De la communication à la communication en environnementale
« Quand les communautés traditionnelles et quelques corps intermédiaires sont menacés de dissolution dans l’individualisme de masse, la « communication » ici encore se propose comme la panacée apte à refaire du lien social. Voire de l’autorité ou de l’appartenance comme on débite ailleurs des produits manufacturés? »Daniel Bougnoux (1998).
Dans ce chapitre, nous tenterons de définir ce que serait une communication d’entreprise idéalement adaptée à la notion d’environnement. Cet idéal théorique, dont nous souhaitons extraire certains indicateurs, nous permettra ainsi dans la partie suivante de situer notre terrain par rapport à cet idéal.
Entre impératif de communication et impératifs catégoriques
Personne ne semble contester le besoin actuel quasi-vital des entreprises de communiquer plus largement possible ou tour d’elles. Pour Alex Mucchielli (2001); l’évolution économique et culturelle du monde a mis en évidence le fait qu’il ne suffit plus de produire des biens de consommation, « mais qu’il faut les vendre, ce qui est une question de communication ». Il faut connaitre les publics, leurs gouts et «communiquer» avec eux pour leur faire «désirer» et acheter les produits»153 .Publicité, Marketing, partenariats, tous les moyens sont bons pour se faire connaître ou reconnaitre et emporter l’adhésion du client.
Mais la nécessité de communiquer pour une entreprise, ne se limite pas à le faire envers ses seuls clients elle vise aussi ses partenaires. Pour Daniel Bougnoux(1998) « les mondes du travail et de la production se trouvent aujourd’hui infiltrés et comme transis, par l’impératif communicationnel. Quelle est l’entreprise qui ne doit pas désormais produire ou négocier ses relations, internes et externes, à la satisfaction de ses principaux partenaires ?».
Pour Nicole d’Almeida «l’essor des communications d’entreprise participe du déplacement de l’entreprise qui s’inscrit désormais dans l’espace public conçu ici comme espace d’apparition et de visibilité»155. Selon elle la visibilité des agents économiques n’est pas une donnée nouvelle mais le résultat d’un travail de présentation de soi auprès des publics plus larges que les seuls salariés. Cette démarche récente et délibérée de présentation consiste à asseoir une présence auprès des médias, auprès de l’opinion et auprès de tous les publics essentiels au développement des entreprises. Mais qu’est-ce que communiquer pour une entreprise? Qu’est-ce que négocier ses relations ? Quel rôle joue donc sa communication et quels buts vise-t-elle?
Pour Thierry Libaert (1996), la communication d’entreprise s’est complexifiée au fur et à mesure des évolutions économiques et sociales, transformant son rôle initial et multipliant les nouveaux enjeux. Le premier objectif de la communication d’entreprise a d’abord été l’information du public sur les caractéristiques précises d’un produit, son cout, et sur les moyens de se le procurer157. Mais selon l’auteur, il y a aujourd’hui un profond chargement dans l’activité même de la communication d’entreprise. Il ne s’agit plus de diffuser des informations sur l’entreprise ou ses produits, il faut mettre en œuvre un processus plus complexe, ou de nouvelles méthodes apparaissent, ou la culture d’entreprise devient le socle d’une représentation extérieure, en un mot : communiquer.
Mais, et c’est l’axe central de notre recherche, cet impératif communicationnel apparemment incontournable ne serait-il pas un leurre? Car ce besoin de mettre en avant la culture d’entreprise ne serait-elle pas une tentative de persuasion par l’identification à un groupe pouvant représenter des valeurs? Que représente ce terme de communication pour l’entreprise, qu’englobe-t-il et jusqu’où se développe-t-il ? Que pouvons-nous attendre des messages fabriqués par et pour l’intérêt de l’entreprise? Comment imaginer la transparence dans la délivrance d’informations choisies par l’entreprise elle-même, alors que celle-ci s’attache par tous les moyens à travailler sur son image de marque?
Pour Bernard Miége, cité par Alex Mucchielli (2001), la communication d’entreprise est un ensemble de technologies de gestion du social articulé autour de trois grandes finalités : forger une identité forte et valorisée de l’entreprise ; favoriser l’émergence d’un nouveau management du travail ; participer à la modernisation de la production, de conditions et des structures de production 159 . Mais, revenons tout d’abord à la définition de la communication des entreprises que nous proposent Bernard Lamizet et Ahmed Silem, pour tenter de tenter de définir ses modalités qui est : « En gestion des entreprises et des organisations, la communication désigne l’ensemble des actions entreprises en vue de donner la meilleure image de cette entreprise ou de cette organisation ,d’accéder à une certaine notoriété, faire connaître les produits et les activités de l’organisation pour développer éventuellement les parts de marché, de motiver et mobiliser les hommes de l’organisation ».
