Un couple de travailleurs amoureux et complices
Lana et le Théâtre
Lana Marconi joue peu au théâtre car Guitry se fatigue de plus en plus. Il a des problèmes de mémoire avec Deburau et dans sa dernière pièce, Palsambleu, il se fait disparaitre pendant deux actes afin de pouvoir se reposer. Néanmoins, de 1948 à 1953, elle crée avec lui sept pièces : Le Diable boiteux en 1948, Aux deux Colombes en 1948, Toa en 1949, Tu m’as sauvé la vie en 1949, Une Folie (ex Un monde fou) en 1951, Palsambleu en 1953, Ecoutez bien, messieurs (ex Toâ) en 1953. Quatre de ces pièces furent filmées par Sacha et nous y analyserons plutôt les rôles tenus par Lana lorsque nous parlerons du cinéma.
Etude de cas : Une Folie (1951)
Acte I Jean–Louis (Jacques Morel) et Missia (Lana Marconi) viennent consulter le docteur Flache (Sacha) qui est psychiatre car ils pensent l’un et l’autre que leur conjoint est fou. Flache tombe amoureux de sa cliente et, elle, du médecin. Mais Le docteur Flache est sur le point de partir pour le Midi. Il vend sa maison à Jean-Louis et s’en va. Acte II : Jean Louis, nouveau propriétaire, s’installe dans la maison de Flache et demande à une tapissière Mademoiselle Putifat de transformer sa décoration, mais on apprend que Flache va revenir. Acte III : Flache revient mais il est amnésique et il oublie qu’il a vendu sa maison et pris sa retraite. Il se réinstalle donc dans son ancienne maison et prend Mademoiselle Putifat pour une patiente. Il retrouve la mémoire en revoyant Missia et conseille à Jean-Louis, pour s’en débarrasser, de prendre Mademoiselle Putifat pour maîtresse. Acte IV : Jean-Louis épouse Misia qui est furieuse de s’être laissé convaincre. Ils se détestent désormais et Flache leur conseille de divorcer. Il retournera dans le midi avec Missia, ce qui est une folie car il est âgé, mais il veut jouir de la vie car la vieillesse approche. Une folie est l’histoire d’un couple mal assorti que leur psychanalyste (qui commet ainsi « une folie », vu son âge), aide à se séparer en séduisant sa jeune patiente. C’est aussi le procès de l’institution du mariage qui étouffe les êtres et les déséquilibre, dit Guitry, au point qu’ils sont contraints d’avoir recours à la psychanalyse.
Ecriture
Cette pièce est une reprise d’Un monde fou qui fut la dernière œuvre à laquelle participa Jacqueline Delubac en 1938. Mais la distribution est assez différente. Ainsi, le rôle de Delubac a disparu avec la fin de son mariage avec Sacha Guitry. L’auteur retirait en effet à Jacqueline sa célèbre élégance, nous l’avons vu, en lui confiant le rôle ingrat d’une femme qui ne rêve que de se transformer en homme et consulte un psychiatre à ce sujet. Le personnage joué par Jacqueline Delubac a donc disparu mais Missia qui la remplace affiche une brutalité virile et porte des « culottes » à sa place. C’est elle (Lana Marconi) qui invite Flache à s’asseoir alors qu’il la reçoit dans son propre bureau et elle qui lui conseille de jouir de la vie. Elle remplace aussi son psychiatre, lors du test qu’il lui demande de faire. Autre changement, Guitry a changé d’emploi. Il ne joue plus le rôle de l’amant (Jean-Louis) qu’il interprétait dans Un monde fou (1938). Il devient le docteur Flache, plus séduit que séducteur, qui cède volontiers aux viriles propositions de la tourbillonnante Missia mais évoque plusieurs fois sa vieillesse proche. Ce dernier amour est une folie, Flache le sait mais il a très envie de la commettre. Le docteur joué cette fois-ci par Guitry redoute la vieillesse comme son créateur. Son idylle avec Missia rappelle la « folie » que l’auteur vient de commettre avec Lana Marconi. C’est un des derniers rôles de séducteur (fané) de Sacha Guitry. L’action du quatuor des personnages principaux (Flache, Missia, Jean-Louis et Putifat) est commentée par Valentine, l’assistante du docteur qui intervient souvent (et longuement !) et dont nous connaissons les amours et la maladie.
