Une historiographie législative en discussion
En retraçant de manière chronologique les principales étapes de ce qu’est aujourd’hui la Protection Maternelle et Infantile, notre objectif était pluriel. D’une part, il s’agissait de montrer le processus d’élaboration progressive de cette politique de santé publique à destination de la petite enfance et de présenter la ténacité du lien qui unit le champ médical et les dimensions sociales dans sa mise en place. D’autre part, en mettant en lumière la multiplication des services et de leurs orientations respectives ce parcours législatif expose le processus d’infiltration progressive menée au nom de la santé dans des sphères toujours plus nombreuses et plus intimes du quotidien de la population materno-infantile présentant ainsi la PMI comme un exemple de « biopouvoir » (Foucault, 1976b). À la suite de cette histoire législative, ce second chapitre vient en discuter les principaux éléments. Nous nous intéressons alors aux processus à l’œuvre permettant l’avènement d’une loi ainsi qu’à l’intérêt et aux limites que présente une histoire retracée à partir de la législation. À travers cette démarche réflexive, c’est la présentation de la PMI en tant qu’instance de gouvernement des corps que nous venons questionner. I. Une histoire des législations, pour quoi faire ? En reprenant l’histoire de la protection de l’enfance, depuis les premières grandes lois jusqu’à nos jours et en en suivant son évolution législative nous souhaitions retracer le long parcours législatif et social accomplit pour aboutir à ce qui constitue le cœur de notre travail de recherche : les services de PMI et plus particulièrement les consultations gratuites de protection infantiles. De ce processus d’élaboration ressort plusieurs points forts qu’il nous faut rappeler. Une historiographie législative en discussion
Le cadre restreint de la législation
Une critique, très juste, peut-être faite à l’encontre de la chronologie établie dans les pages précédentes. Tout au long de ce parcours de plus de 150 ans, nous ne nous sommes appuyé que sur les textes législatifs, les lois, les décrets, circulaires et ordonnances. Les références aux événements historiques sont rares et les acteurs ayant conduit ces lois, tout comme leurs biographies ou leurs motivations sont quasiment absents. En somme, nous pourrions dire que l’histoire retracée n’est qu’une histoire de papier et que le rapport avec la réalité des situations reste à questionner. Bien conscient de cette lacune considérable, il nous faut dès à présent justifier ce choix que nous avons pourtant effectué de retracer cette histoire à travers les textes de lois. Certes, ces derniers ne permettent pas d’accéder à toute la réalité des situations, ce que nous verrons dans la suite de ce chapitre, mais ils n’en sont pas pour autant dénués de toute signification. Ainsi, s’intéresser à la succession des textes qui ont progressivement construit, élaboré et consolidé la Protection Maternelle et Infantile en tant que politique nationale de santé publique nous semble présenter deux intérêts principaux. En premier lieu, se limiter aux textes de loi permet de retracer une « histoire officielle » de la PMI comme institution d’État. L’usage du terme officiel est ici une allusion directe au Journal Officiel de la République Française dans lequel sont publiés les textes de loi. Ainsi, ne prendre en compte que les textes de lois permet de retracer l’histoire de la PMI telle que l’écrit l’État. En second lieu, cette démarche nous permet de retracer les engagements successifs que prend l’État sur cette question de la protection maternelle et infantile. En effet, se limiter aux textes de loi, exclut par la même toutes les initiatives purement locales ou privées. Si la chronologie historique qui se dessine alors ne retrace qu’une vision légaliste de ce qui est fait, elle permet de mettre clairement en avant l’engagement progressif de l’État dans ce domaine. S’il ne faut pas perdre de vue que les lois ne sont que rarement innovantes, il n’en demeure pas moins qu’elles illustrent la reconnaissance par l’État d’initiatives locales, leur acceptation et la volonté de les étendre à l’ensemble du territoire national (cf., parmi d’autres, l’histoire des consultations « goutte de lait »).
