Un modèle physique pour étudier la tectonique des plaques
Concernant la géodynamique terrestre, le paradigme actuel, la tectonique des plaques, fut d’abord proposé sous la forme d’un concept prémonitoire par Pekeris en 1935 et Holmes en 1945 en se basant sur le fait que le refroidissement de la terre devait conduire à des phénomènes de convection dans le manteau. A cette époque, le concept fut débouté par Sir Jeffreys puis remis à l’ordre du jour avec l’exploration des fonds océaniques. Le concept actuel de la tectonique des plaques est née à la fin des années 60 grâce à la découverte des dorsales médio-océanique, à la datation des îles océaniques, à l’énoncée de l’hypothèse de l’expansion océanique (Hess 1962) et sa confirmation par la découverte des bandes d’anomalies magnétiques sur le plancher océanique (Wynes & Mattews). Ce sont, d’une part, Jason Morgan à l’AGU en 1967 et d’autre part, Dan Mc Kenzie et Robert Parker, en se basant sur des arguments sismologiques, dans Nature en 1968, qui énoncèrent finalement se principe simple :
La lithosphère se divise en un certain nombre de plaques rigides et capables de transmettre les contraintes sur de longues distances. Elles se déplacent les unes par rapport aux autres en glissant sur l’asthénosphère. La déformation se concentre aux limites de plaques qui peuvent être convergentes (destructives), divergentes (constructives) ou transformantes (conservatives).
Cette idée aura mis longtemps à mûrir, mais elle a conquis la communauté scientifique très rapidement et s’est imposée par son caractère unificateur (volcanisme, chaîne de montagne, répartition de la sismicité…)
Si cette théorie permet d’expliquer beaucoup des phénomènes, elle n’est pourtant pas encore parfaite. Pour preuves, la multiplication des plaques et microplaques continentales depuis l’amélioration des techniques de triangulation et l’avènement du GPS et la question du moteur, c’est-à-dire du couplage entre la convection et le mouvement des plaques, qui n’est toujours pas réglée…
Le début du XXième siècle fut dominé par l’idée d’un moteur vertical découvert par Airy en 1855 : l’isostasie. Sa fin, avec l’avènement de la tectonique des plaques, fut dominée par l’idée que les mouvements horizontaux dominent le design de la surface de la planète… Ses détracteurs se concentrent donc maintenant à prouver que les mouvements verticaux et notamment l’érosion et la sédimentation constituent aussi un moteur puissant…
Tous ces débats, entre dérive et effondrement (qui débutèrent timidement du temps d’Aristote lorsqu’on essayait déjà d’expliquer la présence de formes marines au sommet des chaîne de montagne), reposent sur le fait que la surface de la terre est un objet dynamique soumis à la fois à des contraintes et à des forces de volumes.
En se plaçant dans certains cadres spatio-temporels des sciences de la Terre (sismologie, convection à grande échelle), il est possible de simplifier la rhéologie des matériaux terrestres. Cependant, lorsqu’il s’agit de comprendre les processus qui régissent la dynamique de la lithosphère à l’échelle de quelques dizaines de million d’années, aucune autre simplification n’est possible à priori.
Il devient nécessaire de pouvoir effectivement simuler et quantifier les interactions Terre-fluide/ Terre-solide pour estimer si elles peuvent être effectivement négligées et pour comprendre l’influence de ces couplages intrinsèquement non linéaires sur l’évolution des structures tectoniques.
De la géologie à la physique…
Définitions controversées de la lithosphère et des plaques tectoniques
La structure qui est au centre de notre étude : LA LITHOSPHERE, est l’enveloppe la plus externe de la Terre, celle que l’on observe dans le plus de détails, celle qui nous impressionne par ces montagnes, ses bassins et ses fosses océaniques. On pourrait en donner plusieurs dizaines de définitions mais l’étymologie (1890-1895) même de ce mot reste la définition la plus correcte : elle indique qu’il est question d’une sphère de « roche », d’une sphère constituée de silicates, à l’état solide, qui contraste avec le manteau supérieur, qui doit être fluide sur les longues périodes de temps, pour que les grandes structures de la lithosphère puissent atteindre l’équilibre isostatique.
Il existe trois grandes définitions de la lithosphère :
– Thermique : La base de la lithosphère est une couche limite thermique correspondant à la transition d’un régime de transport de chaleur par advection à un régime de transport par conduction. Cette définition ne contient aucune information réelle sur la résistance des matériaux inclus dans la lithosphère.
– Sismologique : La base de la lithosphère sismologique correspond à une zone de faible vitesse qui affecte surtout les ondes de cisaillement (S) mais qui se marque aussi par une atténuation des ondes de volume (P), observations qui dénotent la présence de fluides (issus de la fusion partielle ou autres).
– Elastique : L’épaisseur élastique équivalente est lithosphère, lui-même, mis en évidence grâce régionale. Elle dépend du temps, mais seule généralement considérée (10-100km) mesurée par le degré de flexure de la aux mesures gravimétriques d’isostasie l’épaisseur élastique de long terme est
Aucune de ces définitions ne correspond réellement aux plaques désignées par la tectonique des plaques classique.
Les deux premières définitions concordent assez bien en terme d’épaisseur car elles sont toutes deux intimement reliées à la température qui est le facteur prédominant qui contrôle la résistance au fluage des silicates mais elles ne correspondent pas à la définition des plaques tectoniques car rien n’indique dans cette définition qu’elles ne peuvent pas subir de déformation internes significatives.
La définition élastique indique des épaisseurs beaucoup plus faibles qui correspondent en fait à la partie de la lithosphère qui peut transmettre les contraintes appliquée aux limites sans atténuation, c’est-à-dire en se déformant uniquement élastiquement. Cela correspond bien à la définition originelle de la tectonique des plaques, mais l’épaisseur élastique équivalente, contrairement à la lithosphère au sens strict, n’a pas de réalité physique.
