UN CHANGEMENT D’ECHELLE ET DE CLIMAT POLITIQUE 1996-2012
PRESENTATION DES DISPOSITIFS « PERISSOL », « BESSON », « ROBIEN », « BORLOO » ET « SCELLIER »
La période 1996-2012 a vu se succéder cinq ensembles de dispositifs : le « Périssol », voté au Parlement au printemps 1996 pour une mise en place effective à partir du 1er janvier 1996 ; le « Besson », entré en vigueur le 1er janvier 1999 et voté dans le cadre de la loi de finances pour cette année-là ; le « Robien », qui a été créé par la loi Urbanisme et Habitat du 2 juillet 2003 avec un effet rétroactif au 1er janvier 2003 ȋà l’instar du « Périssol ») ; le « Robien recentré » et le « Borloo populaire » effectifs à partir du 1er septembre 2006, le premier des deux dispositifs résultant d’une transformation du « Robien » ; le « Scellier » et le « Scellier intermédiaire », entrés en vigueur le 1er janvier 2009 et adoptés dans le cadre de la loi de finances pour cette même année. a) Caractéristiques des dispositifs A la différence des dispositifs antérieurs, le « Périssol », le « Besson », le « Robien » Hclassique ou recentré) et le « Borloo populaire » ne reposent pas sur le principe de la déduction fiscale forfaitaire mais sur un système d’amortissement. Ce système permet pendant plusieurs années à l’investisseur de déduire de ses revenus fonciers un pourcentage du prix d’acquisition du bien. Ceci génère alors un déficit Hou éventuellement un moindre bénéfice), et donc une diminution du revenu imposable global. L’économie d’impôt en résulte. Le « Scellier », en revanche, a abandonné ce système d’amortissement au profit d’une réduction d’impôt proportionnelle au prix de revient, étalée sur neuf ans et reportable Hsix ans). Ce mécanisme, très simple, a donné à la mesure une grande lisibilité. En dehors de ce principe, les caractéristiques des différents dispositifs sont les suivantes : le dispositif « Périssol » permettait d’amortir 10% du prix d’acquisition du bien chaque année pendant quatre ans, puis 2% pendant les vingt années suivantes Hsoit 80% sur vingt-quatre ans). En outre, le déficit foncier Hque le mécanisme d’amortissement provoquait) a vu son plafond relevé de 10.700 euros à 15.300 euros. L’aide fiscale était donc substantielle, y compris pour des logements dont les prix étaient élevés. En termes d’exigences publiques, le « Périssol » n’imposait aucune contrepartie sociale aux investisseurs. Il était par ailleurs possible de louer son bien à un parent n’appartenant pas au foyer fiscal et de signer des baux de location à titre de résidence secondaire. La 89 mesure fiscale s’accompagnait uniquement d’un engagement de location de 9 ans. Le dispositif s’est éteint le 31 août 1999 ; le dispositif « Besson » a fortement réduit le montant de l’aide fiscale. Le niveau de l’amortissement est en effet passé à 8% du prix de revient les cinq premières années et à 2,5% les quatre années suivantes Hsoit un amortissement cumulé de 50% sur neuf ans, contre 80% avec le « Périssol »). En outre, le plafond du déficit foncier a été ramené à ͳͲ.ͲͲ €. Deuxième changement majeur, des contreparties sociales ont été imposées aux investisseurs : ces derniers devaient s’engager à louer leur bien immobilier au-dessous d’un certain niveau de loyer et à sélectionner des locataires dont les revenus étaient inférieurs à un plafond. Pour ce faire, un zonage distinguant quatre zones a été créé en fonction de la taille des agglomérations : zone I bis HParis et les communes limitrophesȌ, zone ) ȋreste de l’)le-de-France), zone II Hagglomérations de plus de 100.000 habitants), zone III Hreste de la France). Les biens produits correspondaient alors à des logements intermédiaires Hse situant entre le logement social et le secteur libre) et accessibles à une très large majorité de la population HFigure n°15 pour les loyers maxima et Figure n°19 pour les plafonds de ressources, ces derniers étant aujourd’hui identiques à ceux du « Scellier social »). Les investisseurs s’engageaient par ailleurs à proposer le logement en location nue, à titre d’habitation principale, pendant neuf ans et devaient le louer à une personne qui n’appartenait pas à leur foyer fiscal et qui n’était ni leur ascendant, ni leur descendant. Notons que si le propriétaire bailleur continuait à respecter les engagements initiaux au-delà des neuf ans, la durée de l’amortissement pouvait être prorogée de deux fois trois ans, avec un amortissement supplémentaire de 2,5% par an.
