Les risques de pertes en terre et en eau dans le bassin versant de la Doubégué (Burkina Faso)
Les autres activités du bassin, entre continuité et développement
La pêche, un secteur prometteur déjà remis en cause
Le bassin versant de la Doubégué n’est pas à proprement parlé un lieu de pêche. Il n’empêche que cette activité a toujours existé avec une finalité vivrière. Néanmoins, la création du lac a entraîné des modifications. A présent, davantage d’agriculteurs pratiquent la pêche en période sèche, ainsi que des personnes ne trouvant pas de travaux dans les champs pendant l’hivernage. Il y a également des professionnels de la pêche. Avant la mise en eau du lac, le Pays Bissa ne disposait pas d’une culture des grandes eaux. La personne entreprenant uniquement une quelconque activité de pêche ne pouvait pas survivre. Néanmoins, le fait que l’on se situait en présence de pente douce empêchait la formation de torrents et ralentissait le ruissellement. Des plaines d’inondations se formaient alors, constituant des lieux très propice à la fraie, à la nutrition, et au refuge des poissons. La présence ou non de ces espaces conditionnait l’abondance de la faune ichtyologique et la restitution rapide du stock exploitable. Il existait une activité traditionnelle basée sur l’autoconsommation. Le poisson était alors conservé par le fumage. Il s’agissait d’une pêche saisonnière exercée dans le cours d’eau et les mares voisines par envions 200 pêcheurs, en majorité des agriculteurs Bissa. Seuls, quelques pêcheurs étrangers étaient professionnels (Maliens, Nigériens, Nigérians et Ghanéens). La pêche a pris son envol avec la mise en eau du lac de Bagré. Ainsi, de nos jours, cette activité occupe de nombreux jeunes. Le matériel utilisé comprend les pirogues, les assiettes, les filets dormants, les filets maillants et/ou épervier, et/ou palangres (photo 18). Peu de vérifications sont effectuées dans la zone. Souvent les mailles des filets sont trop petites et des poissons trop jeunes sont capturés ; ils ne peuvent donc pas atteindre leur taille adulte et se reproduire. Ce fait a déjà de lourdes conséquences sur l’évolution des quantités de prises disponibles. Photo 18 : Pirogues au débarcadère de Bagré Cliché : E. Robert, 2006 Dans les années 1990, les pêcheurs, au nombre de 500, ont souvent associé les activités de pêche et d’agriculture, et parfois d’élevage. Actuellement, environs 400 pirogues sont en état de fonctionnement sur le lac de Bagré. Le potentiel piscicole est estimé à 1 600 t/an (MOB, 2001). Les prises devraient être de 1 670 t/an au cours d’une année normale, de 1 290 t/an lors d’une année à déficit pluviométrique, et de 240 t/an lors d’une année de crue. La création du lac aurait eu dans un premier temps un impact positif. Ainsi, les études sur la productivité piscicole montrent que la production serait passée de 50 kg/an (fleuve Nakambé) à 60 kg/an en eau close (NANEMA, 1995). Néanmoins, le potentiel est loin d’être atteint. En 1999 (année favorable), les prises n’excèdent pas les 613 tonnes, et en 1998 (mauvaise année), elles ont été de 150 tonnes. Les prises les plus importantes sont réalisées pendant la saison pluvieuse (conditions météorologiques, physico-chimiques favorables) surtout lors du mois d’août. Au cours de notre second terrain, on a pu se rendre compte des quantités de poissons capturés et de l’activité importante des pêcheurs. Les prises en saison sèche demeurent moyennes, bien que les conditions soient bonnes. De nombreux agri-pêcheurs libérés des travaux des champs pratiquent alors cette activité. La zone de Niaogho/Béguédo apparaît incontestablement comme la première zone de pêche du lac avec environ 50 % des captures. Ce fait s’explique d’une part par la présence d’une importante population de pêcheurs semi-professionnels, d’autre part par une bonne position géographique et un accès facile. Les deux autres zones relativement importantes sont celle de Foungou et de Bagré chantier, respectivement 17 % et 12 % des captures contrôlées. En définitive, dans la région de Bagré, 80 % des pêcheurs sont membres d’un groupement et il existe trois catégories de pêcheurs (MOB, 2001) : – les professionnels allochtones représentent 40,5 % des acteurs. Ce sont principalement des Maliens, des Nigérians et des Nigériens qui, le plus souvent, ne possèdent pas de terres ; – les agri-pêcheurs autochtones ou semi-professionnels (47,2 %) pour qui l’activité de pêche est complémentaire à l’agriculture ou à l’élevage ; – les pêcheurs occasionnels (12,3 %), majoritairement autochtones, pêchent de manière sporadique. Leur savoir-faire est rudimentaire. Ce sont