Le principe des extensions
Cet historique des législations successives permet de montrer l’extension progressive qu’a connue la protection de l’enfance. Comme nous l’avons déjà souligné dans la conclusion de notre « première période » (d’avant 1874 à 1945), la protection de l’enfance s’est, au fil du temps, étendue aussi bien quantitativement, en s’intéressant à des catégories de population toujours plus nombreuses, que qualitativement, par la prise en compte d’éléments toujours plus nombreux de la vie familiale.
Quantitative
Des premières mesures adoptées en 1811 à l’ordonnance du 2 novembre 1945, les lois de la petite enfance sont passées d’une réglementation concernant les enfants abandonnés (ou plutôt en vue d’améliorer les conditions de l’abandon) à un ensemble de mesures concernant toute la population materno-infantile depuis la déclaration de grossesse de la mère jusqu’au sixième anniversaire de l’enfant, sans autre critère de sélection. S’adressant à l’ensemble de la population materno-infantile, ce principe d’extension quantitative, s’il n’est jamais définitivement clos, ne peut désormais plus évoluer à l’intérieur des classes d’âge auxquelles il s’adresse aujourd’hui, à moins d’en repousser les seuls critères de sélection établis : l’âge limite de six ans pour les enfants et le moment de la déclaration de grossesse pour les femmes enceintes. Et c’est donc bien à une vue de l’ensemble de la population materno-infantile qu’aspirent les services de PMI, notamment à travers la mission d’établissement de statistiques qui leur est confiée. Depuis 1975, trois examens médicaux obligatoires du jeune enfant, au 8ème jour, 9ème mois et 24ème mois de vie, donnent lieu à l’établissement de certificats médicaux, qui, une fois centralisés par les services départementaux de PMI font l’objet d’un traitement statistique offrant une vision globale de la santé de l’ensemble de la population infantile. Que les enfants soient suivis dans une consultation de PMI ou un cabinet privé, qu’ils soient nés à domicile ou à l’hôpital, qu’ils soient d’un milieu social aisé ou en difficulté, que les parents touchent des allocations ou pas, ces enfants figurent dans les statistiques départementales et par là, nationales. 76 Suivre une population entière de futures et jeunes mères et d’enfants de zéro à six ans, sans autres critères de sélection économique, sociale, morale ou biologique, tel est l’aboutissement de cette extension quantitative de la Protection Maternelle et Infantile.
Qualitative
Tout au long de ces deux siècles, les éléments sur lesquels portent ces différentes mesures sont toujours plus nombreux et tendent à encadrer l’ensemble des activités sociales de cette population, y compris les plus intimes. Et si l’ordonnance du 2 novembre 1945 met un coup d’arrêt à la possibilité de poursuivre cette extension des catégories de populations, il n’en est absolument pas de même pour ce qui est des activités sociales ; bien au contraire. En plaçant sous sa coupe l’ensemble de la population, l’ordonnance de 1945 s’ouvre à de nouvelles problématiques. Au cours des 60 années qui nous séparent de cette date, la PMI est passée d’une politique d’organisation de lutte contre la mortalité infantile à l’assurance d’un suivi médical, psychologique et social de la mère et de l’enfant. Surveillance médicale materno-infantile À travers la multiplication des examens pré et post-nataux, cette politique de santé publique a suivi les évolutions de la société et les progrès techniques et scientifiques. En adaptant successivement le nombre d’examens obligatoires pour la mère, tout au long de la grossesse et pour l’enfant au cours de ses deux premières années de vie, la PMI avait comme premier objectif de lutter contre les principales causes de mortalité maternelle et infantile. Une fois cette première étape passée, les progrès scientifiques et techniques et l’évolution des conditions sociales générales n’ont pas manqué d’être pris en compte dans les nouvelles missions de la PMI. Le développement des spécialités gynécologiques et obstétriques permettant à la fois un dépistage toujours plus fin et plus précoce des maladies ou handicaps chez la mère ou l’enfant et, par là, l’avènement d’une prévention toujours plus précoce, la vie de l’embryon est aujourd’hui plus surveillée que celle de la mère. D’un autre côté, l’amélioration générale des conditions de vie a permis de consacrer les examens médicaux post-nataux au combat contre des affections auparavant ignorées parce que considérées comme relativement bénignes et de passer progressivement de la notion de survie à celle de vie en bonne santé.