UN APPROFONDISSEMENT DE LA REGULATION DAN S LES GRANDES VILLES
RENNES : DES DISPOSITIFS FISCAUX INSTRUMENTALISES PAR LA COLLECTIVITE PUBLIQUE
Connue pour le caractère très interventionniste de la collectivité publique locale dans la production du logement, Rennes a été un premier terrain de recherche. a) Le contexte rennais : une collectivité locale historiquement interventionniste dans la production du logement i. Le contexte démographique L’aire urbaine rennaise (140 communes) se caractérise tout d’abord par un contexte démographique très dynamique. Depuis 199Ͳ, le rythme d’augmentation de la population est l’un des plus élevés de France métropolitaine : +1,3% en moyenne annuelle entre 1990 et 2007, ce qui représente la troisième progression de population après Toulouse et Montpellier. Au 1er janvier ʹͲͲ, l’aire urbaine rennaise comptait ainsi 577.680 habitants. L’unité urbaine (10 communes dont Rennes) a, quant à elle, connu une dynamique démographique moindre au cours des années 2000 (+0.4% en moyenne annuelle entre 1999 et 2007). Au 1er janvier 2007, sa population était de 281.734 habitants. Sur le plan institutionnel, le noyau de l’aire urbaine rennaise est la communauté d’agglomération de Rennes Métropole (composée de 37 communes). Elle compte 390.774 habitants. Le reste de l’aire urbaine est structuré en communautés de communes (Figure n°91). Figure n°91 : Aire urbaine, communauté d’agglomération et commune de Rennes Source : AUDIAR ii. Une politique de maîtrise de la production du logement Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, la commune de Rennes a affiché une volonté politique de « maîtrise publique » de la production du logement et de l’aménagement urbain. Et les années 1990-2000 ont été l’occasion d’un élargissement de cette philosophie politique de la ville-centre à l’ensemble de la communauté d’agglomération. Le vote du PL( intercommunal en ʹͲͲͷ a été l’acte politique majeur marquant ce changement d’échelle. C’est donc désormais 228 Rennes Métropole, et non plus seulement la commune de Rennes, qui porte la politique de régulation publique locale de la production du logement (entretien Rennes n°10 avec un élu, juin 2010). Concrètement, cette politique repose sur quatre axes : d’abord, la maîtrise foncière. Depuis plus de cinquante ans, la collectivité pratique l’anticipation foncière et acquiert beaucoup de foncier public, ce qui lui a permis de contrôler directement la production des logements sur une grande partie du territoire et d’avoir un poids substantiel sur les acteurs privés acquéreurs de terrains (les promoteurs notamment). Deux tiers des logements construits à Rennes sont ainsi produits à partir de foncier public (entretien Rennes n°10 avec un élu, juin 2010), ce qui représente un chiffre nettement supérieur à toutes les autres grandes agglomérations françaises. Et, pour le reste de la production, l’exercice du droit de préemption urbain peut être mobilisé ; l’existence de règles écrites, transparentes, inscrites dans les documents de planification stratégique. Aujourd’hui, le PL( de l’agglomération fixe par exemple un quota de ʹͷ% de logements sociaux dans chaque opération d’urbanisme de plus de ͵Ͳ logements. )l fixe des prix plafonds pour l’accession aidée et pour les ventes aux bailleurs sociaux ȋqu’il s’agisse d’un terrain ou de logements en VEFAȌ. )l oblige également à respecter des seuils de densité (entretien Rennes n°1 avec un agent de collectivité, mars 2010). La volonté de la collectivité s’exprime de manière explicite dans ses documents stratégiques, y compris ceux ayant une portée juridique ; les moyens financiers, en particulier ceux alloués au logement social et à la politique foncière. Le budget total du logement à Rennes Métropole est aujourd’hui de 40 millions d’euros annuels, auquel il faut ajouter millions d’euros pour la politique foncière (entretien Rennes n°10 avec un élu, juin 2010) ; enfin, l’établissement d’une culture locale partagée. Cette idée consiste à convaincre le plus largement possible de la pertinence de l’orientation politique rennaise en matière de régulation publique, de l’installer dans les représentations des acteurs locaux, de montrer ses atouts, notamment en période de crise, et son efficacité dans le temps long. Concrètement, la démarche repose sur des rencontres, des débats, des échanges réguliers avec les acteurs… )l n’est pas rare ainsi d’entendre des promoteurs locaux louer le modèle rennais : « à Rennes, la régulation publique peut être très utile pour les promoteurs, car, en période de crise, la collectivité publique les accompagne » (entretien Rennes n°8 avec un promoteur, avril 2010). Quand le marché est moins porteur, l’engagement public est en effet un moteur essentiel pour la promotion locale. 229 Les contraintes réglementaires en période de croissance apparaissent alors comme un prix à payer pour disposer d’un système d’amortissement en temps de crise.
