorité sur les armées professionnelles lors des guerres menées par la Prusse en 66 et 70. À cette dépense importante que représente la nécessité d’équiper et de maintenir des masses d’hommes sous les drapeaux s’ajoutent les frais supplémentaires de la course aux technologies d’armement, notamment dans la marine.46 Cette question déjà cruciale, l’armée voyant alors la quasi-totalité des jeunes ouvriers passer sous les drapeaux, le devient d’autant plus avec l’accroissement de la menace de guerre à partir de la fin des années 90. La crise de Fachoda en 98, la guerre russo-japonaise en 05, mais surtout le « coup d’Agadir » en et l’éclatement des guerres balkaniques en , rendent presque palpable la possibilité d’une guerre européenne. Elles obligent le mouvement ouvrier à se poser la question des méthodes de lutte contre la guerre et donc à théoriser son attitude face à l’armée. La CGT adopte ainsi dès 00 une première motion antimilitariste, qui réclame la suppression des armées permanentes47. La multiplicité des origines des courants de la SFIO débouche dans ce domaine sur des positions extrêmement divergentes, dont beaucoup se retrouvent ensuite sous des formes à peine modifiées dans les débats des années . Les multiples motions proposées au vote lors du congrès de Limoges en 06, toutes d’accord sur la nécessité de préserver la paix mais divergentes sur la question du patriotisme, illustrent bien ces divergences et ces ambiguïtés48 . À côté d’une minorité d’appels à une lutte antimilitariste révolutionnaire et ouverte, une des positions les plus courantes repose sur la revendication du désarmement intégral. Pour ses défenseurs, qui lient d’une façon assez ténue l’éclatement des guerres aux intérêts capitalistes, la suppression de l’armée permettrait néanmoins la disparition des conflits en faisant disparaître son outil, comme l’explique Raoul VerfeuilI dans une brochure publiée par la SFIO en :Les causes de la guerre auraient beau subsister — et elles subsisteront tant que durera le régime capitaliste — s’il n’y avait pas d’armée, on ne pourrait pas faire la guerre. On dit qu’il n’y a pas d’effets sans causes. Ici, l’effet est indépendant de la cause. Pour se manifester, il a besoin d’un troisième élément sans lequel il ne se produirait pas. En l’espèce, c’est l’armée. […] Schneider et Krupp auraient beau l’exiger, s’il n’y avait pas d’armée on ne se battrait pas, parce que, matériellement, il serait impossible de se battre.49 Cette suppression doit aussi faciliter le renversement du capitalisme en faisant disparaître un de ses remparts. Cette position, proche de celle des courants pacifistes religieux ou philosophiques, est encore défendue après-guerre par certains militants des premières années de la SFIC, dont le même Raoul Verfeuil.I Jean Jaurès défend une autre orientation, parfois identifiée au niveau international comme un élément quasi officiel de la politique de la SFIOII, qui n’est ni pacifiste, ni vraiment antimilitariste au sens où l’entend Marx. Comme Jaurès l’explique dans l’Armée nouvelle et comme le propose le programme électoral de la SFIO en 50, il s’agit de mieux organiser la défense nationale sur une base républicaine et sociale en y associant la classe ouvrière et ses organisations. Les syndicats doivent, par exemple, être chargés de former les futurs officiers d’origine ouvrière. Cette armée de milice populaire défensive doit quand même être tournée contre l’Allemagne impériale (comme le montrent les dispositions spécifiques relatives aux frontières orientales que Jaurès prévoit dans son projet de loi connexe à l’Armée nouvelle). Craignant que cet outil militaire puisse être mal utilisé, Jaurès prévoit aussi d’appuyer l’ensemble du dispositif sur le Tribunal d’arbitrage de La Haye (fondé par le Tsar Nicolas II), et sur la reconnaissance légale du droit à l’insurrection en cas de déclenchement d’une guerre illégitime. Ces positions ne sont pas étanches et se mêlent souvent, associant l’idée du désarmement et des tribunaux internationaux à la revendication de l’armement du peuple. Le flou relatif entretenu par l’Internationale sur cette question favorise ces mélanges. Sous la pression des partis socialistes balkaniques et des Jeunesses socialistes allemandesIII, l’Internationale socialiste a en effet adopté l’idée d’une lutte antimilitariste, mais sous une forme réactive, à moindres frais. Cela suppose de s’opposer politiquement au déclenchement d’une guerre impérialiste et au cas où celle-ci éclaterait quand même, d’y mettre fin par la grève générale et, le cas échéant, la révolution socialeIV. En attendant, la pression internationale de la classe ouvrière doit peser dans le sens d’une atténuation des contradictions entre les grandes puissances et favoriser un règlement pacifique des conflits.

