Un protocole heuristique de recueil de données

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La comparaison : des usages heuristiques aux usages interprétatifs

 La comparaison était initialement envisagée surtout comme un moyen de décentration, éventuellement comme un moyen de retracer des processus par induction, et non, en tout cas, comme un moyen déductif permettant de tester l’influence de quelques facteurs a priori : les processus institutionnels sont au contraire appréhendés comme complexes, relevant simultanément d’un ensemble de paramètres. Il s’agissait donc d’engager une démarche comparative permettant, par le rapprochement de cas contrastés, l’émergence de points de comparaison, ou plutôt l’émergence de saillances particulières (points communs et spécificités relatives à chacun des cas) et non de viser une comparaison terme à terme a priori. La recherche de formations pouvant être comparées avec les formations de l’université Galatasaray a constitué un premier travail de recherche. Nous n’avions qu’une très vague idée de la manière dont fonctionnaient des formations où le français est langue des enseignements dans des contextes autres que celui de Galatasaray. Nous n’en connaissions, de nom, qu’une seule330 . Cette première étape d’une démarche comparative a ouvert des pistes pour appréhender le « cas de l’université Galatasaray » au sein d’un processus plus large de formations francophones. Si bien que, en définitive, la démarche comparative a non seulement servi de moyen de distanciation et de mise en regard de cas distincts, mais elle a rapidement été envisagée comme modalité d’approche compréhensive de processus partiellement communs entre les différentes formations, ou, pour le dire différemment, elle a joué un rôle important dans une « étude de cas élargie » : les autres formations n’étaient plus seulement des points de repères comparatifs, mais, reposant sur des processus en partie communs avec l’université Galatasaray, elles pouvaient être appréhendées comme des phénomènes associés au cas de l’université Galatasaray. Nous explicitons d’abord les usages heuristiques de la comparaison, les critères initiaux qui ont motivé le choix des formations retenues pour l’étude empirique. Ensuite, nous précisons quels usages « intégrés » à l’étude du cas de Galatasaray nous faisons de la comparaison, ou, autrement dit, de quelle manière nous utilisons la comparaison au service d’une « étude de cas élargie ».

Usages heuristiques de la comparaison

 Il nous a semblé nécessaire d’effectuer une prise de distance avec notre objet d’étude, donc avec le contexte de l’université Galatasaray. Notre perception d’une « fragilité » de la règle curriculaire, à partir de laquelle nous avons formulé la problématique, était possiblement biaisée par la trop grande familiarité avec un contexte dans lequel nous avons travaillé pendant neuf années et par notre statut au sein de l’université Galatasaray. D’une part, enseignante recrutée par la France et, d’autre part, enseignante de français au sein de l’équipe d’enseignants de français, nécessairement engagée dans les tensions liées au statut de la langue français à l’université Galatasaray, ce double statut et la mission afférente – enseigner la langue française –, était susceptible de biaiser et d’exagérer ces tensions et d’exagérer une comparaison entre les usages de la langue française dans une université française et ses usages dans une université turque. Il était tentant, par exemple, de poser, après avoir argumenté sur le fait que la règle curriculaire était une règle « exigeante »331, que la formation francophone de référence était la formation française-type332 , c’est-à-dire une formation où la question de la langue française ne se pose pour ainsi dire pas , celle ci étant la langue commune des échanges sociaux dans et hors de l’université et la langue majeure de socialisation de la plus grande partie des acteurs de la mise en œuvre didactique, et, par conséquent, qu’une institutionnalisation de la règle devait tendre vers le fonctionnement d’une formation française. Or, évaluer les écarts à partir de la formation française-type, selon un schéma-mécanique-type de transfert de modèle, ne pouvait que conduire à l’interprétation d’un échec et d’une fragilité de ces formations (tout ce qui s’éloigne de la formation française-type). Mais précisément, dans la mesure où ces formations ne peuvent pas être dans le même cas que celui de formations françaises-types, la question est plutôt de savoir comment la règle se maintient dans ces contextes avec leurs particularités sociolinguistiques et culturelles : des contextes sociaux et culturels turcophones ou roumanophones ou bulgarophones, où la plupart des enseignants et des publics disposent d’une commune langue de scolarisation et de socialisation , tout à fait apte à assurer la diffusion des connaissances disciplinaires. Nous avons été également dès le départ embarrassée par le devoir de réserve ou l’autocensure que nous risquions de nous imposer. Nous nous sommes posée la question des limites de ce que nous pourrions dire en tant qu’actrice de l’institution : était-il de notre ressort d’évoquer des « problèmes » éventuels, de parler de « fragilité » du statut du français ou de la fragilité des liens de coopération ? L’institution « attend » en général de ses acteurs, même si cela n’est pas nécessairement explicite, qu’ils la « servent », non qu’ils la critiquent – même si notre objectif n’était pas directement une critique et même si nous estimons par ailleurs avoir accompli correctement notre « service » à l’université Galatasaray ! Dans un cadre de coopération, comme celui dans lequel nous étions, c’est d’ailleurs le « poids » de deux institutions qui s’exerce : celui de l’université Galatasaray, institution turque, celui de la coopération française. Afin de ne pas subir d’autocensure et d’échapper à une certaine « emprise institutionnelle », nous avons préféré prendre des distances avec l’institution et en sortir, à la fois en quittant notre poste à Galatasaray et en nous rendant dans d’autres contextes.

