UNE APPRÉCIATION FONDÉE SUR L’INCIDENCE DU MANQUEMENT

UNE ESTIMATION JUDICIAIRE DU SEUIL DE GRAVITÉ DE L’INEXÉCUTION

Présentation.- Le large pouvoir du juge est d’autant plus justifié que nécessaire. Car, comme nous l’avons déjà précisé, il tient à garantir le respect de l’engagement contractuel, les droits et les intérêts de chacune des parties. « Il apparaît ainsi que la question du caractère grave ou non du manquement est une question de fait qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond »79.
La Cour a ainsi estimé que l’appréciation de la gravité de l’inexécution doit tenir compte des circonstances de fait de chaque espèce soumis au juge. Autrement dit, faire une analyse au cas par cas sans se contenter de faire un catalogage, comme elle le précise dans son arrêt du 22 mars 1983, où elle affirme que « Toutes les circonstances de la cause intervenues »80 doivent être prises en compte. Ce qui laisse entendre que le juge du fond n’est pas et ne doit pas être indifférent, même en ce qui concerne les efforts effectués par le débiteur, pour assurer la continuité et l’exécution du contrat a postériori de la mise en œuvre de la procédure de résiliation du contrat. Précision jurisprudentielle .- La Cour de cassation précise que le juge du fond devrait tenir compte de la gravité du manquement du débiteur, même a postériori de la demande en résiliation. Autrement dit; c’est dans l’intérêt du débiteur de poursuivre ou d’essayer de poursuivre l’exécution du contrat, même dans le cas où une demande de résiliation de celui-ci a été introduite. Comme le précise monsieur le professeur Jacques MESTRE : cette pratique trouve sa justification en grande partie dans la nécessité d’éviter la multiplication des procès.
Monsieur LEVENEUR précise que : « Ne tenir compte que des manquements antérieurs à l’assignation en résolution pourrait le cas échéant conduire, en présence d’un contrat à exécution successive, à refuser une première fois la résolution, puis à examiner une seconde demande aussitôt formée par le créancier de l’obligation qui aurait continué d’être inexécutée pendant la durée de la première instance, pour éventuellement constater la gravité suffisante des manquements accumulés et prononcer finalement la résolution du contrat »81.
L’absence de définition a donné une grande liberté aux juges du fond (A). En effet, « … Investis du pouvoir d’interpréter souverainement les conventions, décident également d’une manière souveraine si une convention doit être considérée comme n’ayant pas été exécutée ».82 Cela lui a donné un autre pouvoir qui consiste en l’appréciation du comportement grave du contractant ( B ).

L’ABSENCE D’UNE DÉFINITION CLAIRE APPORTÉE PAR LA LOI

Une lacune.- Il est parfois difficile de savoir si tel ou tel manquement peut être considéré comme suffisamment grave, afin de justifier la rupture du contrat.
« Le législateur vise ou définit certains cas d’inexécution, mais ne définit pas l’inexécution en tant que telle, que ce soit dans les dispositions propres aux contrats nommés ou dans les dispositions communes ».83
Afin d’apporter une appréciation équitable, le juge s’appuie sur des critères bien précis (1). L’incidence du manquement serait le critère majeur (2).

LES CRITÉRES D’APPRÉCIATION DE LA GRAVITÉ DE L’INEXÉCUTION

Une évaluation juste de l’inexécution.- Le pouvoir du juge dans l’appréciation de la gravité de l’inexécution, est souverain84.
La délégation de la tâche d’évaluation de la gravité du manquement contractuel au juge, peut se révéler très efficace pour lutter contre les lacunes et l’insuffisance de la loi.
Pour pouvoir apprécier la gravité du manquement reproché au débiteur, le juge compare l’étendue de l’inexécution et l’objet de l’obligation85.
Illustration. – Par exemple, une société de travaux du bâtiment qui doit effectuer des travaux, construit un mur de 50 mètres pour entourer une propriété. Si l’entreprise construit seulement la moitié, il est évident que le manquement est suffisamment grave, même si l’inexécution est seulement partielle.
Dans ce genre de situation, il est clair que la question de savoir ou d’apprécier le seuil de gravité de l’inexécution, ne se pose pas. Il est certain que le manquement reproché au débiteur est évidant. Néanmoins, le juge effectuera une recherche fondée sur l’éventuelle satisfaction du créancier, en cas d’une inexécution partielle86.
Dans un contrat de vente par exemple, s’il se révèle le jour de la livraison qu’il y a une différence insignifiante entre la quantité demandée et celle livrée, le manquement n’est logiquement pas suffisamment grave pour que le juge prononce la résolution du contrat.
La 3éme chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 17 mai 2006, précise que même si l’inexécution d’une partie est répétée, cela ne constitue pas forcement un manquement grave87. La Cour donne une certaine liberté au juge du fond dans l’appréciation de la gravité du manquement88qui se fond sur la nature de l’obligation inexécuté (a), mais cela peut comporter quelque lacunes (b).