Pour ces auteurs, c’est l’utilisation de tous le moyen de communication [de manière cohérente et concertée, tant en communication interne (dans l’entreprise) qu’externe (pour un public non-membre de l’entreprise), en communication institutionnelle que commerciale ,qui constitue […],la communication globale» 161 .Or si l’on se réfère aux propos de Jean Caune(1995), pour assurer la cohérence d’une communication globale, l’entreprise instrumentalise le concept de culture, « pour remplir certaines mission : faciliter l’adaptation à l’environnement ,favoriser l’intégration interne, développer le sentiment d’appartenance ».
Il semble ainsi que la notion de communication d’entreprise soit indissociable de celle de culture d’entreprise. « La culture sera considérée comme la substance qui exprime l’identité de l’entreprise et dont la mise en forme et la circulation relèvent de la communication d’entreprise »163. Or pour Daniel Bougnoux (1996), la diffusion de cette culture d’entreprise nécessite une communication interne, supposant « des relations de pouvoir qui ne soient pas exagérément hiérarchiques, et qui fassent place à la motivation et à la négociation»164. Il soulève ici le problème de l’humain. D’ailleurs pour Sylvie Parrini-Alemanno (2003) « c’est la difficulté que rencontrent les entreprises, celle de la gestion de l’affectif qui parcourt sans cesse les interrelations socioprofessionnelles. Car c’est bien «l’individuel » que la communication interne de l’entreprise tente de « fondre» dans le collectif ». Selon elle la culture d’entreprise est « porteuse du sens de l’histoire d’une entreprise» en tant que« mémoire des conflits et des mutation» révélant des « cicatrices mémorielles» et des «reliques de crises». Dès lors elle envisage la communication interne d’une organisation comme «média de sa culture d’entreprise.» En effet toute politique de communication interne doit tenter de réunir les acteurs internes autour de l’entreprise. Indissociable de sa dimension culturelle, la notion de communication d’entreprise ne peut que s’entendre qu’en fonction des rapports humains, des « relations» dont parlait précédemment Daniel Bougnoux.
Ainsi nous pouvons, dès à présent, récapituler les caractéristiques d’une communication d’entreprise globale. Elle vise à construire et développer l’identité de l’entreprise, en utilisant son image de marque, pour accéder à la notoriété tout en mobilisant ses personnels. Pour cela elle tend à favoriser interne et développer un sentiment d’appartenance, soit une culture d’entreprise fédérant et mobilisant l’interne, laquelle peut se développer une communication externe cohérente, constituant ainsi une communication globale.
Maintenant qu’une définition très générale de la communication d’entreprise a été posée, intéressons-nous à ses rapports à l’environnement et au développement durable. De par la nature même des problèmes environnementaux, le besoin de communiquer s’est imposé rapidement au monde des organisations. Selon Eric Viardot (1997) « traditionnellement, la communication a été la première réponse des firmes confrontées aux pressions écologistes »166. Puis, face aux diverses catastrophes que leurs activités ont provoquées, certaines firmes ont rapidement compris la nécessité de communiquer non seulement vers l’extérieur mais aussi en interne pour se justifier auprès du grand public comme de leur personnel. Dans ce contexte ou l’environnement apparaît d’abord comme une contrainte, une pression, la communication semble être l’élément parfait pour parvenir aux objectifs de justification des entreprises. En ce qui concerne le développement durable, généralement issue d’une volonté forte des dirigeants de l’entreprise, ses défenseurs insistent sur le fait que « la communication reste le seul moyen dont disposent les entreprises pour s’engager publiquement et ainsi gagner le soutien de leurs différents publics internes et externe »168 . En effet pour Elisabeth Laville (2009) «la communication est au cœur des stratégies de développement durable dans les entreprises, d’abord parce que le développement durable est, on l’a dit, une révolution culturelle qui suppose d’abord et avant tout de changer de paradigme, de repenser la vision du monde et les valeurs qui fondent le capitalisme moderne. Un tel changement dans les esprits et les pratiques ne se produira pas sans qu’on en parle: les entreprises qui s’y engagent éprouvent donc le besoin bien normal de prendre la parole sur ce qu’est le développement durable, leur compréhension de ce qu’il implique pour leur activité et leurs premiers pas dans cette direction »169. Cependant, les propos de Jacques Vigneron et Laurence Francisco(1996), rappellent que « la communication externe devra être discrète et éviter l’écueil publicitaire qui, utilisé à outrance, discréditerait le discours et le positionnement sociale de l’entreprise».
