Cours un chemin parsemé d’embuches, tutoriel & guide de travaux pratiques en pdf.
Vers la liste priorité : un chemin parsemé d’embuches
En novembre 2014, notre participante reçoit sa première offre de contrat par le biais des ressources humaines alors qu’elle est inscrite sur la liste d’attente. D’une part, elle ne se sent pas suffisamment qualifiée pour accepter l’offre. D’autre part, cela l’embête de refuser puisqu’aucune règle n’exige de sa commission scolaire de lui octroyer un contrat par la suite. Par cette offre d’emploi, on constate une discordance entre les compétences acquises de la participante et les besoins du milieu scolaire.
Deux semaines plus tard, j’ai été appelée pour un contrat qui n’est même pas dans mon champ, c’est en francisation, je pense que c’était un 60 % de tâche dans comme huit écoles. Là, j’ai pris un 10 minutes pour réfléchir, là j’ai rappelé pour dire que bon ce n’était pas dans mon champ, je me sentais plus ou moins à l’aise de le faire. (….) Ils ne sont pas obligés de m’appeler, ma place n’est pas garantie donc j’ai refusé en lui expliquant bien que (…) oui, c’est ça, que je voulais, mais que je n’étais peut-être pas la personne pour ce contrat-là.
Heureusement, on lui offre quelques jours plus tard un contrat dans son champ de compétence. L’enseignante accepte ce contrat qui marquera son parcours de manière significative. Premièrement, le contrat de huit mois dans une classe de sixième année permet à la participante l’enclenchement du processus de probation locale. Comme elle réussit sa probation locale, la participante se qualifie alors pour la liste de priorité en vertu de l’entente entre la commission scolaire et le syndicat local (CS, 1999 et suivantes).
Cette adhésion est soulevée comme un gain des plus importants chez l’enseignante.
Rendu là c’est comme, c’est comme de la ouate, dans le sens que tu as comme ta place assurée. Ils passent par toi s’il y a un contrat. Tu es pas mal sûr à je ne sais pas combien de pourcent d’avoir quelque chose, d’avoir un certain choix aussi là quand tu vas au bassin. Donc, tu n’es plus à la merci des appels et de l’angoisse de si je dis non elle me rappellera pas. (….) De la sécurité, du choix, de la stabilité (…) je savais que je ne ferais plus nécessairement du remplacement. Donc, tout ça ensemble fait que la liste de priorité c’est, c’est le haut de la montagne à atteindre.
Deuxièmement, l’expérience de l’enseignante en insertion professionnelle lors de ce contrat aura des répercussions quant à son avenir professionnel. D’abord, l’enseignante pense maintes fois à abandonner la profession durant cette période. Elle ne se sent pas bien au travail et ne pense alors qu’à rester pour atteindre la liste de priorité.
Ah, au moins, au moins deux, trois fois par semaine. Vraiment, ouais, la route était très longue pour revenir chez moi, donc, le nombre de fois où je suis revenue en pleurant me disant : « Je vais lâcher ça, je vais faire autre chose de ma vie. » (….) Mon chum, il trouvait que j’avais changé, je broyais du noir et que je n’étais vraiment plus moi-même. C’est lui qui m’a « shaké » et qui m’a dit : « OK là, ça ne marche plus, il faut faire quelque chose. C’est là que j’ai pris conscience que ça avait pris beaucoup de place pour ma santé mentale, c’était pas nécessairement très, très sain.
Oui, c’est sûr de me dire au moins j’ai un contrat mon but c’est de survivre, mon but c’est d’arriver à la fin de l’année puis l’année prochaine déjà ça va être beaucoup mieux. Je vais aller au bassin, je vais prendre des milieux peut-être qui me conviennent un peu, qui me conviennent.
Ensuite, son expérience, qu’elle juge très épuisante, l’amène à remettre en question ses compétences professionnelles. Tellement, qu’après avoir terminé ce contrat, elle décide de faire une pause de l’enseignement, ne se sentant pas prête à retourner sur le marché du travail, et entame des études de deuxième cycle afin de s’outiller davantage à la réalité du milieu et même de s’ouvrir des portes vers des emplois liés au domaine de l’éducation.
Donc, d’être confronté à cette réalité-là avec cette clientèle-là, avec ces élèves qui ont des difficultés de comportements et d’apprentissage particulières et de se rendre compte au fond qu’on est zéro formé pour ça, d’apprendre sur le tas, de se sentir incompétente par rapport à certaines réactions, par rapport à certaines choses. Donc, tout ça je voulais aller me former davantage pour me sentir plus compétente, pour être mieux outillée pour les aider aussi là.