UNE APPRÉCIATION FONDÉE SUR LA NATURE DE L’OBLIGATION INEXÉCUTÉE

Le principe de l’appréciation. – Selon le professeur Hélène BOUCARD « L’obligation contractuelle est ( … ) la mesure de l’exécution comme de l’inexécution ».89
Si c’était le créancier qui devait apprécier la gravité du manquement, il pourrait, s’il est de mauvaise foi, prétendre que l’inexécution reprochée à son débiteur est très grave et demanderait par conséquent la résolution du contrat au lieu d’une exécution forcée ou simple dédommagement.
« Il en irait différemment cependant dans l’hypothèse, plus exceptionnelle où il apparaît que seule une livraison totale de marchandise aurait été de nature à satisfaire le créancier, lorsque la moindre défaillance d’une partie fait perdre à l’autre l’utilité du contrat, c’est la résolution qui doit être prononcée »90 .
En matière de baux, il est relativement facile de déterminer si le manquement est grave ou d’une faible gravité. Sont considérés comme étant un manquement grave par exemple, des travaux de modification de la chose louée, effectués par le locataire, sans l’autorisation du propriétaire. Le juge peut en effet prononcer la résolution du contrat pour manquement grave du preneur pour ce motif. Le juge doit effectuer une appréciation complémentaire, dans le cas où une légère modification pourrait effectivement être considérée comme étant un manquement grave de la part du preneur. Le juge devra analyser, d’une part si cette modification était nécessaire à l’activité du preneur et d’autre part, les intentions des parties. La question étant de savoir à quel point cette modification est tolérable. Cette tolérance serait en quelque sorte un paramètre de la faiblesse de la gravité de l’inexécution.
Le critère d’appréciation.- Dans l’arrêt du 11 décembre 1990, la Cour de cassation démontre l’analyse objective du juge pour apprécier le caractère grave du manquement.
En l’espèce, un employé d’une société de gardiennage qui était chargé de surveiller des locaux d’une entreprise, a commis un vol dans ses locaux. Le juge du fond a estimé que l’infraction commise par l’employé de la société de gardiennage était suffisamment grave, en s’appuyant sur le fait que la société était censée protéger les locaux de l’entreprise des éventuels vols ou dégradations. Alors que c’est un de ses employés qui avait commis le vol, par conséquent, le juge prononça la résolution du contrat au tort de la société de gardiennage.
On peut se demander alors dans ce genre de situation, si l’entreprise est tenue de payer la société de gardiennage pour les heures effectuées ultérieurement au vol ? Il est clair que seul le juge peut répondre à cette question. On comprend ainsi que son intervention est plus qu’indispensable.
Dans ce cas de figure, un regard extérieur pourrait être le plus juste et équitable. Logiquement l’entreprise doit payer les heures effectuées, mais l’entreprise pourrait demander réparation. La mauvaise foi du directeur pourrait amener ce dernier à ne pas le faire, et à considérer son acte comme une sanction pour avoir enfreint au contrat. Son acte constitue alors une inexécution. L’intervention judiciaire reste donc une garantie du respect des droits et intérêts des parties. Il en ressort que le juge est garant d’une sorte d’équité entre les deux parties contractantes.
Ce qu’il faut retenir, c’est que dans certains cas, les choses paraissent simples. Mais elles se compliquent lorsqu’une partie exécute normalement ses obligations, mais que cette exécution revêt un caractère imparfait ou incomplet « Sans qu’il soit pour autant possible de déduire aisément et de manière relativement objective le caractère grave ou non du manquement qui lui est reproché. Se pose alors depuis longtemps la question de savoir sur quels éléments doit s’appuyer le juge lorsqu’il s’agit pour lui d’apprécier si le manquement est suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat».91

