Une immersion dans l’activité récit d’une mission de conseil en management

Une immersion dans l’activité récit d’une mission de conseil en management

Le texte qui suit est un récit brut – et presque brutal – d’une mission de conseil que j’ai effectuée pendant six mois dans un groupe en restructuration : ENERGYCORP50. Mon objectif ici est de décrire en détail, sans autre préoccupation que d’être fidèle aux événements, les enjeux de mon activité, le contenu de mes tâches quotidiennes, la nature de mes interactions avec les clients, les supports et outils utilisés au cours de cette mission. Il s’agit véritablement d’une mise en situation empirique du lecteur, d’une plongée dans l’activité des consultants, livrée de manière très directe, à la première personne du singulier. Ce récit est suffisamment surprenant pour que je doive préciser en introduction les raisons de son écriture. Il a été rédigé pour répondre à une demande insistante de mes interlocuteurs académiques qui, malgré nos multiples discussions, ne parvenaient pas à se faire une idée précise de mon travail de consultant. Quelqu’un d’extérieur au métier peut facilement comprendre la fonction d’un consultant, présentée de manière abstraite et stylisée, mais il semble qu’il ait plus de difficultés à se représenter les enjeux concrets de l’activité. Comment se passe, en pratique et au quotidien, une mission de restructuration d’entreprise ? Quel est le rôle joué par un consultant dans ce genre d’opération ? Le texte qui suit offre des éléments de réponse à ces questions. A notre connaissance, il n’existe pas de document comparable dans la littérature sur le conseil en management. Le texte est guidé par le flux empirique des événements. Il n’a été que très sommairement thématisé. Il évoque donc une multitude de questions, parfois hétérogènes ; celles auxquelles se trouve très spontanément confronté un consultant. J’ai choisi de pointer ces questions sans véritablement les analyser dans le texte, pour ne pas couper la narration et accentuer l’effet de réalité produit par le récit. Néanmoins, aucune histoire n’est innocente de théorie, et le lecteur avisé s’apercevra que le propos est « informé » par les interrogations qui traversent la littérature sur le conseil en management en général, et cette thèse en particulier. Elles seront discutées en détail dans les chapitres suivants et nous reviendrons souvent à ce premier récit pour imager nos propos, notamment dans les chapitres cinq, six et huit. Le récit a ceci de particulier que j’en suis le principal protagoniste, et « étant moi-même la matière de mon livre, mes défauts s’y liront au vif, mes imperfections et ma forme naïve » (Montaigne [1580] (1950), p.1). Près de deux ans après l’écriture de sa première version, je trouve une forme de candeur à mon propos, qui est celui d’un jeune consultant51 apprenant son métier dans un environnement relativement hostile. J’ai choisi de garder cette tonalité de « rookie », comme diraient les anglo-saxons, car elle est fidèle à mon expérience et porte cette idée que la pratique du conseil est un apprentissage situé, une montée en compétence qui nécessite un engagement personnel des praticiens. Dans le texte, j’ai recours à différents procédés d’écriture qui relèvent du roman ou de ce que les anglo-saxons appellent le « creative writing » (Watson 2003) : usage abondant des descriptions, intégration du narrateur dans le récit et description de ses émotions, emploi de la première personne du singulier, recours au dialogue, mise en avant des histoires personnelles des protagonistes. Comme nous l’avons vu dans le chapitre méthodologique, ce type d’écriture ne sera néanmoins pas conservé dans le reste de la thèse, les cinq chapitres suivants présentant des études de cas plus formelles et plus analytiques. .

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Tractations commerciales et cadrage de la mission

 Le client : Henri et le bureau projet Je croise Henri qui sort joyeux d’un entretien avec le directeur général adjoint de MaisonMère53, où je travaille depuis plusieurs mois comme consultant à la direction des systèmes de management (DSM) : « ma nouvelle mission au bureau projet prend un tournant, dit-il. Ils veulent que je m’occupe de la restructuration d’ENERGYCORP, un groupe familial de vingt et une sociétés que Maison-Mère vient de racheter. Il paraît que la situation est compliquée làbas et qu’on a trois ans pour tout mettre d’équerre avant de le découper en morceaux. Il y a une nouvelle équipe de direction composée pour moitié d’anciens d’ENERGYCORP et pour moitié de nouveaux dirigeants de chez Maison-Mère. Pour l’instant, je n’en sais pas beaucoup plus, mais je dois rencontrer rapidement le nouveau directeur général [d’ENERGYCORP] ». (Notes de terrain, avril 2011). Henri a vingt-cinq ans d’expérience chez Maison-Mère dans le métier de l’efficacité énergétique. Il a été, tour à tour, responsable informatique, responsable qualité, chargé de mission sur d’importants contrats nationaux et chef de projets pendant la fusion entre les deux entités dont Maison-Mère est issue. Il a également passé six mois à la DSM comme consultant qualité. C’est là que nous nous sommes rencontrés. Bien qu’il ne fût pas mon client-payeur à l’époque, j’ai travaillé sous sa supervision directe à la constitution d’un tableau de bord prospectif, à la rédaction de documents de communication stratégique, au suivi de différents processus. Il a des capacités de modélisation indéniables, une connaissance pointue du métier et un fort charisme. Il refuse néanmoins de toucher aux outils du Pack Office et de faire beaucoup d’efforts de formalisation. Nous avons bâti une relation de confiance qui s’étend jusque dans la sphère privée. Ainsi, il nous arrive régulièrement de dîner ensemble le weekend en présence de nos compagnes. Je crois pouvoir dire sans risque que c’est devenu un bon ami. Depuis quelques mois, Henri a quitté la DSM pour la direction générale. Un poste de directeur des projets a été créé sur mesure pour lui. Il a pour mission de constituer un pôle de conseil interne chez Maison-Mère, dont le manque de « méthodologie projet » est compensé par des dépenses de consulting d’environ cinq millions d’euros par an. En tant que directeur du bureau projet, Henri est directement rattaché au directeur général adjoint de Maison-Mère. Il assure « le cadrage et le pilotage54 » des projets stratégiques de l’entreprise, en appui à la direction générale et aux directions fonctionnelles. 

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