généralement des jeunes désœuvrés tentant d’améliorer leurs revenus et leur alimentation. Auprès de ces acteurs directs, on dénombre, également, des groupements de transformateurs (fumage, séchage, friture) comprenant 230 personnes (96 % de femmes), ainsi qu’une quarantaine de mareyeurs, et 112 commerçants (MOB, 2001). Cependant, la situation a évolué, on note une diminution du nombre de personnes travaillant dans le secteur. Au niveau national, le secteur de la pêche se développe de plus en plus. En 1998, un décret a placé les pêcheries sous le régime spécifique des Périmètres Aquacoles d’Intérêt Economique (PAIE) administrés par un comité de gestion. A Bagré, il a été officiellement instauré le 09 juillet 2005. Il vise à asseoir une équipe, composée de 50 personnes, impliquant tous les acteurs de la pêche et les partenaires du développement afin de mettre en place un mode de gestion participatif et concerté de la pêcherie de Bagré. Ses objectifs sont la pérennité de la ressource, l’entente entre les différents acteurs, et la recherche de solutions pour faire face au risque d’épuisement du stock halieutique et à la dégradation de son habitat. Les unités de gestion prennent donc la succession du comité de gestion mis en place en 1990. Cependant, un certain nombre de réalités laisse craindre que la pratique de l’activité de pêche soit remise en cause. D’importantes préoccupations s’observent au niveau de la retenue de Bagré mais aussi de la Kompienga. En effet, la production piscicole de des deux lacs a chuté. A Bagré, cette dernière n’est plus que de 600 à 800 t/an (Direction Générale des Ressources Halieutiques). La consommation nationale est de 30 000 t/an alors que la production est de 10 500 t/an. Le fossé se creuse donc entre l’offre et la demande. L’État doit de plus en plus faire appel à l’importation. Les causes de cette évolution régressive semblent être la surexploitation (surtout des petites prises), le vieillissement (usure) peu à peu du biotope, la pollution par les pesticides utilisés par les agriculteurs, et le comblement des barrages. L’étude du bassin versant de la Doubégué mettra en lumière ces deux derniers problèmes soulevés. Il faudrait alors, selon le chef de mission de l’UICN, mettre en place « la fermeture à la pêche pendant une période (un mois ou un trimestre) et le renforcement du dispositif de surveillance sur le pan d’eau, de manière à faire respecter la période de fermeture ». Ainsi, la dégradation des sols observée et mise en avant dès la fin des années 1980, renforcée dans la décennie 1990, peut avoir de fortes implications dans la modification des stocks de poissons disponibles. Ces impacts s’opèrent également au niveau de la pratique de cette activité. En effet, si l’ensablement progresse, les poissons seront cachés dans cette eau trouble, et les prises seront d’autant plus difficiles. Les risques de pertes en terre et en eau dans le bassin versant de la Doubégué (Burkina Faso) : pour une gestion intégrée Cette baisse de la production a aussi des conséquences sur la dégradation des conditions de vie des acteurs de la filière à Bagré. Ainsi, en juin 2008 les captures journalières au niveau d’un débarcadère étaient de 223 kg pour 23 pêcheurs et 180 kg pour 17 pêcheurs. Le kilo de poisson s’écoulait à 250 F CFA (petits), 500 F CFA (moyens), et 750 F CFA (grosses carpes). Les fumeuses de poissons sont également touchées. Certaines ont vu leur quantité de poissons à fumer divisé par deux. Cependant, en période de bonne production, certes ponctuelle, elles font de bonnes affaires entre 50 000 et 100 000 F CFA journalier (50 000 FCFA pour 100 kg) (OUEDRAOGO, 2008). Entre 2006 et 2009, le nombre de pêcheurs, de transformatrices et de mareyeurs est passé respectivement de 638 à 475, de 434 à 229 et de 79 à 39 (UICN, 2010). Cependant à Bagré, la MOB et la Chine (Taïwan) essaient de colmater les brèches. Une dizaine de débarcadères et de magasins d’intrants ont été aménagés, et la pisciculture vient en soutien à la production du lac limitant l’impact de cette baisse. Une ferme piscicole a ainsi été construite, par la Coopération taïwanaise, en rive droite aval du barrage. Le bassin de 100 m2 est opérationnel depuis 2004 (cf. 10.2.2). Le poisson élevé est le Tilapia nilotica ou Oreochromis niloticus vendu 1 250 F CFA les 500 g. Les objectifs sont alors la production de poisson à faible coût, d’alevins pour un élevage familial en bassin, en aquarium, en rizière, ou en cages dans le lac, de granulés (maïs, son du riz et soja) pour le poisson et aussi pour d’autres espèces animales. La formation de techniciens est également prévue.