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Usages interprétatifs de la comparaison : vers une compréhension élargie des processus 

La première étape de la démarche comparative qui était de sélectionner des formations susceptibles de faire émerger les spécificités du cas de l’université Galatasaray, par décentration, a trouvé, en définitive, sa place dans une « étude de cas élargie ». Nos choix ont été effectués dans des pays proches géographiquement, également non francophones, mais néanmoins « plus francophones » que la Turquie, où se trouvaient des formations universitaires francophones de premier cycle universitaire. Les dates de création des formations de premier cycle que l’on trouvait en Bulgarie et en Roumanie quand nous avons débuté la recherche se situaient toutes dans un laps de temps très réduit : globalement, le tournant des années 1980-1990. La comparaison a permis, par détour, mais aussi par élargissement, un double mouvement d’analyse. 150 a) De la comparaison heuristique à la mise en évidence de processus de circulations d’un modèle de formations universitaires francophones ? Elle a d’abord permis d’analyser le cas Galatasaray, par contraste, en le mettant en regard relativement à d’autres formations universitaires francophones de la fin des années 1980, début des années 1990 en Europe orientale et d’analyser les processus d’institutionnalisation /désinstitutionnalisation du statut curriculaire du français relativement à ce groupe de formations. Elle a ainsi, réciproquement, permis à Galatasaray d’en dire plus que lui-même et, à nous, de porter un regard sur un ensemble plus vaste, celui des formations francophones universitaires de la fin des années 80, début des années 90 du siècle dernier, dans lequel Galatasaray constitue un cas particulier, tout en ayant une histoire en partie commune avec les autres formations de cet ensemble. Ce contraste peut être mis en forme par l’élaboration de « types » de formation, sans que la construction de ces types ne soit la finalité de la recherche : elle est un moyen commode d’interpréter un cas au regard des autres. b) Comparaison et précision de la problématique : le cas Galatasaray dans un mouvement plus large de création de formations francophones La comparaison de détour, originellement de nature plutôt contrastive (comparer des formations universitaires francophones sous l’angle du statut du français et autant que faire se peut, malgré des temporalités distinctes, sous l’angle de leurs processus) est également devenue une comparaison de cas relevant d’une histoire ou de processus pour partie communs : l’émergence de formations francophones à un moment où émergent des questions relatives à l’intégration européenne des pays retenus pour l’étude empirique, d’une part, et, d’autre part, à l’européanisation de l’enseignement supérieur. La comparaison a donc permis en fait d’« élargir » le cas. 

Les critères du choix de formations « comparables »

 Afin de pouvoir prendre une certaine distance avec un contexte trop familier, il nous fallait choisir des formations relativement proches de celles proposées à l’université Galatasaray, de manière à ce que la comparaison puisse faire un minimum sens. A quels critères avons-nous eu recours pour sélectionner des formations permettant de mieux faire apparaître les spécificités de Galatasaray ? Et quelles sont les limites de ce choix ? a) Quel ailleurs ? Sur quels critères de choix ? Le MAE, à ce moment mettait en ligne sur son site (France-Diplomatie), un répertoire de 2006, qui avait comme ambition de répertorier l’ensemble des formations universitaires francophone dans les pays où le français n’est pas langue des principaux échanges sociaux. Les formations sont classées par grandes régions du monde. Chacune d’elles est présentée en une page : son nom, la date de sa création, son adresse, le nom du responsable de formation, et, le cas échéant, la mention des universités partenaires et du soutien politique externe dont elle bénéficie (MAE ou AUF). Cette « fiche d’identité » de la formation s’accompagne parfois d’un petit descriptif sur le contenu ou l’historique de la formation (entre 4 et 10 lignes) 335 . Nous avons effectué un premier choix de formations en Bulgarie et en Roumanie, avant de nous rendre sur place. Les critères principaux de notre choix étaient les suivants : – Proximité géographique. – Formations disposant au moins d’un premier cycle universitaire, comme à Galatasaray. – Des disciplines proches des formations de l’université Galatasaray. 

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