Contraintes géologiques sur la rhéologie de la lithosphère
Comportement élastique de la lithosphère
La première loi de comportement que l’on peut associer à la lithosphère à grande échelle est l’élasticité linéaire. Ce comportement est mis en évidence par la propagation des ondes sismiques dans le milieu mais transparaît aussi dans les anomalies du Géoïde.
1) Comparaison entre le profile bathymétrique de la fosse des Mariannes (ligne continue) et la solution analytique de l’équation de flexure élastique pour un bombement d’une amplitude de 0,5 km situé à 55km de l’origine z =0 [Turcotte and Schubert, 2002]
2) Déflexion et bombement créés autour d’une île intra-océanique qui transparaît aussi l’anomalie gravimétrique d’air libre. (reproduit de [Watts, 2001])
Les fosses océanique, comme les Mariannes (Figure 7 -1), ou les îles intra-océaniques, comme la chaîne des Empereurs (Figure 7 -2), créent dans la topographie des bombements non compensés isostatiquement qui permettent de caractériser la résistance élastique de long terme de la lithosphère.
Il est important d’émettre ici quelques nota bene quant à la signification des valeurs d’épaisseur élastique mesurées. La flexure d’une lithosphère très rigide possède un rayon de courbure très important et une très faible amplitude. Les études flexurales classiques peuvent donc mener à des sous-estimations importantes de ce paramètre.
Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’une lithosphère est résistante qu’elle se rompt plastiquement. Il existe même une anti-corrélation entre l’épaisseur élastique et l’épaisseur sismogénique ([Watts and Burov, 2003] ;Figure 8).
Graphique reproduit de Watts & Burov [Watts and Burov, 2003] indiquant en a) les épaisseurs élastiques équivalentes (Te) et les épaisseurs sismogéniques que l’on peut prédire en fonction du rayon de courbure de la lithosphère en utilisant simplement l’enveloppe rhéologique représentée en c)
Le graphique b) indique le comportement effectif de la lithosphère en fonction de la profondeur et du rayon de courbure tel qu’il est prédit par la théorie de l’épaisseur élastique équivalente telle qu’elle est décrite dans [Burov and Diament, 1995].
La partie grisée indique les rayons de courbure observés sur Terre
Comportement plastique de la lithosphère
Il existe à la surface de la Terre des structures cassantes qui peuvent être formées en cisaillement comme l’indiquent les stries sur la surface du plan de faille d’Helike (Corinthe) (Figure 9-1) ou en tension (mode I) comme on le voit sur ces épontes parallèles d’un crack en Islande (Figure 9-3). Les structures cisaillantes formées à grande profondeur, attestent de traces de fusion partielle indiquant
Le graphique en bas à droite représente la loi de byerlee [Byerlee, 1978] qui indique que la résistance des roches au glissement en cisaillement dépend de la pression de confinement l’existence d’une sorte de friction interne compatible avec les données expérimentales de [Byerlee, 1978] qui indiquent que la résistance des roches fracturées dépend linéairement de la pression de confinement quelque soit leur nature lithologique (Figure 9, graphique).
Les ruptures verticales en mode I sont caractéristiques de la déformation de surface ou de déformation associée à des fluides en profondeur (veines).
Toutes ces observations mettent en évidence qu’il existe une relation entre la pression effective (Peff = Pmécanique- Pfluide ; principe de Terzaghi) et le type de déformation cassante. Pour de faible pression de confinement (en surface ou à forte pression de fluide) la rupture en mode I est favorisée. Pour de plus forte pression effective la rupture en cisaillement est le seul mode activé.
Les observations montrent aussi qu’en cisaillement, les roches ne subissent pas une dilatation proportionnelle au déplacement qu’elles accumulent.
Comportement visqueux de la lithosphère
Les plis, les boudins et les mullions sont observés dans la nature à toutes les échelles et à toutes les profondeurs. Pour exemples (Figure 10). :
– les plis couchés dans le Jura dans lesquels l’absence de trace de métamorphisme indique qu’ils se sont formés sous un faible enfouissement
– les boudins de l’île de Tinos se sont formés tout comme les plis du Cap Corse dans le faciès métamorphique des schistes verts, c’est-à-dire, à une pression de confinement et à une température assez importante.
Ces structures montrent que soumises à des contraintes trop faibles pour déclancher des phénomènes de rupture cassante, les roches peuvent aussi se déformer plastiquement par relaxation visqueuse (fluage dislocation ou pression dissolution) des contraintes élastiques. Elles se forment toutes à l’interface instable entre de deux fluides visqueux de viscosité différente [Turcotte and Schubert, 2002] et sont donc dynamiquement similaires.
Ce phénomène peut avoir lieu même lorsque la viscosité est importante comme l’indique les résultats des tests de fluage réalisés sur le quartz et l’olivine et représentés sur le graphique 1 de la Figure 10. Ce graphique indique que le maximum de contraintes déviatoriques supportés par les roches dépend de la nature lithologique, de la température et du taux de déformation.
Même pour de faibles températures, les roches peuvent fluer si le taux de déformation est très faible.
Ces structures peuvent être caractérisées par des modèles visqueux analytiques notamment en utilisant des analyses de stabilité linéaire (ex [Smith, 1975; Smith, 1977]) pour connaître les longueurs d’ondes initialement favorisées. Pour avoir accès à la déformation finie et comprendre les différents contrôle exercée par la gravité et les forces aux limites une approche numérique est souvent nécessaire (ex :[Schmalholz and Podladchikov, 2000]).
