Un domaine causal : Système d’eau douce sanitaire à bord d’un navire (EDS)

Turing Machine Task Analysis (TMTA)

La méthode est basée sur le formalisme des machines de Turing (Wells, 2002). Cette méthode appelée « Turing Machine Task Analysis » (TMTA) modélise un agent en interaction avec un domaine de travail, comme étant une machine capable de lire des symboles sur une bande de papier (Figure 49). Compte tenu d’un certain nombre de registres d’actions disponibles pour un agent, la présence ou non de symboles sur la bande de papier permettra ou non une activité de l’agent pour la réalisation de la tâche dans une situation de travail dégradée. Les symboles sur la bande de papier représentent les affordances du domaine de travail. L’application de cette méthode sur des tâches élémentaires comme l’interaction avec une porte (Morineau, Frénod, Blanche, & Tobin, 2009), avec un stylo (Morineau, 2011) ou durant une tâche de préparation de thé (Morineau, 2010) ont montré que la simulation d’une simple séquence de tâche est possible avec un relatif haut niveau de précision. Les opérations sur les affordances du domaine de travail peuvent être décrites étape par étape au cours de la séquence de tâche. Cette précision conduit à considérer cette méthode comme un outil pour la vérification et la validation d’un modèle de travail. Si le domaine de travail est juste, la simulation du scénario de tâche devrait fournir une bonne interaction entre l’agent et le domaine de travail.
La machine de Turing consiste en un agent qui interagit avec une bande papier de tailles infinies comprenant un ensemble de cases, dans le cadre de la méthode TMTA les cases de notre domaine de travail. Sur chaque boîte de ce ruban de papier ou de la méthode TMTA, un symbole peut-être soit lu ou écrit par l’agent. Les symboles possibles correspondent en un ensemble fini, par exemple {0, 1, #}. Quand l’agent écrit un symbole sur une case, cela supprime instantanément le symbole précédent. L’agent peut aussi déplacer la bande de papier de la gauche vers la droite. L’agent est en permanence dans un état. Il peut aussi changer ou ne pas changer d’état. Ce concept de machine d’état peut simuler tant un contexte cognitif spécifique dans lequel une affordance (un symbole) est perçue (lue), qu’une forme de forme dynamique de mémoire dans laquelle un symbole perçut est associée à un état mental donné. La définition des opérations de l’agent (lire, écrire, bouger, changer d’état) est définie à travers une table d’instructions, un algorithme. La méthode TMTA est une adaptation moins formelle du modèle de la machine de Turing. Cette adaptation permet de considérer la modélisation de toutes sortes de séquences de tâche. Dans le contexte de l’utilisation de TMTA pour la vérification et la validation, le formalisme des machines de Turing sera appliqué ainsi :
• La bande de papier représente le domaine de travail. Selon le niveau d’analyse considéré, chaque carré de la bande papier peut correspondre soit à une cellule de la matrice à travers les deux hiérarchies soit à une affordance spécifique à l’intérieur d’une seule cellule de la matrice.
• Les symboles sur la bande de papier correspondent à l’état des affordances du domaine de travail. Cet état est la valeur de l’affordance en relation au but de la tâche. À un niveau très général d’analyse, c’est possible de considérer que toute affordance peut transmettre un état satisfaisant (« 1 »), un état non satisfaisant (« 0 »), ou un état qui n’est pas pertinent (« # ») pour une tâche donnée.
• Les symboles lus sur la bande de papier représentent la perception des affordances du domaine de travail par l’agent, i.e. l’opérateur humain avec l’aide d’outils ou machines.
Les mouvements de la bande de papier dans le formalisme de Turing peuvent ou peuvent ne pas être transcrits dans la méthode TMTA. Si l’analyste suppose que l’agent est capable de percevoir l’ensemble du domaine de travail à un niveau d’abstraction donné d’un seul coup d’œil, alors il n’y aura pas de mouvement d’une case à l’autre. La bande de papier est fixe. Si, par contre l’analyste suppose que l’agent a accès à seulement un sous-ensemble du domaine de travail à la fois, alors il est nécessaire de modéliser le déplacement de la bande par l’agent, à partir d’un cas à l’autre. Ces mouvements peuvent correspondre aux mouvements réels de l’agent. Les symboles écrits sur la bande de papier représentent des changements dans l’état des affordances. Ces changements peuvent être produits par les actions de l’agent. Mais, en raison de nouveaux événements dans l’environnement, les symboles peuvent changer sans aucune action de l’agent. Les événements dans le domaine de travail peuvent changer d’une manière ou d’une autre les valeurs des affordances. Nous supposerons que l’agent cherche à donner aux affordances un état satisfaisant. Cela signifie écrire le symbole « 1 ». Les actions de l’agent appartiennent à un registre a priori défini à partir des capacités de l’agent et des instruments.
• Les états de la machine de Turing représentent les états mentaux de l’agent. Cherchant à assurer un contrôle cognitif sur le domaine de travail, chaque état se réfère à un niveau de la hiérarchie d’abstraction à un moment donné. Grâce à ces états mentaux, l’agent perçoit le domaine de travail à travers un point de vue particulier. Les transitions d’un niveau d’abstraction à un autre correspondent à une navigation mentale qui enrichit les modèles mentaux de l’agent.