Je m’en allais là en me disant que je n’étais pas prête à reprendre une classe ou à reprendre un contrat paradoxalement au fait que j’avais tellement hâte d’arriver sur la liste parce que ce que j’avais vécu, je ne m’en étais pas encore remis, donc j’ai fait le choix de me mettre non disponible pour études et d’aller à temps plein pour faire un D.E.S.S. pour aller me former davantage plutôt que de reprendre une classe parce que je ne me sentais pas prête à retourner sur le plancher.
Pour mieux me former, mais aussi m’ouvrir des portes là. Ouais, peut-être bifurquer orthopédagogue. Je pense que la tâche est moins lourde étant donné que c’est un suivi d’élèves et non ta classe avec 25 élèves. Sinon ça va être, je pense que je veux rester dans le monde de l’éducation, mais trouver quelque chose peut-être de moins exigeant donc SEJ (Services éducatifs des jeunes), ministère, etc.
En janvier 2016, la participante a en tête de poursuivre à temps plein ses études de deuxième cycle. Or, elle apprend l’existence d’une offre dans une classe de troisième année dans son école de stage IV. La participante entreprend alors des démarches auprès de sa commission scolaire afin d’obtenir le contrat. Elle y parvient.
Je suis allée m’informer voir si c’était possible d’enlever mon statut de non disponible pour études et de regarder si j’étais la plus haute sur la liste afin de l’obtenir. Ce qui a été le cas, donc, j’ai été chanceuse.
La connaissance du milieu de travail apparait chez la participante comme un élément déterminant dans cette situation, mais également en ce qui concerne ses choix relatifs à la division du travail au fil de son parcours professionnel. En effet, l’année scolaire suivante, l’enseignante travaillera toujours dans son école de stage IV25. De septembre à décembre, elle poursuivra ses études tout en faisant un contrat à la leçon en MACC et de janvier à juin, elle travaillera à temps plein dans une classe de sixième année. Elle obtient ce dernier contrat en janvier 2017 de la même manière qu’en janvier 2016 : “encore une fois disons qu’une classe que je voulais dans mon milieu est passée et j’étais la plus haute sur la liste donc je l’ai eue.”
Elle explique ainsi pour quelles raisons elle préfère travailler à la même école.
C’est déjà un milieu que je connaissais donc je partais avec une longueur d’avance. (….) Ouais, en fait c’est tout ce qui entoure. Le fait de connaitre déjà l’école, connaitre déjà l’équipe-école, connaitre la direction, connaitre le fonctionnement de l’école, connaitre tout ça fait en sorte que c’est un stress de moins. On peut commencer déjà à être, à être “focusé” sur l’élève parce que tout ça, je me le suis déjà approprié, je suis déjà à l’aise. Ce qui fait que, quand on arrive dans une nouvelle école, ce n’est pas nécessairement le cas. On a tellement de choses à s’approprier que ça peut devenir assez rocambolesque.
En quête d’outils pour s’aider
Pour pallier les lacunes de sa formation initiale autant que celles de son insertion professionnelle, l’enseignante va à la recherche de ses propres outils : études supérieures spécialisées, formations continues, rencontres avec des conseillers pédagogiques, etc. En termes de formation, la participante a, entre autres, assisté à des ateliers de correction, des conférences dans le cadre du Rendez-vous des écoles francophones en réseau (REFER) et des formations portant sur les technologies de l’information et de la communication (TIC). Elle déplore toutefois l’accès de plus en plus difficile aux formations, et ce, particulièrement chez les enseignants qui n’ont pas une tâche pleine, ce qui est généralement le cas des enseignants en insertion professionnelle.
Je trouve que c’est vraiment enrichissant. Malheureusement, il y en a de moins en moins parce que les budgets de formation sont de plus en plus, plus petits. … Il faut choisir, souvent c’est les ateliers de correction pour les examens du ministère qui sont priorisés.
Quand j’ai fait la MACC, je n’y avais pas nécessairement le droit. Si je voulais y aller, il fallait que je m’arrange que ça tombe soit sur des après-midis, soit des journées pédagogiques où normalement je ne suis pas censée travailler. Il fallait que ça tombe comme sur mon temps personnel ou si ça tombait pendant le temps de classe, il fallait que je m’arrange pour reprendre mon temps, donc je n’étais pas libérée pour ça. Donc, c’était vraiment volontaire. Oui, le fait d’être à 100 %, je pense, c’est ce qui fait que tu peux être libérée parce que le reste là…
Relativement aux rencontres avec des conseillers pédagogiques, bien qu’elle les ait appréciées, elle aurait néanmoins souhaité connaitre cet outil plus tôt, soit avant sa dernière année d’éligibilité au programme d’insertion professionnelle de sa commission scolaire.
