Une pensée de l’inclusion
Nous pensons important de débuter cette dernière partie de notre recherche, en revenant tout d’abord sur le contexte de départ de celle-ci qui oriente l’étude que nous effectuons. Nous nous plaçons, en effet, à la fois dans la pratique, comme artiste de la scène, et dans la théorie, en tant que chercheuse. Notre travail artistique et de recherche se développe ainsi autour des apports et des transmissions que l’un peut provoquer chez l’autre, incluant des aspects de la praxis artistique à ceux de la recherche théorique, et inversement. Nous l’avions déjà illustré dans les deux chapitres portant sur la mise en scène de Blue-S-Cat de Kwahulé (Deuxième et Troisième Parties). Cette pensée de l’inclusion parcourt l’ensemble de notre réflexion et a comme objectif principal d’essayer d’abolir les frontières entre disciplines, champs et pratiques en œuvrant pour une transdisciplinarité dans une recherche que nous avons souhaité construite en ramifications. Cette entrée en matière introduira également les chapitres à suivre qui clôtureront notre recherche, en suggérant que chaque élément, chaque aspect abordés tout au long de cette étude concourent à esquisser, par inclusion, un paysage particulier dans le panorama complexe et profus des scènes contemporaines. Au travers de l’approche esthétique et anthropologique de la scène portant sur le corps et ses écritures, nous avons d’abord exploré la pensée de la mondialité et la pensée archipélique chères à Glissant. Puis nous avons voyagé au sein de l’anthropophagie culturelle brésilienne et parcouru les concepts qui jalonnent la pensée radicante de Bourriaud. Ces différents courants esthétiques nous ont permis de repérer ce qui pouvait nous aider à définir ce que nous avons appelé, à notre tour, une esthétique de la migrance. Nous avons ensuite parcouru le champ esthétique dessiné par les résurgences baroques dans les œuvres de la scène contemporaine pour nous aider à définir ce que nous avons ensuite nommé le corps et les écritures Trans, autre concept appliqué à la scène et qui tente, peu à peu, de formuler cette pensée de l’inclusion qui nous occupe maintenant.
Au sein de cette quatrième et dernière partie, nous reviendrons sur la pensée de Glissant dans son rapport à la langue et au langage au travers de la Créolité, comme élément de renversement. Cette première incursion nous amènera à replonger dans l’écriture de Kwahulé sous l’angle du jazz et de la pensée radicante, telle qu’elle a été abordé dans la Troisième Partie et telle que nous l’avions déjà évoqué dans le chapitre dédié à la francopolyphonie chez Kwahulé. Cela nous permettra ensuite de plonger dans la matière du spectacle Issê Timossé de Bernardo Montet où se sont rencontrés écriture d’un texte et écriture des corps. Ces explorations nous mèneront vers un des enjeux fondamental des écritures contemporaines, à savoir la notion du présenter en place de la représentation, explorée par Jean-Frédéric Chevallier479. Nous y aborderons la question de l’incarnation et des alternatives qui se dessinent au travers de cette notion de présentation. Afin d’illustrer ce propos, nous aborderons à nouveau le travail de Orlin puis de Delbono. Nous effectuerons une analyse du film La Rabbia de Pier Paolo Pasolini que nous mettrons en miroir avec le spectacle La Rabbia de Pippo Delbono, dans ce que nous pensons être un rapport de filiation artistique.
Cette quatrième et dernière partie vise ainsi à replacer les artistes de notre corpus dans les questionnements contemporains qui habitent le travail de nombreux autres artistes. Ces questionnements peuvent aider à repenser la scène au travers de l’émergence d’un nouveau paradigme que nous définirons dans le dernier chapitre de cette recherche. panorama foisonnant où prolifèrent toutes les langues et les cultures du monde en se rencontrant, se heurtant, se mêlant, se repoussant aussi. Cette pensée porterait ainsi en elle de nouveaux horizons, des vacillements, des ruptures, de nouvelles dynamiques internes et une force d’improvisation. Pour y accéder, Glissant défend l’aspect fondamental de la pratique de l’oralité, et plus encore de l’oraliture. Celle-ci, dans le cadre du conte par exemple, met en œuvre de dispositifs qui fonctionnent « in praesentia », en présence du conteur ou du maître de la parole, comme il est appelé aux Antilles. L’importance alors est donnée à la gestuelle, la mise en corps de la parole, la densité de la présence requise entre les différents protagonistes, à la fois conteur et auditeur/spectateur, comme l’explique Jean Bernabé481. La parole prend alors toute son ampleur. Nous retrouvons cette importance de la mise en corps de la parole au sein des œuvres de notre corpus, comme nous l’avons vu à plusieurs reprises dans cette recherche et comme nous le verrons par la suite afin d’illustrer, au sein de ce chapitre, l’idée de pensée organique dans les processus d’écriture.