Simulation par TMTA

Théorie

Comme pour la technique de la boite noire pour vérifier et valider un domaine de travail, l’utilisation de TMTA pose un scénario d’entrée, une séquence de tâches de sortie et un ensemble de règles de transformation du scénario en une séquence de tâche. Le scénario d’entrée peut être un texte produit par un expert renvoyant à un évènement imaginé ou à des événements réels. Évidemment, le scénario ne devra pas avoir été utilisé pour concevoir le modèle de domaine de travail. La séquence de tâches en sortie peut être représentée par un tableau comprenant les colonnes suivantes : étapes dans la séquence de tâche, scénario d’événement décrit à chaque étape, tous les composants de la hiérarchie d’agrégation dans laquelle les affordances et leur valeur peuvent être perçues par l’agent, les états actuels de l’agent renvoyant à un niveau de la hiérarchie d’abstraction, le niveau suivant dans lequel l’agent ira mentalement, et enfin les actions réalisées par l’agent. Chaque ligne du tableau décrit une étape de la séquence de tâche. La Figure 50 illustre le principe de la simulation TMTA.
Les règles pour spécifier une séquence de tâche sont les suivantes. Considérer que chaque affordance d’un domaine de travail peut prendre une des trois valeurs suivantes {0, 1, #} selon son état pour un scénario de tâche donné ; cela rend possible de déterminer l’état ou le sous-état d’un ensemble ou sous-ensemble d’affordance dans le domaine de travail à un moment donné.
L’assignation de valeur aux affordances est faite de manière incrémentale. Premièrement, pour un niveau d’abstraction donné, les affordances pertinentes qui peuvent prendre les valeurs « 0/1 » dans chaque cellule d’agrégation seront sélectionnées en fonction des événements qui se produisent dans la situation. Par défaut, toutes les affordances non sélectionnées prendront la valeur « # ». Pour plus de commodité, les affordances non pertinentes ne seront pas représentées dans le tableau de séquence de tâches. Au début d’un scénario, le niveau d’abstraction de départ sera celui des objectifs fonctionnels. Si au moins une des affordances sélectionnées est dans un état insatisfaisant (« 0 »), alors l’agent devra aller vers le niveau d’abstraction situé juste en dessous, i.e. le niveau des fonctions abstraites après les objectifs fonctionnels. Les actions faites par l’agent pour réguler cette situation seront aussi décrites. Nous considèrerons que normalement seulement une seule action est associée à une étape du scénario.
À un niveau d’abstraction donné, si toutes les affordances pertinentes au niveau des formes physiques satisfont le but de la tâche alors l’agent revient au niveau des objectifs fonctionnels. Si la simulation du scénario est bloquée à une étape, alors cela peut vouloir signifier que le modèle du domaine de travail doit être repris en termes de validation ou de vérification. Nous allons à présent illustrer l’application de cette méthode sur un système d’eau douce à bord d’un navire.

Cadre d’application

Nous présenterons tout d’abord un domaine de travail intentionnel inspiré de précédentes analyses ((Birrell, Young, Jenkins, & Stanton, 2012), (Nam & Myung, 2007), (Stoner, Wiese, & Lee, 2003)). Puis nous aborderons un domaine de travail causal sur un système d’eau douce sanitaire embarqué à bord d’un navire qui servira par la suite de cadre expérimental à la recherche portant sur le flot de conception Anaxagore. Ce choix de cadre d’application prend son origine du fait de la prédominance originelle des activités marine du groupe Segula Technologies sur le site de Lorient (56).