Missia: une femme forte
Missia possède, comme Lana Marconi, une très forte personnalité. A peine arrivée dans le cabinet du docteur, elle l’invite à s’asseoir, congédie l’infirmière et parle intarissablement367 . C’est elle et non Guitry qui prononce le célèbre monologue fluviatile destiné, comme la toile d’une araignée, à capter celui qui lui plaît. Flache dit alors à Jean-Louis, « qu’ il lui a été impossible d’ouvrir la bouche368 », ce qui est un comble pour l’auteur du célèbre monologue propitiatoire de Faisons un rêve. C’est, de toute évidence, la femme qui séduit Flache et qui l’embrasse. C’est elle qui l’incite explicitement à « jouir » et, lors du test, c’est très vite elle qui propose les mots auxquels il doit réagir. « Vous me psychanalysez, Madame369 », dit-il. Malgré son jeune âge, Lana Marconi a beaucoup de caractère et le personnage de Missia lui va comme un gant. L’autoritarisme n’est pas la seule ressemblance entre Missia et Lana Marconi. Comme d’habitude, Sacha utilise l’état civil de ses épouses. Ainsi, Missia avoue que sa mère était danseuse comme Mirela et que son père était un prince. Elle habitait Saint Pétersbourg (Mirela habitait Bucarest) et son père ne l’a pas reconnue car elle a beaucoup grandi mais « reconnaître » a ici un double sens. C’est à cause de Missia, personnage viril, que Guitry aborde le problème moderne du conflit des égos dans les couples. « Voilà un homme qui a peur de sa femme », se dit Flache en voyant Jean-Louis et il lui dit aussi « Un homme tel que vous ne doit pas être dominé physiquement par sa compagne » « Car, enfin », ajoutet-il, « n’êtes-vous pas vous-même un dominateur? ». On se souvient de Désirée Clary où Napoléon explique aux deux sœurs et à son frère Joseph que, dans un couple, l’un doit commander et l’autre pas. Désirée toujours hésitante, devra donc l’épouser et sa sœur autoritaire épousera Joseph qui n’avait pas « l’esprit de décision ».Filant la métaphore napoléonienne, Flache persuade Jean-Louis qu’il a du sang corse dans les veines et il s’exprime comme un vrai macho : « Ayez auprès de vous une Joséphine », et dites –lui « Lève-toi, couche-toi, fais ça, va là, tais-toi ! En un mot : Obéis! ». Un dernier problème est suscité par la présence de Missia dans la vie de Flache : celui de la différence d’âge qui préoccupe Valentine (et aussi Guitry) : « Vous ne la trouvez pas un peu jeune? » dit-elle de Missia. Missia lui dit qu’il est « un beau vieillard » et elle n’aime que les « derniers portraits vivants d’une époque révolue». Flache se propose donc de l’adopter ce qui est une réaction classique chez Guitry qui l’a déjà proposé, dans la vie, à Geneviève de Séréville et à Jacqueline Delubac
Lana birmane : Palsambleu (1953)
Cette pièce a pour personnage principal un centenaire insupportable interprété par Guitry. Lana Marconi y est sa belle-fille birmane avec laquelle il n’a qu’une union …en rêve. La réalité est bien différente, à la fois dans la vie et dans la pièce car Guitry est déjà très malade et ne pourra bientôt plus jouer. La même année 1953, dans Ecoutez bien, Messieurs, le couple crée une nouvelle version de Toâ pour deux représentations londoniennes. Ils jouent ensemble au théâtre pour la dernière fois.