Entre nécessité de communication et volonté de révolution culturelle, la justification de la communication environnementale d’une entreprise dépend de son engagement en faveur de l’environnement. En effet, celui-ci être considéré en fonction de la stratégie environnementale de l’enseigne. Nous considérerons trois types de stratégies possibles.
L’entreprise qui souhaite seulement faire face aux pressions écologistes, apporte une réponse simple à un problème donné, et se fixe une stratégie purement défensive par rapport à l’environnement. Une entreprise plus ouverte aux problématiques environnementales et désireuse de s’investir dans le domaine, peut s’engager dans une démarche de progrès, optant ainsi pour une stratégie offensive. Enfin, un dernier type de stratégie, innovante, permet à l’entreprise non seulement de mettre en place une démarche de progrès, mais surtout de mettre en œuvre une politique d’innovation. Car plus encore que réduire ses impacts environnementaux, ce type de stratégie permet d’avoir un engagement réellement global, utile pour réinventer les activités de l’entreprise en faveur de l’environnement.
Ainsi qu’il s’agisse d’une volonté de faire face aux pressions écologistes ou qu’il s’agisse d’une volonté d’engager une démarche de progrès, la communication environnementale d’une entreprise doit être adaptée au positionnement stratégique de l’organisation. Ainsi, le questionnement environnemental de l’entreprise ne semble pas pouvoir être dissociée des fonctions de communications.
Une Communication Environnementale Idéale
A l’aide de ces premières indications tachons donc d’esquisser ce que serait une communication environnementale idéale. Pour la majorité des auteurs il est nécessaire de prendre en compte la globalité et la complexité des implications environnementale. Ainsi selon Eric Viardot (1997), « il est maintenant indispensable pour les entreprises d’inscrire leur communication écologiste dans une démarche globale au lieu de se centrer uniquement sur les caractéristique de leurs produits] … [. Les firmes doivent donc replacer leurs actions environnementales dans une perspective plus générale d’entreprise «citoyenne » soucieuse de respecter l’ensemble des préoccupations des habitants de la planète. »172. Toujours dans le même ordre d’idée Jacques Vigneron et Laurence Francisco (1996) estiment que cette démarche « doit tenir compte de la complexité de l’environnement, notamment de la multiplicité des acteurs, de leurs statuts et des paramètres ressources qui décrivent et font fonctionner les écosystèmes humains » 173 . Cette globalité et cette complexité liées à l’environnement sont une condition nécessaire au développement de toute stratégie de communication relative à l’environnement.
Ainsi la communication environnementale d’une entreprise implique un réel engagement des acteurs qui doivent repenser la question de l’environnement ainsi qu’une véritable restructuration de son fonctionnement autour de la notion d’environnement.
Toujours d’après Jacques Vigneron et Laurence Francisco, « la communication environnementale mène une restructuration du fonctionnement des sociétés en réseaux interactifs qui se substituent aux structures pyramidales]… [.Le changement structurel s’accompagne d’une modification de la démocratie locale. Les nouvelles lois environnementales mettent en exergue la responsabilité des décisionnaires d’informer, mais aussi de créer une structure de recherche de consensus pour optimiser les relations et les objectifs des acteurs, quitte à modifier ou moduler leur positionnement ».
L’implication d’une entreprise dans des questions environnementales ne peut donc se faire qu’avec l’adhésion de tous les acteurs de l’entreprise et doit mettre en avant des notions de consensus, de cohésion sociale et de partage de valeurs communes. De plus elle doit aussi se positionner en référence à l’éthique. En effet selon Jacques Vigneron et Laurence Francisco dans les systèmes complexes, les référentiels classiques sont inopérants. Au fur et à mesure que l’homme accède à la complexité, il perd la possibilité d’évaluer la situation et ne peut répondre à ce problème qu’en faisant référence à l’éthique. Ainsi pour les auteurs, « l’écocitoyenneté est née de cette nécessité pour chaque individu d’adopter une éthique basée sur des valeurs universelles et une morale pour un comportement responsable du consommateur ». De plus, selon Franck Debos (2003), la construction d’une image éthique se révèle d’autant plus essentielle pour l’entreprise, qu’à n’importe quel moment sa vie peut basculer, et l’accident éthique avec son corollaire médiatique, est une menace que les entreprises doivent apprendre à gérer175. Tous ces éléments participent à la communication de l’entreprise.