Le commerce, un secteur en essor relayé par le tourisme
Peu de personnes vivent directement du commerce (0,50 % principalement des femmes : 0,57 % contre 0,24 % pour les hommes). Il s’agit souvent d’une activité secondaire. Le commerce import-export porte sur les produits manufacturés, les produits maraîchers et les bovins ; sans oublier les produits phytosanitaires qui prennent de plus en plus de place. Les marchés de Bittou, de Béguédo, de Niaogho, de Garango, de Gombousougou, de Tenkodogo et de Zabré ainsi que les marchés au Ghana et au Togo constituent des lieux de circuits potentiels pour l’écoulement des produits. La proximité de ces deux pays et la route nationale 16 reliant la province au port de Lomé ont pour effet que le secteur est assez bien développé sur cet axe. Le petit commerce est également bien étendu et concerne, entre autre, la petite restauration, la vente de produits agricoles (arachide, karité…), de poissons transformés, ainsi que la production et la vente de dolo. Les marchés secondaires sont alors des espaces importants, lieux de la vie sociale par excellence. On y apprend les informations, les nouvelles survenues dans les différents villages. Les marchés se déroulent tous les 2 jours. Ils sont particulièrement animés en saison sèche car les agriculteurs rentrés des champs viennent grossir le nombre d’acteurs du système. Au niveau national, le poisson de Bagré se vend sur les marchés de Tenkodogo et de Ouagadougou. Le riz de Bagré est aussi acheté dans la capitale, mais son prix supérieur à celui importé lui est plus que préjudiciable. Enfin depuis l’été 2005, un projet touristique a été lancé. Il a été inauguré le 6 juin 2009. En réalité il s’agit d’un centre éco-touristique réalisé en coopération avec la Chine – Taïwan. Il est le premier du genre au Burkina Faso. Il devrait permettre la valorisation de Les risques de pertes en terre et en eau dans le bassin versant de la Doubégué (Burkina Faso) : pour une gestion intégrée toutes les opportunités rendues possibles par la création du barrage de Bagré. Il est bâti sur un espace de 600 ha ; le complexe hôtelier a une capacité de 108 lits, une grande salle de conférence, des ateliers et séminaires de travail, une boutique d’art pour la promotion de la culture et de l’artisanat au niveau local, régional et national, et une plage continentale. Le pan écologique porte sur la réalisation d’une pépinière polyvalente pour la production de plants forestiers, et de produits maraîchers biologiques, ainsi qu’une haie vive. Cette création est perçue comme « une structure à impact multiple qui va valoriser les potentialités de la région, accroître sa capacité d’accueil, favoriser l’éducation environnementale et le tourisme, promouvoir les cultures bissa, koussassé, peul, moaga entre autres tout en créant des emplois et en générant des devises pour toute la nation » (Siméon Sawadogo, gouverneur du CentreEst). L’objectif est bien de s’appuyer sur la diversité des éléments présents sur place : une faune sauvage, une flore riche, un patrimoine culturel, des paysages divers. Le ministre en charge de l’agriculture, Laurent Sédogo, pense que le centre peut être un levier pour le développement local. Ce sont ses rôles multifonctionnels qui sont mis en avant (économique, culturel, environnemental et éducationnel). Nous aborderons la mise en place de ce site plus précisément dans la quatrième partie, afin de présenter la part qu’il pourrait prendre dans l’évolution du niveau de vie des populations du bassin versant de la Doubégué et plus largement de Bagré (photos 19). Photo 19 : Au cœur du complexe éco-touristique de Bagré Cliché : E. Robert, 2008 La présentation du cadre humain de la région de la Doubégué et plus largement de Bagré souligne à quel point l’impact de l’Homme est croissant dans cet espace tant en terme de superficie que d’activité. Il se fait principalement au détriment des ressources naturelles par la diminution du couvert végétal, la surexploitation des sols et la pollution des eaux. Ainsi, ce dernier point permettra de faire la transition avec les Parties 2 et 3 qui mettront en évidence ces dégradations.
