Une poétique de l’espace ou l’exploration des espaces intimes

La vastitude, l’infinité, le mouvement permanent, la chaleur et la lumière, ainsi que des aspects du mode de vie des nomades, présences immanentes de l’espace désertique et définies poétiquement dans leur relation au désert car ces caractères physiques sont modulés par une thématique propre a une dynamique d’écriture porté sur le désert autant d’espace référentiel. Considérés dans une perspective dynamique, l’on observe que ces motifs s’organisent selon deux mouvements propres au désert, l’envahissement et l’absorption, qui se réalisent dans la relation à l’altérité. En effet, l’envahissement dû à l’avancée des sables provoque un débordement des limites et l’effacement des repères, l’absorption engloutit dans les sables les corps étrangers. L’un et l’autre garantissent l’unité du désert où toute altérité est vouée non pas à disparaître mais à s’assimiler. Car le désert ne rejette rien, tout corps et toute présence lui sont immanents. Les nomades y participent, c’est la raison même de leur présence, puisque la seule vie possible est d’assimilation. Le mode d’existence nomade consiste en une adaptation constante et sans cesse renouvelée à l’espace, si parfaite que, poétiquement, les nomades, même détachés de leur territoire, restent symboliquement porteurs de désert. Or ces deux procès encadrent la thématique du désert et du nomadisme dans l’ouvrage du corpus et en fonde la poétique.

Nous allons donc cheminer notre réflexion, au moment de cette étude selon l’envahissement et l’absorption, en considérant quels en sont les modes d’expression poétique, c’est-à-dire quels motifs instaurent la présence de ces procès dans le texte et comment ils s’articulent pour fonder une poétique spécifique ? Pour ce faire, nous nous inspirons, au plan théorique, des concepts présentés dans Mille Plateaux, écrit à deux mains de Gilles Deleuze et Félix Guattari et deuxième volet du diptyque Capitalisme et Schizophrénie commencé avec l’Anti-Oedipe.

Une pensée nouvelle venait peindre un sentiment moderne dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, G. Deleuze et F. Guattari, ont vu les arts et les beaux- arts s’inspiré de leur œuvres, a partir desquels ont accrus une notoriété sans précédent, en matière de perspectives artistiques car la contemporanéité établi un carrefour entre le roman Désert et cet essai philosophique postulons-nous. Cette influence, qui se traduit par une utilisation. Même si Rhizome avait déjà fait l’objet de publication au cours des années 70, ce ne fut pas le cas pour le Traité de nomadologie dont nous tirons la plupart des outils d’analyse.

Leur lecture du monde contemporain, sont parfois le résultat critiquée des concepts. Ils offrent une grande souplesse conceptuelle dont témoigne la présentation de Mille plateaux justement. Le chapitre inaugural de l’ouvrage, « Rhizome », souligne en effet la caractéristique rhizomatique de la pensée : elle n’est pas construite en architecture arborescente, partant de racines bien définies, mais ne peut être saisie qu’en circulant d’un concept à l’autre, en établissant des connexions en tous sens ; les « plateaux » correspondant aux chapitres peuvent être mis en écho les uns avec les autres, partiellement ou en entier. Comparée au chiendent, elle pousse par le milieu et dans des directions diverses, sans se rattacher à une racine première  . Ainsi, quoique composant une unité, le système philosophique de G. Deleuze et F. Guattari, est constitué de multiples susceptibles de se croiser, de s’associer, de « faire alliance » pour reprendre une image chère aux auteurs, pour ensuite se dissocier, et ainsi de suite, bref entrer  en « devenir ». C’est exactement de cette façon que nous pressentons, à la lecture de notre corpus, la poétique dont nous voulons rendre compte et c’est aussi de cette manière qu’est défini le mode d’être  nomade qu’énonce le « Traité de nomadologie » constituant l’un des « plateaux » de l’essai et sur lequel nous fondons notre étude, en quelque sorte, outre la distinction, féconde pour notre analyse, entre l’espace lisse et l’espace strié, car elle est en relation directe avec celle qui oppose le nomadisme et la sédentarité . De fait, le désert et le nomadisme, en poétique, nous conduisent à penser le multiple dans l’un, c’est pourquoi nous convoquons à l’appui de cette étude une pensée philosophique qui cerne la multiplicité en devenir permanent dans l’unité. Aussi, cette appréhension identique du même objet nous a-t-elle incités, pour des raisons de clarté conceptuelle, à provoquer une « rencontre » entre le récit Désert et cette théorie philosophique, héritière des divers courants occupant les sciences humaines dans la deuxième moitié du XXe siècle.

