UNE DYNAMIQUE D’INVESTISSEURS NON PROFESSIONNELS
En créant ces dispositifs d’aide fiscale à l’investissement locatif, l’Etat a pu encourager les acteurs privés (investisseurs et promoteurs notamment à changer leurs comportements. L’hypothèse soulevée par Vincent Renard d’un processus de financiarisation du logement alimentée par ces mesures illustre d’ailleurs cette influence potentielle. A travers des études chiffrées, des entretiens et une enquête ciblée, nous avons tout d’abord analysé ce qu’il en était pour les investisseurs. Ainsi, nous avons étudié l’engagement des investisseurs institutionnels dans la production des logements locatifs défiscalisés et le poids que représentent les fonds d’investissement créés à partir des dispositifs fiscaux. Nous avons aussi cherché à identifier l’évolution du comportement des ménages qui ont acheté directement un ou plusieurs logements en vue de les louer. Puis, dans un second temps, nous nous sommes intéressé à l’industrie de la promotion immobilière. A partir d’entretiens principalement, nous avons examiné l’évolution des stratégies des acteurs de ce secteur, en lien avec les mesures fiscales en faveur de l’investissement locatif.
UNE FAIBLE PRESENCE DES INVESTISSEURS INSTITUTIONNELS DANS LE SECTEUR DU LOGEMENT EN FRANCE
La littérature académique montre que le processus de financiarisation de l’immobilier en France s’est avant tout nourri d’une évolution du comportement des investisseurs institutionnels et du développement de la titrisation des biens. Partant de l’hypothèse de Vincent Renard au début de notre réflexion, nous avons donc entamé notre réflexion par un examen de l’activité de cette catégorie d’investisseurs dans le secteur du logement et par une analyse des fonds d’investissement créés à partir des dispositifs d’aide fiscale à l’investissement locatif : les SCPI fiscales. Un désengagement des investisseurs institutionnels et un faible développement de la « pierre-papier »7 dans le secteur du logement en France i. Une dynamique globale de désengagement Les données chiffrées sur la part des logements locatifs détenus par les investisseurs institutionnels en France montrent un désengagement de ces derniers depuis la première partie des années 1990. Alors qu’ils détenaient encore 17% du parc locatif privé français en 1995, ils en possédaient moins de 10% en 2002 (Cléach, 2003 . Quatre ans plus tard, en 2006, l’enquête logement de l’INSEE estimait même à 2% le parc des sociétés d’assurance et à 2% également celui des autres sociétés et organismes privés, tandis que les particuliers comptaient pour 95% du total (DHUP, 2010 . Ces chiffres font apparaître l’ampleur du retrait des investisseurs institutionnels du logement locatif au cours de ces vingt dernières années, sachant que c’est à Paris que ce désengagement a été le moins important (Cléach, 2003 ; DHUP, 2010 . En fait, la titrisation des biens immobiliers, qui s’est traduite par la création et le développement des sociétés civiles de placement immobilier (SCPI et des sociétés d’investissement immobilier cotées ȋSIIC , n’a pas compensé le retrait des investisseurs institutionnels historiques ȋbanques, assurances…Ȍ dans l’investissement direct. La création des SCPI, en particulier les « SCPI fiscales » ciblées sur les dispositifs d’incitation à l’investissement locatif, n’a généré qu’une faible capitalisation de ͳ,ͷ milliards d’euros dans le logement au 31 décembre 20088. Quant aux SIIC, elles détenaient un patrimoine consacré à seulement 14% au logement (Figure n°35 , ce qui représentait environ ͳͷ milliards d’euros au 31 décembre 2008. En première approximation, le nombre de logements détenus par les SCPI et les SIIC ne devait donc pas dépasser 65.000 à cette date.
La capitalisation relativement limitée des SCPI fiscales
Quant à la faible capitalisation des SCPI fiscales, les raisons identifiées dans les entretiens sont de deux ordres : le manque de notoriété et de visibilité des SCPI en France. Celles-ci restent en effet méconnues de la majorité des particuliers (entretien St-Etienne n°1 avec un banquier, février 2010 ; la préférence des investisseurs particuliers pour la propriété d’un bien physique (« en dur » ; la pierre-papier demeurant encore un concept peu évident pour les ménages 127 qui gardent une certaine méfiance (entretien n°ͻ avec un représentant d’une fédération d’investisseurs institutionnels, octobre 2009 . On peut néanmoins observer que la collecte d’épargne des SCP « Scellier » de 2009 à 2011 a été d’environ ʹ milliards d’euros, un chiffre en progression si on le compare à ceux se rapportant aux dispositifs fiscaux antérieurs. Ce qui pourrait laisser augurer un changement de regard sur ce produit d’épargne. Cette progression doit cependant être nuancée. La collecte représente en effet moins de 7.000 logements (à comparer aux 200.000 logements « Scellier » vendus par les promoteurs9, sans compter les logements construits directement par les particuliers , soit entre 2% et 3% de la production des logements locatifs ayant bénéficié du dispositif fiscal au cours de ces trois années. b Une présence discrète dans l’acquisition de logements neufs Compte tenu de leur présence de plus en plus discrète dans le secteur du logement depuis près de vingt ans, les investisseurs institutionnels n’ont donc pas été très actifs dans l’acquisition des logements neufs. Les entretiens réalisés avec les promoteurs au cours de la recherche le confirment. En fait, au cours de ces dernières années, ce sont plutôt des organismes parapublics comme la Foncière Logement et la Société nationale immobilière (SNI qui ont été les cibles privilégiées des promoteurs pour les ventes en bloc. Première d’entre elles, l’Association Foncière Logement est une association à but non lucratif créée en 2002 par les partenaires sociaux en application d’une convention avec l’État. Elle est financée par des prêts en provenance d’Action Logement ȋanciennement ͳ% LogementȌ et par le recours à l’emprunt. Elle a pour vocation de produire des logements locatifs à destination des salariés pour diversifier l’habitat dans les secteurs en réhabilitation ainsi que dans les quartiers où l’offre est la plus tendue. nvestie d’une mission d’intérêt général, Foncière Logement poursuit un objectif de mixité sociale et de politique de la ville. Elle constitue à terme un patrimoine immobilier au bénéfice des régimes de retraites complémentaires du secteur privé.