Un domaine intentionnel : La conduite automobile

L’application de la TMTA sera illustrée à travers la simulation d’un scénario d’incident de voitures. Nous présenterons tout d’abord le domaine de travail de la conduite automobile.

Analyse du domaine de travail pour la conduite automobile (Tableau 11)

Pour l’objectif fonctionnel du système global de conduite, de multiples conflictuels objectifs comme la sécurité, l’efficience, le plaisir de conduire, peuvent être considérés. L’objectif fonctionnel du sous-système «zone de voyage » est pour le véhicule de bouger les roues qui transportent les passagers et les équipements associés. En accord avec Burns et al nous n’avons pas proposé d’ensembles définis d’objectifs fonctionnels pour le sous-système « nature ». Nous avons donc décidé d’indiquer la présence ou l’absence de ce sous-système. Les fonctions abstraites pour le système global comprend freiner à temps afin d’éviter la collision, l’équilibre entre risque pris et gains associés avec cela et l’équilibre entre coûts en énergie et performance en terme de vitesse. La zone de voyage est gouvernée par les règles du code de la route et les règles de sécurités liées aux voyages. Les fonctions abstraites du sous-système « nature » correspondent aux notions de masse et d’énergie impliquées dans la nature, la météorologie et aussi les lois gouvernant la vie dans un écosystème incluant les plantes, les animaux et les humains. Enfin le sous-système « véhicule » est régi par les principes de la conservation et de la transformation de l’énergie, l’équilibre des forces et des masses en mouvement.
« Le chemin » ou la route choisie peut être considéré comme l’affordance clé pour le système dans son ensemble au niveau des fonctions généralisées. Concernant le sous-système « zone de voyage », les processus sont les routes, les contraintes de trajectoires et de vitesses, les intentions des autres conducteurs, le Code de la route ou les usages entre les conducteurs par exemple l’utilisation d’appel de phare pour avertir un autre conducteur d’un danger imminent. Le sous-système «environnement naturel » est fait d’un ensemble de processus de changement météorologique tels que la lumière du soleil, le vent, la présence de nuage, la pluie, la neige, la grêle… Pour le sous-système véhicule, la dynamique du véhicule, la propulsion et l’énergie consommée sont les principaux composants du niveau des fonctions généralisées. En termes de fonctions physiques, le système dans sa globalité peut être vu comme un ensemble d’évènements spatiaux temporels tels que le point de départ du conducteur, son point d’arrivée ou encore les étapes entre les deux. « La zone de voyage » contient au niveau fonction physique les spécificités des types de routes rencontrées, ainsi que la dynamique et les caractéristiques des obstacles et équipements rencontrés sur le chemin. Le sous-système nature se compose d’un ensemble de variables fonctionnelles telles que la luminosité, la vitesse et la direction du vent, la nébulosité, la pente de la route, ou les mouvements d’un animal. Le sous-système « véhicule » se compose des affordances sur la position relative du véhicule, sa vitesse, sa direction, l’état fonctionnel du véhicule et les capacités du moteur. Ces variables prennent finalement la forme au niveau des formes physiques, pour le système dans sa globalité de l’état de la situation du trafic avec les voitures, les camions, deux roues ou encore les piétons. Pour le sous-système
« environnement naturel », les affordances prennent la forme d’un paysage avec des conditions climatiques, la présence ou l’absence d’animaux. Enfin les affordances, au niveau forme physique pour le véhicule s’apparente à un volume particulier avec une forme et des dimensions précises.

Un scénario simulé : l’évitement d’un animal

Le scénario simulé dans la suite sera celui d’une tentative d’évitement d’une collision sur la route (Van Elslande, Jaffard, Fouquet, & Vatonne, 2008). Un conducteur conduit sur une route de campagne et soudain perçoit un chien courant et traversant la route de manière perpendiculaire au véhicule. Dans un premier temps le conducteur freine. Cependant cette première action n’est pas suffisante alors le conducteur tente une manœuvre d’évitement par la voie de gauche. La manœuvre est un succès et la collision est évitée.

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