Une région entre pression démographique et diminution des disponibilités en ressources naturelles
Dans la région du lac de barrage de Bagré, on estime que le seuil agro-démographique de l’utilisation des terres de la région est dépassé, enclenchant un processus de dégradation des ressources naturelles. Il s’agit de la relation entre la superficie en jachère et la superficie. En effet, dans ce milieu, la densité de population ne devrait pas dépasser 40 hab/km2 . Or, en Pays Bissa, elle est de l’ordre de 75 hab/km2 . Cet accroissement de la population au cours du XXème siècle, et tout particulièrement depuis les années 1980, a alors eu quatre conséquences majeures. Premièrement, on observe une saturation de l’espace, avec pour corollaire la dégradation des ressources naturelles, se traduisant par la destruction du couvert végétal comme nous allons le démontrer au cours de la Partie 2, et par une baisse de fertilité des sols. Les formations « naturelles » ont fortement régressé, remplacées par des espaces cultivés. De plus, la jachère est en régression. Or, dans un espace où la majorité des producteurs n’ont pas les moyens d’investir en intrants, elle assurait jusqu’alors la durabilité des systèmes de production. Deuxièmement, les modifications du régime foncier ont aussi eu des conséquences, de même que la naissance de la crise agraire et foncière. Le système traditionnel reposant sur l’existence d’un chef de terre cadrait avec un système économique de subsistance. La terre n’était pas la contrainte limitante de la production. Mais, suite à l’accroissement de la population, le système de distribution/redistribution ne fonctionne plus. On a donc observé une réduction de la souplesse d’adaptation du système foncier traditionnel. Elle se traduit par une réduction voir une disparition de la jachère, une affirmation du droit de possession à l’intérieur des lignages, un morcellement des terres entre membres des lignages, et une multiplication des prêts et des emprunts de terres. La troisième conséquence correspond à la crise agraire observée dans la région et plus largement dans le Plateau Central. Le travail sur les champs collectifs prédominait par rapport aux quelques champs individuels. Les jeunes ménages et les célibataires demeuraient sous le contrôle du chef de famille. Suite à l’introduction de l’économie de marché, ce système s’est trouvé perturbé. Le pouvoir des anciens a été de plus en plus contesté. Les chefs de famille se sont retrouvés dans l’obligation, bien souvent, de devoir céder une partie de leur temps ou terre à tout travailleur. L’éclatement des anciennes structures de production s’est alors opéré. Désormais, c’est à chacun, selon son travail, de satisfaire ses besoins personnels. L’individualisme supplante peu à peu les valeurs de solidarité et d’entraide, et tend à accélérer l’éclatement de la « grande famille ». L’ancienne structure est désorganisée et la force de travail divisée est affaiblie. Le domaine collectif se scinde au rythme du fractionnement des lignages. Ainsi, le mouvement vers la recherche de l’autonomie s’est traduit par l’extension des superficies cultivées au détriment des méthodes collectives et relativement intensives de mise en valeur traditionnelles de terres. L’accroissement des besoins en terres va donc provoquer des changements dans la mise en valeur. On assiste à une mise en culture continue, à la disparition de la jachère, ou encore à l’exploitation de terres peu favorables à l’agriculture et sensibles à l’érosion. On observe une précarisation de la tenure foncière et une dégradation des sols. Le prêt permet toutefois de remédier à l’inégalité de répartition. Mais, le système des contrats ne permet pas aux producteurs d’opérer des investissements et de développer des méthodes et des techniques d’amélioration. Enfin, on observe une forte migration des jeunes ne pouvant pas ou difficilement avoir accès aux terres du fait de leur nombre insuffisant. La conséquence est alors la perte des actifs agricoles et donc une diminution du capital de travail entraînant de fait une remise en cause de la capacité productive de la région.
LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS UTILISÉS |