LE « ROBIEN » PRIVILEGIE UNE LOGIQUE QUANTITATIVE DE PRODUCTION
La mise en place du « Robien » L’alternance politique de 2002 marque le retour au pouvoir d’un gouvernement de droite, dirigé par Jean-Pierre Raffarin. Dès ʹͲͲ͵, le ministre de l’Equipement, Gilles de Robien HFigure n°28), propose une révision du dispositif « Besson ». Alors que cette révision ne change pas la forme de la mesure fiscale ȋil s’agit toujours d’un système d’amortissement, dont le niveau et l’étalement dans le temps demeurent inchangés), celle-ci révèle néanmoins un profond clivage gauche-droite sur les attendus de l’Etat. Produire un maximum de logements locatifs privés devient prioritaire aux dépens du ciblage sur le secteur intermédiaire. 103 Figure n°28 : Gilles de Robien Hici en 2006) Source : http://sectionlbamiens.centerblog.net/, février 2012 En supprimant la contrainte des plafonds de ressources sur les locataires et en augmentant les niveaux maxima de loyer, Gilles de Robien privilégie en effet un objectif quantitatif de production. L’enjeu est de construire un maximum de nouveaux logements locatifs privés en limitant les exigences publiques. Si, « pour la gauche, l’avantage fiscal devait être conditionné à des contreparties sociales, en l’occurrence la production de logements intermédiaires, pour la droite, ces contraintes sont avant tout considérées comme des freins à l’investissement privé ȋnotamment les plafonds de ressources pour les locataires) » Hentretien n°20 avec un ancien membre de cabinets ministériels, juillet 2011). La priorité pour le nouveau gouvernement est donc « de relancer l’offre locative en faisant appel aux capacités d’épargne de ceux qui ont des disponibilités : ils rendront ainsi un vrai service à leurs concitoyens » HGilles de Robien, ministre de l’Equipement, devant l’Assemblée nationale le ͵ avril ʹͲͲ͵Ȍ. En remontant les niveaux maxima de loyers, le ministre de l’Equipement espère également réorienter la production des logements vers les zones où les marchés locatifs sont les plus tendus. Gilles de Robien illustre ce point à plusieurs reprises : « Nous manquons de logements étudiants et de logements locatifs dans les grandes villes, où le foncier est cher. Nous voulons débloquer la situation. Ce faisant, nous allons libérer des appartements HLM, actuellement occupés par des familles qui devraient pouvoir se loger sur le marché locatif. Le dispositif Besson a fait son temps. Il a eu quelques effets positifs, mais les statistiques montrent qu’il devient de moins en moins efficace parce qu’il n’est plus adapté à la réalité » HGilles de Robien, ministre de l’Equipement, devant l’Assemblée nationale le 3 avril 2003) ; « La situation est grave – parfois très grave – dans les grandes agglomérations, notamment l’agglomération parisienne. On ne trouve plus que très peu de logements à louer et moyennant des loyers de plus en plus élevés. Cette pénurie 104 oblige les jeunes à rester chez leurs parents, même ceux qui souhaiteraient vivre de façon autonome. Les cadres en mobilité professionnelle ne trouvent plus de logement à un prix abordable. La pénurie se répercute par effet de chaîne sur les ménages modestes, qui se trouvent en compétition avec des familles aisées et n’ont plus d’autre choix que de gonfler les files d’attente des demandeurs de logement HLM. A terme, le dynamisme économique de notre pays pourrait en pâtir. Des élus de toutes tendances m’ont récemment parlé d’une région touristique où l’absence totale d’offres de logement locatif menace les activités touristiques. Ne trouvant pas à se loger, les travailleurs saisonniers hésitent à accepter un emploi dans cette zone » HGilles de Robien, ministre de l’Equipement, devant l’Assemblée nationale le ͵ avril ʹͲͲ͵). Cette volonté de ciblage sur les zones tendues se traduit également par une révision des zonages, qui intègrent désormais un critère de tension du marché. Par exemple, la Côte d’Azur et le Genevois rejoignent l’agglomération parisienne dans la première catégorie Hla zone A). Le « Robien » poursuit donc deux priorités : une relance quantitative de l’investissement locatif privé et une réorientation de cette production vers les zones tendues. Au bout du compte, le passage du « Besson » au « Robien » révèle plusieurs éléments. Tout d’abord, les enjeux de la politique nationale du logement semblent toujours prédominants par rapport à ceux de la régulation macroéconomique. En 2003, le secteur de la construction immobilière connait d’ailleurs une phase ascendante, et ce depuis 2ͲͲͳ. L’enjeu d’une relance de l’activité économique dans le bâtiment est donc peu évoqué par Gilles de Robien. En effet, même si cet argument est apparu dans le débat au Parlement, il le fut à une place secondaire : le 3 avril ʹͲͲ͵, jour de la discussion à l’Assemblée nationale, le ministre n’y fait qu’une seule allusion pour signifier son espoir de création de 10.000 à 15.000 emplois dans le BTP et il faut ensuite une exclamation d’un député de la majorité pour le rappeler H« c’est aussi de l’emploi ! », s’écrit Patrice Martin-Lalande, député de la majorité du Loir-et-Cher, à l’Assemblée nationale le 3 avril 2003). L’ambition quantitative du gouvernement est en fait justifiée par un argument qui relève non pas de l’économie mais de la politique du logement : le manque de logements locatifs, notamment dans les grandes agglomérations.