Une méthode contre la crise de la connaissance

 Une méthode contre la crise de la connaissance

Caractéristiques de la connaissance 

Deux critères tracent les contours du processus de connaissance : celui-ci peut constituer une illusion malgré son statut ontologique et il demeure entre monde matériel et sphère spirituelle comme un signe de l’immortalité de l’âme. La validation de ces deux arguments permettra ensuite d’établir que, au sein de ces limites, la connaissance vraie est accessible à l’entendement. 

L’illusion de la connaissance

 Si connaître revient toujours à connaître quelque chose, Digby note que le terme est équivoque et peut se décliner de plusieurs façons : soit le sujet connaît une chose de manière laborieuse et confuse, soit il la fréquente de façon ordinaire et courante. Signe qu’il ne s’agit pas là d’une question oiseuse, la distinction fait écho à « l’idée claire et distincte » qu’emploie Descartes1 , et Locke consacrera un chapitre de son Essai sur l’entendement humain à distinguer les idées claires de leurs contreparties confuses quelques années plus tard . D’une certaine façon, Digby se fait le héraut de la perspective cartésienne qui veut que la connaissance engendrée par l’esprit soit conçue par l’esprit seul, hors du pouvoir du « malin génie », et que par conséquent elle échappe aux illusions trompeuses. Pour qu’il y ait connaissance véritable, Digby établit qu’il faut qu’il y ait une corrélation entre l’âme et l’objet de sa connaissance, une proportion qui rende l’un accessible à l’autre, sans quoi le sujet tombe dans une connaissance approximative dont il ne devrait pas se contenter. Le chevalier, on le voit, raccorde la conception cartésienne des idées claires à un ancrage matériel et concret, et conclut que leur adéquation est signe de vérité. Il en déduit que, à strictement parler, l’âme ne peut pas connaître l’éternité, elle bénéficie pour cela d’une aide surnaturelle, elle-même proportionnelle à l’effet désiré, qui rend l’éternité accessible à l’entendement. De même, l’âme ne peut pas connaître le néant, puisque celui-ci ne correspond à rien qui puisse être connu . L’usage courant du terme « connaître » est ainsi source d’erreurs et Digby y voit l’une des causes de la crise de la connaissance que connaît le XVIIe siècle . « L’acte de savoir », selon le chevalier, « n’est autre que le fait d’appréhender l’identité évidente des deux extrêmes d’une proposition, ou un effet qui en découle immédiatement1 ». Son explication ressemble aux propositions catégoriques qui associent sujet et prédicat au moyen d’une copule efficace, et il poursuit son essai de définition avec la possibilité du syllogisme et de l’inférence.

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Entre matériel et spirituel 

La connaissance, véritable pont entre les mondes matériels et spirituels, permet de justifier l’enracinement de la pensée de Digby dans un réel palpable, dans la mesure où elle mêle âme et corps1 . La première partie de cette thèse s’interrogeait sur la nature empirique du raisonnement du chevalier et rappelait la prééminence du savoir déduit et de la part théorique dans la réflexion. Les considérations cognitives permettent à Digby de rétablir la réalité sensorielle dans son exercice normal : celle-ci ne peut être connue qu’à travers le double prisme des organes sensoriels et de l’entendement. Une expérience ne vaut que dans la mesure où elle est aussi appréhendée par une pensée éclairée, l’unique entité pouvant mettre en perspective l’événement et en tirer une conclusion. Seul l’entendement est donc capable de produire un savoir aussi certain qu’une démonstration mathématique, mais sans donnée sensorielle, il n’y aurait aucune connaissance humaine. La connaissance dépend du monde matériel et des organes sensoriels pour son existence, mais s’inscrit-elle dans la sphère spirituelle ou matérielle ? La question de la potentielle matérialité de la connaissance avait connu des développements importants aux siècles précédents : Pietro Pomponazzi et Alexandre d’Aphrodise avançaient que la connaissance est corporelle , qu’elle dépend entièrement du corps humain et de ses sensations, ce qui a pour conséquence qu’une fois le sujet mort, son âme ne peut plus avoir aucun souvenir, ni effectuer aucune opération. Ils en déduisaient la nécessaire mortalité de l’âme. Définir la connaissance en termes immatériels est donc une étape importante de la démonstration du chevalier qui espère par là contrer ce discours sur la mortalité . Digby semble prendre à cœur l’injonction du cinquième Concile de Latran qui condamne les averroïstes et les mortalistes (Apostolici regiminis) et réaffirme l’immortalité de l’âme, tout en invitant les philosophes à convaincre leur auditoire de cette vérité chrétienne . Le chevalier a pu être influencé par ce décret : il prend à cœur la réfutation de Pomponazzi et il vise à démontrer, dans sa grande œuvre, l’immortalité de l’âme. Dans la pensée de Sir Kenelm, l’immatérialité de la connaissance constitue un soubassement de l’immortalité de l’âme

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