L’espace transformé : les marques du territoire

Dans l’énoncé littéraire, le désert et son corrélat, le nomadisme, sont investis comme lieux de désir des instances narratives et de certains personnages, mais aussi des lecteurs et des auteurs, ou plutôt comme lieux de passage du désir car « ils n’en constituent pas l’aboutissement mais des expressions qui en accompagnent les territoires est le produit d’une territorialisation des milieux et des rythmes. ». D’une part, le territoire se trouve entre les milieux, débordant sur eux et empruntant des indices de tout genre à leurs composantes. Lorsque ces indices deviennent expressifs, ayant acquis « une constance temporelle et une portée spatiale » , ils sont alors marques de territoire, et celui-ci est constitué. Tel est le processus de territorialisation : l’expression d’un territoire . Or, la thématique du désert et du nomadisme, dans le texte de notre corpus dans lequel elle est développée, semble pouvoir être désignée ainsi. Ses « indices » sont un certain nombre de motifs récurrents à l’intérieur de l’œuvre, et qui, même détachés du contexte physique de l’espace désertique, continuent à fonctionner comme indices signalétiques de ce territoire ; ce sont des marques qui le constituent  . A l’étude du fonctionnement de ces marques territorialisantes nous allons consacrer la première partie de ce travail.

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D’autre part, ce n’est qu’une fois le territoire constitué, « exprimé » pour ainsi dire, qu’apparaissent des fonctions qui lui sont spécifiques, des fonctions « territorialisées». L’analyse de ces fonctions fait l’objet de la deuxième partie dans laquelle nous nous interrogeons sur la façon dont l’homme occupe physiquement mais aussi symboliquement l’espace désertique, autrement dit par quelles fonctions il s’y est territorialisé, toujours selon la double dynamique de l’envahissement et de l’absorption propres au désert.

Le Clézio induit deux styles de réflexions, en premier lieu il dit l’espace désertique en y plaçant l’essentiel de sa narration et donc utilise l’infinité du désert pour, à la fois, fonder une esthétique et exprimer une conception particulière de la place de l’homme dans la nature ; en deuxième lieu, l’expression de l’infini passe notamment par la dialectique du mobile et de l’immobile en abolissant leur opposition. En effet, les deux «situations» ou « actions»- coïncident selon l’angle d’approche et le contexte – de mobilité et d’immobilité car le mouvement devient immobile, l’immobilité un mouvement, mais sans être en cela définitif.

L’aspect dominant ici c’est la vitesse. Nous les appréhendons tel des tensions qui sont exprimées poétiquement sous deux axes, le premier correspond à une progression dans l’espace (horizontal), le deuxième marque une stagnation ou une cristallisation (vertical), perçues comme un mouvement proche de l’immobilité et immobilisant ou arrêté. De fait, les sables progressent sous l’action du vent et envahissent tout ; le progrès a donc pour lien commun l’envahissement ; ou bien, ils restent inanimés et leur surface, apparemment plane, engloutit et absorbe les corps étrangers, entraînant leur propre mouvement vers les abysses ; ou encore, échappant au vent, ils cristallisent et s’élèvent en éminences minérales, parfois même en murailles, et cette fois le mouvement, rendu immobile, projette l’axe vertical vers les hauteurs. Les deux dernières modalités font obstacle à la première, entravent le progrès vers l’avant. Le mouvement d’envahissement, qui résulte de l’avancée des sables sous la poussée du vent, et celui d’absorption se trouvent chacun sur un axe différent et presque en opposition, bien qu’il s’agisse des deux modes très proches de disparition d’un corps étranger dans le désert qui est ou  enseveli sous l’accumulation des sables ou absorbé par eux.

Le désert est produit par un perpétuel mouvement de sable en masse suite a son cheminement en spirale causer par le vent ; ce faisant, ils procèdent à la façon du tourbillon, aussi peut-on qualifier de « tourbillonnaire » le mouvement propre aux sables du désert . Dans le procès d’absorption également, ils prennent la forme d’une spirale au centre, vide, de laquelle tout disparaît.

La poétique du désert est réalisée par deux concepts fondamentaux la dialectique de la mobilité et de l’immobilité. Celui-ci n’est pas perçu comme une étendue immobile mais plutôt comme un espace contenant le mouvement et cette caractéristique nourrit l’expression de son infinité : « Autour d’eux, à perte de vue, c’étaient les crêtes mouvantes des dunes, les vagues de l’espace qu’on ne pouvait connaître. » (D 23).

L’énoncé en témoigne ici par la proximité des syntagmes exprimant l’infini et le mouvement. Dans cette même perspective, la comparaison ou la métaphore avec la mer est fréquente et fait partie des poncifs littéraires. A plusieurs reprises, dans Désert, on peut lire « vagues des dunes » ou « vagues de sable vierge » (D 8, 9).

Table des matières

Introduction
Chapitre 1:
1. Narration alternée, espace alterné
2. Les figures spatiales
2.1 L’espace-personnage
2.2. Les Lieux d’ouverture, une aspiration à la liberté
2.3. Les Lieux d’isolement entre beauté et décadence
Chapitre 2: une poétique de l’espace ou l’exploration des espaces intimes
1.La figure de l’immensité vue par Bachelard
2.Un espace à fleur de corps
3.Du corps vers l’espace
Chapitre 3 : Appropriation de l’espace : poétique du désert
1. L’espace transformé : les marques du territoire
2. L’espace transcendé
3. Le désert poétique organisé
4. Le nomadisme spatialisé par le regard
Conclusion

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