La communication interne est un élément stratégique indispensable à toute opération relative à l’environnement. Travaillant sur l’entreprise et son image, elle vise à rassembler autour d’un projet fédérateur, symbole de l’identité et de la culture d’entreprise. En effet la communication interne génère de la cohésion sociale dans l’organisme. De plus un employé mobilisé est un vecteur de communication important auprès du public. La communication interne est donc le point de départ de toute stratégie environnementale car elle conditionne les contenus de la communication externe et plus généralement de la communication interne dans le contenu de son discours. Il y a encore peu de temps, celui-ci était très spécifique, reflet de la politique générale et des axes stratégiques de l’entreprise; il était, par conséquent, confidentiel, cloisonné en interne en fonction des différentes strates hiérarchiques. Aujourd’hui, la communication interne sur le thème de la protection de l’environnement est une communication globale destinée à l’ensemble du personnel. Les dirigeants cherchent à expliquer à l’ensemble du personnel ce que fait l’entreprise en faveur de l’écologie »176 . De même pour Jacques Vigneron et Laurence Francisco « l’entreprise, les structures institutionnelles doivent s’assurer que l’encadrement et le salariés se sentent concernés par l’environnement pour éviter de discréditer leur politique de communication environnementale auprès du monde associatif et des médias.177 Il est indispensable de mettre en cohérence les politiques de communication interne et externe car la communication doit construire l’image de l’entreprise sur le long terme. Or, la communication institutionnelle, selon Michel Ogrizek (1993), « ne peut vivre que si elle prend racines au cœur même de l’entreprise. Le soutien du personnel, ses discours et ses comportements quotidiens- à l’interne comme à l’externe (relais)-fondent la réussite et la crédibilité de tout programme environnement » . Eric Viardot atteste de la tendance observée dans nombre d’entreprises: « c’est le souci d’élaborer une communication cohérente interne et externe sur les même thèmes avec des messages homogènes] … [ ; Le message général reste le même »179. Ainsi la communication interne développe le sentiment d’appartenance à un groupe, tente de gérer les conflits et les relations entre les individus. Elle vise aussi à les rassembler autour d’un projet ou de valeurs communes, elle développe la culture d’entreprise et tente de créer du lien social. Pour parvenir à cela l’entreprise doit faire appel à un management particulier. Si l’on se réfère aux propos de Jacques Vigneron et Laurence Francisco(1996), la protection de l’environnement implique une modification du comportement des citoyens mais aussi des entreprises et le management environnemental apporte une réponse conceptuelle et méthodologique.
La communication environnementale idéale met en avant une communication externe plus institutionnelle que par le passé, travaillant plus sur l’image de manque que sur les produits. En effet selon Eric Viardot (1997), « l’intégration de la contrainte environnementale a fait évoluer la communication externe entreprises de manière significative depuis la fin des années 80 et le début des années 90, Celle-ci s’est faite de plus en plus générale avec une nette tendance à privilégier la communication institutionnelle mais en ajustant également la communication sur les produits » 181 . Selon lui la communication externe a tendance à privilégier la communication institutionnelle plutôt que celle sur les produits. « Les informations figurant sur les emballages expliquent désormais la composition du produit en mettant en valeur les efforts faits par l’entreprise en matière d’environnement »182. En cela, mettre au premier plan les actions menées par l’entreprise en matière de responsabilité sociale et environnementale, peut se révéler très payant. Mais selon Elisabeth Laville (2009), ce type d’approche est trop « fréquemment critiqué comme emblématique d’une récupération superficielle du développement durable à des fins commerciales »183 . Pour Eric Viardot (1997), « la communication produit (publicité et promotion) cherche à transmettre au client potentiel les avantages d’un produit. Elle s’adresse à une cible passive, représentée par les consommateurs. Cette passivité demeure relative dans la mesure où chaque consommateur est cependant plus ou moins sensibilisé aux questions de l’environnement»184.Toutefois cette communication produit valorise l’image environnementale de l’enseigne, qui serait selon Michel Ogrizek (1993) «liée à la valeur écologique de ses produits et à l’impact de ses activités sur l’environnement »185. En effet pour lui, il est classique d’admettre que l’image de l’entreprise est un capital qui fait la différence sur le plan de la concurrence commerciale et aide à communiquer en cas de crise186. Or que vise une communication plus institutionnelle?