Table des matières

Introduction
De Tours à la Bastille — les années de fondation du parti communiste
La « politique militaire » du parti communiste
Une historiographie réduite mais complexe
Violence et révolution
La politique militaire comme indicateur de l’évolution du PC et de l’IC
Une question récurrente pour le PC de l’entre-deux-guerres
Quelles sources ?
Chapitre 1 : « Les deux méthodes ». Le débat sur l’insurrection dans la SFIO avant
Le marxisme et l’État — la nécessité de l’insurrection révolutionnaire
L’héritage de Blanqui et les controverses entre réformistes et révolutionnaires
L’antimilitarisme, point de clivage ou de consensus ?
L’autodéfense dans la SFIO avant
Les années de fondation du communisme français (-).
Chapitre 2 : Dans la SFIO d’après-guerre et les débuts de la SFIC : pacifisme ou violence
révolutionnaire ?
La question de l’insurrection dans la lutte pour l’adhésion à la IIIe
Internationale
Pacifisme ou antimilitarisme actif ? Les débats sur l’antimilitarisme révolutionnaire et l’insurrection dans la SFIC
Chapitre 3 : La naissance du travail « anti » et le rôle des Jeunesses communistes
Les premiers problèmes d’organisation
Le rôle de l’ICJ et la coopération internationale antimilitariste
Organiser les soldats communistes
L’occupation de la Ruhr
Chapitre 4 : La transition vers une politique militaire publique
Le maintien des méthodes d’autodéfense de la SFIO et les improvisations initiales
Les Centurie proletaria : une armée rouge italienne en exil0
Une direction nouvelle dans un contexte politique changé
De Reval à Paris, décembre
L’enquête préfectorale de – : à la recherche d’un fantasme ?
Le tournant vers le travail illégal et la réorganisation de l’autodéfense
Chapitre 5: La SFIC et la « première vague » des ligues
Les leçons de la défaite italienne
La menace fasciste en France ?
Premiers affrontements
Une guerre civile « en gestation » ? De la « descente » de Sèvres à la rue Damremont
La menace fasciste au second plan ?
De la « bolchevisation » à « classe contre classe » (-)
Chapitre 6 : La naissance des Groupes de Défense Antifasciste
L’attaque de la Salle des Sociétés savantes
Les Groupes de Défense Antifasciste – un front unique de l’autodéfense
« Les combattants rouges de l’ARAC »
La question de l’uniforme
Une Internationale de l’Autodéfense ?
Chapitre 7: Les Groupes de Défense Antifasciste en action
La mobilisation de Reims – un exemple de front unique ?
La formation des structures des GDA
Combien de GDA et de JGA ?
« Barrer la route à la réaction, quel que soit son visage »
Grouper communistes et sans-parti – le front unique de l’autodéfense en pratique ?
« L’avant-garde de l’Armée prolétarienne »
« Le péril communiste » : les GDA vus par leurs ennemis
Chapitre 8 : Une structure locale : l’exemple des GDA d’Alsace-Lorraine
La SFIC et l’Alsace-Lorraine
La création des GDA en Alsace -Lorraine
Les GDA Alsaciens-Lorrains en action
Effectifs et composition : combien étaient les GDA Alsaciens-Lorrains et qui étaient-ils ?
Les rapports transfrontaliers avec le Roter Frontkämpferbund
Des GDA comme les autres ?
Chapitre 9 : L’antimilitarisme entre et : théorie et pratiques
Avant-propos : retour sur les sources
Le travail anti entre la révolution à venir et les guerres coloniales
Les militants de l’antimilitarisme
Armées bourgeoises ou Armée rouge ?
Le travail « extérieur » – toucher les soldats
Le travail intérieur : organiser les soldats révolutionnaires
Les délégués anti, commis-voyageurs de l’antimilitarisme
La répression
Cas individuels ou bataille admirable : comment juger des résultats du travail anti ?
Chapitre : La fin des GDA-JGA.
La « manifestation Sacco et Vanzetti » du août
Vers le « Front Rouge »
La crise politique au sein du PC et de l’ARAC
La création du Front Rouge
Le Front rouge en action, continuité et ruptures
Août , la fin du Front rouge
Les raisons d’un échec global : des GDA-JGA au Front rouge
De la « troisième période » au Front populaire (-).
Chapitre : la « troisième Période » de l’autodéfense : Manifestations clandestines et défense de l’URSS
Les « manifestations clandestines »
Après le 5 août : réorganiser l’autodéfense ?
« Fascisation » et répression
Une autodéfense orientée à gauche – contre le « social-fascisme »
La défense de l’URSS et le « danger de guerre impérialiste
La rupture du lien théorique entre autodéfense et insurrection
Quelles réalisations
La survie des Groupes de Défense Antifasciste après
Chapitre : le travail anti en
Le travail anti dans « classe contre classe »
La défense de l’URSS et l’Armée rouge dans le travail anti
Une pénétration communiste en déclin
Une propagande anti en berne ?
Une répression accrue
Le refus du travail anti
Chapitre : De Berlin à Paris : permanence de l’autodéfense communiste face au retour du fascisme
La résurgence des ligues et de la question de l’autodéfense
Front unique, refus d’une « organisation spéciale », … : le débat sur l’autodéfense
Après le 6 février, autodéfense, insurrection ou « travail de masse » ?
L’intervention des communistes « dissidents » dans le débat
Chapitre : Le Front populaire et la politique militaire du PC et de la SFIO
Une nouvelle politique anti
Pour la paix, contre le fascisme
Une autodéfense du Front populaire ?
Les autodéfenses et la crise du Front populaire
Une expérience perdue qui mène à l’effondrement de
Conclusion : De la « future Armée rouge française » à la Défense nationale, trajectoire d’une politique militaire communiste
Une dynamique complexe et fluctuante
Des résultats variés
Les raisons d’un échec final
Le poids de l’IC ou la pression du stalinisme ?
Bibliographie
Sur l’histoire générale de l’entre-deux guerres
WINOCK Michel, La fièvre hexagonale – les grandes crises politiques 71-68, Paris, Calmann-Levy,
Sur l’histoire du mouvement communiste international
Sur le mouvement communiste français
Sur les questions militaires du mouvement communiste international
Sources primaires
Publications d’époque (livres, brochures et journaux)
Archives privées et publiques
Annexes
Index des noms de personnes citées
Index des abréviations utilisées pour les organisations
Insignes des Centuries Prolétariennes du PCI en et de l’Armée rouge russe en
Évolution des structures des GDA-JGA en
Structures organisationnelles, cadres et militants identifiés des GDA d’Alsace Lorraine, printemps
Évolution chronologique des Ligues et groupes d’extrême-droite français (-)

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