À la fin de l’année [scolaire], j’ai été mise au courant de ce programme-là. Et j’ai pu rencontrer la CP en français [conseillère pédagogique] pour m’aider dans la correction de productions écrites. (….) L’année suivante, donc de janvier à juin où j’ai eu une autre classe, c’est sûr que là je connaissais ce qui était déjà en place. Aussi, ma direction m’en a parlé plus tôt dans l’année, donc n’a pas attendu à la fin de l’année pour m’en parler. Donc, j’ai rencontré, cette année-là j’ai rencontré, celle en math.
Offert également dans le cadre du programme d’insertion professionnelle, le dispositif de mentorat est un outil pour lequel la participante avait un intérêt, mais dont la mise en place n’a malheureusement pas été possible pour des raisons qui semblent d’ordre logistique : “Non cette année-là, ça n’a pas adonné. L’année suivante non plus, donc c’est comme tombé dans l’eau. Tombé à l’eau.”
Les collègues : facteur de protection
La communauté joue un rôle prépondérant dans l’expérience d’insertion professionnelle de la participante. “Les collègues, les pairs, les gens autour nous”, voilà ce qui a favorisé l’insertion sur le marché du travail de l’enseignante, voire sa persévérance :
“Heureusement, j’avais des collègues en or qui m’aidaient beaucoup. Si ça n’avait pas été d’eux, je ne serais peut-être même plus en enseignement présentement. Donc, ils étaient là pour me soutenir, m’aider, pour me donner des trucs.”
Même quand on revient à sa formation initiale, ses pairs ressortent comme seul élément positif.
Finalement, je pense que ce que j’ai apprécié de mon BAC c’est les rencontres que j’ai faites parce que ces gens-là, c’est les gens qu’on croise dans les écoles et c’est les gens avec qui on avait parlé, tsé le fameux bouche-à-oreille, c’est ces gens-là.
La participante a aussi apprécié une aide ponctuelle de sa direction.
Et c’est tombé aussi avec le fait que ma direction a vu ce que je vivais et a décidé de me donner du soutien. C’est là que j’ai commencé à respirer et à me sortir la tête de l’eau et j’ai fait comme OK on va s’en sortir.
À l’inverse, le portrait qu’elle trace de la commission scolaire révèle plutôt un rôle d’acteur de la communauté n’ayant pas favorisé l’insertion de la nouvelle enseignante, ne fournissant pas, notamment, les outils encadrant une bonne insertion. L’enseignant souligne que le manque d’informations reçu par sa commission scolaire a même nui à son insertion professionnelle, précisant qu’il ne s’agit pas d’un manque de ressources, mais d’une inaccessibilité à celles-ci due à une pauvre communication entre l’employeur et ses employés, “deux mondes distincts” qui ne se parlent pas beaucoup. Le prochain extrait illustre le manque de communication auquel elle a été confrontée.
Ce qui a nui à mon insertion professionnelle. Je pense que c’est ça, c’est le manque d’informations, là je dis manque de ressources, mais ça a l’air qu’il y a des ressources qui sont là c’est juste qu’on ne le sait pas. (….) Je pense que l’information ne nous est pas communiquée ou elle est communiquée, mais de manière tellement discrète que ce n’est jamais venu à moi.
La commission scolaire serait également en partie responsable de deux difficultés que nomme la participante et qui touchent en majorité les enseignants en insertion professionnelle : la lourdeur de la tâche en sixième année et les changements fréquents de niveau scolaire. Les règles liées à l’exercice de sa profession semblent donc lourdes à exécuter.
Une bonne gang d’entre nous on commence au troisième cycle. (…) Il y a l’anglais intensif qui n’aide pas. Parce que les enseignants trouvent que c’est une lourde charge de travail, ils trouvent que faire la sixième année dans un cinq mois ou un huit mois, ce n’est pas assez, donc vont aller dans un autre niveau. Ou la sixième régulière : beaucoup d’enseignants trouvent que c’est trop lourd, la correction, les examens du ministère, la fin d’année, etc. Donc vont préférer aller dans un autre niveau ce qui fait que les nouveaux d’entre nous, on a beaucoup de place en sixième année, beaucoup.
Oui, bien on est encore à l’époque où on n’a pas de poste, donc on ne peut pas dire, moi je suis tout le temps en six ou tout le temps en trois ou tout le temps en quatre. Donc, de toujours recommencer à nouveau c’est que c’est lourd. Tout recommencer, oui je peux réutiliser l’année suivante ou les autres années si j’ai encore une classe de ce niveau-là, mais ce n’est jamais garanti.
La figure 21 présente la frise chronologique retraçant le parcours de la participante 3 de la fin de son baccalauréat à aujourd’hui.