LYON : LES DISPOSITIFS FISCAUX A L’ORIGINE D’UNE REGULAT)ON EN MATIERE DE TYPOLOGIE
La communauté urbaine de Lyon fait également partie de ces collectivités qui ont mis en place une politique de régulation publique locale de la production du logement indépendamment des dispositifs de défiscalisation. a) Le contexte lyonnais : l’émergence d’une régulation publique locale de la production du logement à partir de la question du logement social i. Le contexte démographique et institutionnel Géographiquement, la communauté urbaine de Lyon est le noyau de l’aire urbaine lyonnaise, qui est la deuxième aire urbaine de France, loin derrière Paris et à peu près au niveau de Marseille-Aix (1.757.180 habitants au 1er janvier 2007). L’intercommunalité est aujourd’hui composée de 58 communes (57 en octobre 2006 sur la figure n°96 ci-dessous). Au 1er janvier 2008, elle regroupait environ 1.266.000 habitants (Figure n°95 et Figure n°96). Figure n°95 : Les échelles du territoire lyonnais, de la communauté urbaine à l’aire urbaine Source : Agence d’urbanisme de Lyon, octobre 2006 235 Figure n°96 : Zoom sur le territoire du SCOT de l’agglomération lyonnaise Source : Agence d’urbanisme de Lyon ii. L’établissement d’un rapport de négociation avec les promoteurs dans les années 2000 C’est à partir du début des années ʹͲͲͲ que la politique de régulation publique locale de la production du logement s’est développée au niveau des communes et de la communauté urbaine. Dans un contexte de forte compétition pour le foncier et de hausse des prix immobiliers, le besoin de construire des logements sociaux, notamment dans les villes où la loi Solidarité et Renouvellement Urbains (SRU) s’appliquait ȋen clair, là où il fallait construire des logements sociaux pour atteindre le quota de 20%), joua un rôle clef dans le déclenchement de la dynamique. Ceci eut pour effet d’inciter les collectivités à mobiliser la promotion privée pour produire du logement social. Si l’idée avait déjà été évoquée au début des années 1990 sans grande traduction concrète, le contexte des années 2000 en a de fait produit l’opportunité et la nécessité : 236 L’opportunité tout d’abord, car l’expansion de la promotion privée était telle qu’elle pouvait absorber économiquement de nouvelles contraintes : « Entre 1990 et 2000, la promotion fonctionnait très moyennement. Donc, quand quelqu’un venait faire quelque chose, il ne fallait pas lui mettre de bâtons dans les roues. Mais, dans les années 2000, le contexte est devenu beaucoup plus favorable. Economiquement, on pouvait imposer aux promoteurs un quota de logements sociaux » (entretien Lyon n°4 avec un promoteur, juillet 2010) ; La nécessité ensuite, car avec la montée des prix fonciers, les communes ne parvenaient plus à générer une production directe de logements sociaux : « le formidable dynamisme de la promotion immobilière privée captait toutes les ressources foncières disponibles, notamment dans les communes visées par la loi SRU » (entretien Lyon n°3 avec un agent de collectivité, juillet 2010). Des quotas de logements locatifs sociaux ont donc été négociés dans les opérations privées et, petit à petit, chaque ville, en lien avec la communauté urbaine, a construit sa force de négociation. La force de négociation des communes vis-à-vis des promoteurs reposait au départ sur l’octroi du permis de construire. L’idée était de rencontrer les promoteurs en amont et de discuter avec eux de certains éléments du programme, essentiellement le pourcentage de logements sociaux prévus dans l’opération. « Une publicité assez large avait été faite sur ce que voulait la collectivité mais c’est opération par opération qu’une discussion s’engageait » (entretien Lyon n°3 avec un agent de collectivité, juillet 2010). L’exemple de la commune de Villeurbanne illustre les mécanismes qui structurent la discussion public-privé. Dans cette ville, depuis 2007, les opérations de promotion immobilière font en effet l’objet d’une discussion en amont sur les enjeux d’habitat, en particulier la question du quota de logements sociaux, et non plus seulement d’un examen de l’insertion urbaine et architecturale du bâtiment envisagé (entretien Lyon n°8 avec un agent de collectivité, juillet 2010). La commune négocie alors, en amont du permis de construire, un pourcentage de logements sociaux dans les opérations, pourcentage qui varie suivant l’attente politique dans le quartier où celles-ci se situent. En 2007, le quota allait de 10-15% dans certains quartiers jusqu’à ͵Ͳ% dans les secteurs les plus en déficit de logements sociaux (entretien Lyon n°8 avec un agent de collectivité, juillet 2010). Cette volonté de négociation avec les promoteurs est venue de deux évolutions : un renforcement des compétences techniques et des ressources cognitives à la disposition des élus ȋavec l’arrivée d’une nouvelle responsable du service habitat), qui a permis de faire prendre conscience à ces derniers des capacités de négociation de 237 la commune ; l’intégration de la ville dans le marché immobilier du cœur d’agglomération, plus attractif et donc plus cher en termes de prix au mètre carré : « Au milieu des années 2000, des promoteurs qui ne venaient pas traditionnellement à Villeurbanne sont arrivés et ont fait des produits plus chers. Il y a alors eu une montée fulgurante des prix fonciers et immobiliers. Villeurbanne s’est retrouvée en quelque sorte englobée dans le marché lyonnais » (entretien Lyon n°8 avec un agent de collectivité, juillet 2010).