Une politique fiscale sous contraintes
Les pouvoirs publics disposent de marges de manœuvre limitées pour mener leur politique fiscale. Différentes contraintes de nature économique, culturelle ou institutionnelle peuvent en effet intervenir, réduisant la capacité de la politique fiscale à atteindre ses objectifs, ou limitant son ampleur. L’impôt peut également engendrer des effets non désirés qui altèrent en retour les mécanismes économiques. La littérature récente insiste sur quatre catégories de phénomènes.
Les comportements des agents économiques et l’évitement fiscal
Les comportements des agents économiques sont traditionnellement considérés comme un obstacle potentiel à l’efficacité de l’impôt. Les agents économiques disposent en effet de la faculté de reporter sur d’autres la charge d’un impôt en manipulant les variables économiques (salaire ou prix par exemple) qu’ils contrôlent. C’est le phénomène de la translation dont l’impact sur les prix ou les revenus se diffuse progressivement. Au total, des distorsions apparaissent dans les mécanismes économiques, et en particulier dans les choix des agents. C’est la raison pour laquelle une seconde condition d’une fiscalité efficace est que l’impôt ne doit pas pouvoir être translaté. En d’autres termes, son poids doit reposer effectivement sur le redevable légal, sans possibilité de manipulation. Bien évidemment la capacité des contribuables à reporter la charge fiscale est aussi un obstacle à une politique fiscale visant à améliorer le système d’incitations au sein de l’économie. En dehors de cette capacité à reporter de manière opportuniste la charge de l’impôt, les comportements d’évitement entravent également la politique fiscale. Par comportement d’évitement on entend généralement trois catégories de phénomènes : * La fraude fiscale comprend tous les procédés visant intentionnellement à éviter l’impôt par des procédés irréguliers. Le contribuable est donc de mauvaise foi. L’INSEE introduit une distinction entre fraude et travail au noir fondée sur le caractère déclaré ou non d’une activité. De ce point de vue, le travail au noir recouvre deux situations : d’une part, l’activité des travailleurs indépendants non déclarés auprès des administrations fiscales et sociales, d’autre part, les emplois non déclarés dans des entreprises régulièrement enregistrées. Quant à la fraude elle est pratiquée par des entreprises déclarantes et concerne une fraction de leur activité. * L’évasion fiscale regroupe tous les procédés légaux visant intentionnellement à éviter l’impôt, le contribuable étant de mauvaise foi. * Quant à l’optimisation fiscale, elle peut parfois utiliser les mêmes procédés que l’évasion, mais ici le contribuable est de bonne foi. De fait, l’optimisation procède d’une stratégie de planification des opérations de l’entreprise et de réduction des risques. Deux démarches principales peuvent être identifiées : 1) La prévention du risque fiscal qui nécessite une bonne évaluation de celui-ci à travers notamment des opérations d’audit, et sa minimisation grâce à des actions touchant à l’organisation de l’entreprise et aux procédures ayant des incidences fiscales. 2) L’intégration de la fiscalité dans la stratégie de l’entreprise pour maîtriser les marges de manœuvre fiscales. L’entreprise en fait l’un des paramètres de sa politique générale et recherche la meilleure solution aux problèmes auxquels elle se trouve confrontée.
Acceptation ou contestation de l’impôt
Dans le passé, le refus de l’impôt a souvent pris la forme d’une contestation violente, celle des révoltes fiscales. Si l’impôt a toujours été porteur d’une « puissance insurrectionnelle »11, ces explosions récurrentes de violences témoignaient surtout du désarroi des populations devant les transformations économiques et de leur résistance à un ordre politique inégalitaire12. Dans la période récente encore, le mouvement de Pierre Poujade avec l’UDCA et celui de Gérard Nicoud avec le CIDUNATI, ont été l’expression d’un sentiment d’injustice à l’égard de la contrainte exercée par un pouvoir abstrait. L’évitement fiscal, ou la délocalisation peuvent dans certains cas s’analyser comme des manifestations du refus de l’impôt et de la contestation du pouvoir coercitif exercé par l’Etat. En effet, dans les sociétés modernes, le consentement à l’impôt est l’un des fondements de la démocratie représentative. En France, il est inscrit dans le préambule de la Constitution mais il est associé à l’exercice du pouvoir de contrainte par l’Etat qui peut parfois apparaître comme une violation de l’autonomie individuelle. C’est la raison pour laquelle une contrainte importante, pourtant parfois négligée, pesant sur la politique fiscale réside dans la problématique de l’acceptation de l’impôt.
Les coûts d’administration
Outre leur impact négatif sur la politique fiscale, les comportements d’évitement forment une part importante des coûts d’administration qui comprennent l’ensemble des coûts spécifiques engendrés par le processus de taxation. Dans ce cadre, le rôle de la politique fiscale est aussi de réduire ou d’optimiser ces coûts et d’améliorer l’efficience des processus de taxation. On peut décomposer ces coûts en trois catégories : * Les coûts administratifs proprement dits comprennent toutes les dépenses liées à la collecte de l’impôt : coûts de collecte et de traitement des impôts ; coûts de réduction des activités d’optimisation fiscale ; coûts de détection de la fraude. * Les coûts de (non) mise en conformité sont les coûts encourus par le redevable en raison de l’impôt au delà du montant de celui-ci : coûts liés à l’obligation de se conformer à la loi fiscale ; coûts imputables à l’effort de réduction de la « facture » fiscale. * Les coûts de renforcement légal sont engendrés par le risque associé aux stratégies d’évitement fiscal : coûts liés à d’éventuelles sanctions pour les contribuables ; coûts de monitoring du côté de l’administration fiscale.