LES LACUNES DU FONDEMENT DE LA GRAVITÉ DU MANQUEMENT SUR LA NATURE DE L’OBLIGATION INEXÉCUTÉE

L’inutilité du principe.- Nombre de droits étrangers donnent une importance à la nature de l’obligation violée, essentielle ou facultative. En droit positif français, on se base sur la nature de l’obligation inexécutée, essentiellement dans le cas où l’exécution serait seulement partielle et rappelons le, le juge joue un rôle très important dans ce cas. Le contentieux contractuel, une fois déclenché, se fondera principalement sur le fait de savoir si l’exécution reprochée au débiteur pourra créer un déséquilibre contractuel et donc un préjudice à la victime. Le créancier pourra prétendre que l’obligation violée est essentielle, même si elle est de faible gravité, uniquement dans le but de se débarrasser d’un cocontractant peu fiable et n’exécutant pas le contrat correctement. En revanche, le débiteur pourrait nier et prétendre de son coté, que l’obligation non exécutée ne puisse, a elle seule, réduire l’intérêt économique du contrat, même si cette dernière est bel et bien une obligation essentielle. Le juge dans ce cas, garantit l’intérêt des parties au contrat et veille à ce que les contractants exécutent leurs obligations de bonne foi.
Le juge est une assurance d’une condamnation à une sanction juste et adaptée à l’obligation inexécutée par la partie défaillante.
Le professeur SEFTON-GREEN précise que « Cette théorie [ de l’appréciation de la gravité de l’inexécution fondée sur la nature de l’obligation violée], centrée sur l’intensité de la promesse, essentielle ou accessoire, pose en hypothèse que la qualité de l’obligation joue un rôle déterminant dans le choix auquel procèdent les tribunaux d’accorder ou de refuser la résolution du contrat ».92
45. Les sanctions envisagées.- Logiquement, l’inexécution d’une obligation essentielle doit aboutir à une sanction importante pour le créancier, qui se traduit par la rupture du contrat. A l’inverse, la violation d’une obligation accessoire, ne doit pas entraîner une sanction lourde. Un délai de grâce, voire des éventuels dommages et intérêts devraient être suffisants dans ce genre de manquement. Cela dit, si l’obligation même accessoire peut porter préjudice au créancier et créer un déséquilibre économique, le contractant défaillant doit-il être sanctionné par des simples dommages et intérêts ? Si cette violation d’obligation accessoire est permanente, est-il de l’intérêt du créancier de garder les liens contractuels avec son cocontractant défaillant ?
Peut-on vraiment se baser sur la nature de l’obligation violée pour déduire et apprécier la gravité du manquement ?
Si on se base sur la définition de l’obligation essentielle93 et de la définition de l’obligation accessoire, la réponse à cette question serait affirmative, il est injuste de sanctionner lourdement une défaillance contractuelle du seul fait de l’existence d’un manquement sans prendre en considération la nature de l’obligation non exécutée.
Si l’on devait prendre en considération l’intérêt économique que doivent tirer les parties au contrat, la réponse aux questions précédentes serait négative. Il est inconcevable de maintenir un contrat dont l’intérêt économique visé lors de sa conclusion n’est pas atteint.
46. Démonstration.- Dans la vente, le contrat est conclu entre l’acheteur et le vendeur, le paiement du prix d’achat de la chose achetée et la livraison ou la remise en main de la chose vendue constituent l’obligation essentielle du contrat. Sans elles, le contrat ne pourrait pas exister et son inexécution remettrait en cause l’existence du contrat, ainsi que son utilité économique94. De même, dans un contrat de bail, le paiement du loyer et l’occupation des biens constituent l’obligation essentielle.
Selon Monsieur JESTAZ « Ce qui caractérise l’obligation fondamentale, c’est que la convention des parties peut en restreindre – un peu – l’étendue, mais non pas la priver de tout contenu, tel serait le cas si un bailleur déclinait sa garantie pour tous troubles de droit ou de fait, car son obligation de procurer la jouissance des locaux n’aurait plus d’existence réelle ».95
Le même auteur précise par ailleurs que « … C’est plutôt de la nature des choses que découle l’obligation fondamentale. Il y a dans chaque contrat, de par son économie propre, une obligation qui en constitue la pièce essentielle ».96
L’inexécution de l’obligation essentielle doit conduire à la résolution du contrat. Mais, si l’inexécution ne concerne qu’une obligation accessoire, il reviens au juge de décider au cas par cas, du sort du contrat. Son analyse sera fondée sur l’incidence de cette inexécution.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *