Un instrument destiné aux contes de fées pour adultes

Un instrument destiné aux contes de fées pour adultes

Un jour, au Caire, Ismaël, descendant de Mehmet Ali, désigné pacha d’Égypte en 1805 par le gouvernement ottoman, décide de construire un Opéra, le premier en Afrique, qui doit être le pendant artistique d’un des plus grands chantiers techniques et économiques qui touchent alors le pays. Il fait appel à des architectes italiens et s’assure que sa forme reprend celle des Opéras des plus grandes capitales du monde. Sur la terrasse, au-dessus du fronton extérieur du Grand Théâtre à Bordeaux, inauguré le 7 avril 1780 et qui servit de modèle pour l’Opéra du Caire, neuf muses et trois déesses197 nous rappellent les affaires de la France et de l’Égypte, et le percement de l’Isthme de Suez, rêvé depuis l’antiquité, qui devait changer le commerce à l’échelle mondiale. La France, entre autres pays occidentaux, se passionne pour l’Égypte, à la suite de la campagne de Bonaparte et d’une vision d’une Égypte réformée par le vice-roi Mehmet-Ali. Le Khedive Ismaël veut qu’un grand compositeur compose un opéra pour son théâtre. C’est Giuseppe Verdi qu’il choisit, mais ce dernier n’accepte pas de faire un opéra sur commande. Il va néanmoins accepter qu’un de ses opéras soit joué pour  l’inauguration de l’Opéra Khédival du Caire198, en 1869. Ce sera Rigoletto. Mais le Khedive Ismael, amateur d’art lyrique, veut une création du grand Verdi, et il va arriver à ses fins avec un chèque non négligeable dédié au compositeur et accompagné d’un livret qu’il dit avoir écrit lui-même. Son sujet, c’est Aïda, qui évoque l’Égypte millénaire, celle qui devait être célébrée lors de l’événement. En fait, il avait fait appel à Auguste Mariette, un égyptologue français, qui dirigera le Musée égyptien créé en 1863, alors au service d’Ismaël, pacha depuis des années, et qui avait découvert en Égypte une bonne partie des trésors que l’on connaît aujourd’hui. Les décors ayant été bloqués à Paris du fait de la guerre franco- prussienne de 1870, la première représentation a finalement lieu le 23 décembre 1871.

En France, à la même époque, entre 1858 et 1875, se profile de Palais Garnier, actuel Opéra national de Paris. En 1858, à Paris, des bombes sont lancées sur la foule par des anarchistes italiens en 1958 au moment où Napoléon III se rend à l’Opéra, en carrosse, avec son épouse. Le lendemain de cette soirée meurtrière, qui fait huit morts et près de cent-cinquante blessés, l’Empereur décide de la construction d’une nouvelle salle199 et organise, en 1860, une compétition internationale, à laquelle participent 171 architectes, pour trouver celui qui construirait l’emblème de son régime. Les spécifications sont claires : une maison d’opéra digne de la Ville de Paris avec des configurations spatiales qui tiendraient compte des rangs et du nombre des élites. L’espace réservé à la performance théâtrale est le moins important du projet. La maison ne doit pas être trop grande, par crainte qu’elle ne soit pas assez sélective et qu’elle devienne un endroit de rencontres « trop public ». Le tout doit être suffisamment somptueux pour montrer la richesse de la nation (Saint-Cyr 2005:147) et physiquement refléter le besoin de faire montre de la grandeur du régime napoléonien, de mettre l’emphase par sa configuration même sur la taille de l’élite de la société avec 2000 sièges qui lui donnaient un espace public où se rencontrer (Bereson 2002 : 48). L’ordre social et le portrait de la nation, qui n’incluent alors pas, d’où l’appellation, le Tiers-État. Ce dernier ne comprend ni décideurs ni propagateurs d’opinion ou de normes, et ne constitue pas l’auditoire dont les institutions ont besoin. Le choix tombe sur Charles Garnier, en 1861.

Le Palais de Charles Garnier est construit sur des intentions conflictuelles. D’une part, l’architecte tente de répondre à ce qu’il pense être « le problème crucial de l’art de son temps : l’impossibilité de diffuser la création artistique pour le plus théâtre », et plus explicitement lié au pouvoir (Bereson 2002:48). Le Palais Garnier, inauguré le 5 janvier 1875, quatre ans après l’Opéra du Caire, est la culmination, selon Ruth Bereson, des éléments qui le rendent si important pour l’État français. Ces éléments servaient de support à la hiérarchie spatiale de la structure des places et contribuaient à démontrer le pouvoir et la gloire de la cour. À l’extérieur, notons qu’aucun arbre n’a été planté depuis sur l’avenue menant à l’entrée principale, pour permettre aux passants d’« admirer sans entrave cette façade qui aurait dû devenir le symbole éclatant du pouvoir  Jamais un opéra n’avait mis autant d’emphase sur l’interaction sociale que celui-là (Bereson 2002:50-51). On peut appuyer ce fait en rappelant que l’ouverture de l’Opéra devant des invités prestigieux (sans Napoléon III, mort deux ans auparavant) ne donne pas lieu à la présentation d’un opéra, mais à un amalgame d’extraits d’opéras des années 1830 et 1840. Ce programme, qui n’étonne guère, vu le peu d’attention portée au plateau relativement à la salle, met en lumière la signification donnée à l’expérience sociale — l’opéra — par rapport à l’œuvre — opéra — d’art (Patureau 1991:19) et nous relie à ce combat qui existe toujours entre création et répertoire, et un choix de titres et de noms déjà connus des foules pour un maximum de plaisir et de reconnaissance devant cet autre qu’est l’œuvre  .

 

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *