L’ulcère de Marjolin est un terme qui désigne toutes les tumeurs malignes développées sur des sites antérieurement traumatisés par de multiples étiologies (brûlure, plaie, escarre…) et sièges de cicatrices fragiles. Toutes ces cicatrices fragiles sont regroupées sous la notion de cicatrices instables, d’où l’appellation aussi « cancers cicatriciels » des ulcères de Marjolin La littérature est remplie de rapports de cas et de séries décrivant les tumeurs malignes survenues sur des cicatrices instables, soit dans des rapports individuels ou dans des séries sur l’ulcère de Marjolin Initialement décrit sur des séquelles de brulures, Celsius, en l’année 100 après J.C, était le premier à noter le développement des cancers sur des cicatrices de brûlures [1]. Par la suite, Steffen a fourni une description détaillée de l’évolution de l’éponyme « ulcère de Marjolin » secondaire aux cicatrices de brûlures [2,3]. Bien que les tumeurs maligne survenant sur des cicatrices de brulures sont devenus synonymes des ulcères de Marjolin , la littérature a inclus d’autres étiologies sous ce titre telles que les escarres [4] , les fistules urinaires [ 2 ] , l’ostéomyélite [5] , les vaccinations [6], stase veineux [7] , Maladie de Verneuil [8] , lupus vulgaire [9] , périfolliculites [10] , etc.… Alors, le terme d’“ulcère de Marjolin” est par la suite employé pour désigner la transformation maligne provenant d’ulcérations chroniques d’origines diverses. Nous nous proposons donc à travers une série de 30 cas d’ulcères de Marjolin survenus sur des cicatrices instables, colligés au Service de Chirurgie Plastique, Réparatrice, Esthétique et Brûlés au CHU Mohammed VI de Marrakech., et à travers une revue de littérature de relever les aspects épidémiologiques, cliniques, thérapeutiques et pronostics de cette pathologie.
Historique
La première observation de dégénérescence maligne des cicatrices instables a été notée sur des séquelles de brûlures en l’an 100 après J.C par Celsius [1]. En 1825, Hawkins [11] a rapporté deux cas d’épithéliomas survenus sur des cicatrices de deux soldats britanniques brûlés en Inde avec une période de latence de 11 à 27 ans. En 1828, Jean Nicolas Marjolin [12] décrit à la rubrique « ulcère » du dictionnaire de Médecine, une série d’ulcères qui, sous l’effet de traitements irritants ou de cautérisations répétées, évoluent vers ce qu’il appelle un “ulcère cancroïde” qu’il décrit ainsi : “La surface de ces ulcères est formée d’un tissu composé d’un grand nombre de villosités coniques, d’une texture dense … représentant en quelque sorte un velours de laine grossier. Ces ulcérations laissent suinter en petite quantité un fluide visqueux, fétide, qui en se desséchant forme une croûte épaisse, grisâtre et très adhérente. Ils sont peu douloureux, et susceptibles de prendre une grande étendue”. Dupuytren [13], qui était un rival académique de Marjolin, décrit en fait un cas d’amputation suite à un cancer chez un patient qui a subi une brûlure par l’acide sulfurique plusieurs années auparavant. En 1850, quand Marjolin est mort, le professeur Smith [14] a répertorié 20 cas de cancers sur cicatrices de brûlures et de traumatismes divers, et, le premier évoque la possibilité de métastases lymphatiques et viscérales. Fordyce [15] décrit la transformation maligne d’un ulcère chronique retraçant l’évolution des ulcères de Marjolin. Le » coup de grâce » de nommer “Ulcère de Marjolin“ comme étant un ulcère chronique qui a subit une transformation maligne a été réalisé par Da Costa en 1903 [4]. Treves et Pack [1] a écrit le traité classique sur le cancer résultant des cicatrices de brûlures en 1930.
Profil épidémiologique
Fréquence et incidence
Décrite comme une affection rare dans la littérature, l’incidence de l’Ulcère de Marjolin est néanmoins différemment estimée d’une étude à l’autre. Pour Phocas [16], les cancers cicatriciels représentent 2% de tous les cancers cutanés. Castillo [17], mentionne que 1,2% de tous les cancers cutanés surviennent sur des cicatrices de brûlures. Pour Mora [18], 9,2% des CSC surviennent sur des cicatrices Instables ; voire 20% pour Taylor [19]. Noodleman [20] quant à lui, retrouve, sur 1774 cas de CBC examinés 7,3% de cancers survenus sur cicatrices diverses Sur des études plus récentes : Copcu [21] rapporte que sur 264 cas de brûlures graves répertoriées (en 7ans), 11,7% des patients ont fait une dégénérescence de leurs cicatrices de brûlures. Joucdar [22] retrouve pour sa part 35 cas d’ulcères de Marjolin sur 1523 cancers cutanés opérés (2,3%).
Sexe
La majorité des études publiées dans la littérature retiennent une nette prédominance masculine de l’ulcère de Marjolin (tableau V), pour beaucoup d’auteurs, l’homme serait en moyenne trois fois plus atteint par l’ulcère de Marjolin [23, 24, 25,26]. Ainsi :
• Treves [1] note une prédominance masculine avec un sex ratio M/F 3,7
• Joucdar [22] relève une prédominance masculine à 2,5
• Novick [27] rapporte un chiffre de 1,6 sur une série de 46 cas
Sur des séries plus récentes :
• Chlihi [28] rapporte que 65% des cas atteints d’ulcère de Marjolin sont de sexe masculin
• Chayla [29], Al-Zacko [30] relèvent des sex ratio à 2,1/1 et 2/1 respectivement .
Age
L’ulcère de Marjolin est souvent décrit dans la littérature comme une affection de l’adulte de la 5ème décade . L’âge moyen des patients de notre série se situe dans ces normes (49,5 ans). Ainsi :
• Ozek [31], Al-Zacko [30] et Nthumba [33] rapportent une moyenne d’âge plus bas que la notre avec une moyenne de 42,7 ans, de 46,5 ans et de 48ans.
• Chlihi [28] et Aydoğdu [32] ont trouvé une moyenne d’âge plus élevée que la notre avec une moyenne de 54ans et de 51,1ans.
Par ailleurs, d’autres études retrouvent des moyennes d’âge encore plus précoces :
– La moyenne d’âge de la série de Kasse [39] est de 41 ans.
– Celle de Copcu [42] portant sur 31 cas est de 39 ans.
– Quant à Chayla [29] trouve une moyenne d’âge de 37 ans .
Par ailleurs, Cette affection peut survenir à l’âge jeune :
– Les plus jeunes patients de Kasse [39] et de Copcu [42] étaient âgés respectivement de 17 et 16 ans.
– Quant à Chlihi [28], le patient le plus jeune est âgé de 17 ans.
– Ceux d’Arons [35] et de Mora [18] avaient 12 et 11 ans.
– Ozek [31] retrouve des cas survenus à 9 ans.
– Chayla [29] relève que 69,6% des cas ont un âge inferieur à 40 ans .
Niveau socio-économique
Pour la plupart des auteurs, l’ulcère de Marjolin est majoritairement répandu dans les milieux sociaux défavorisés, où l’accès aux services de soins et de médicalisation est difficile. Kasse [39] citant Lefevre [43]: l’ulcère de Marjolin est une affection surtout des pays en voie de développements. Copcu [21] citant Paredes [44] va dans le même sens affirmant que l’ulcère de Marjolin est un cancer inhabituel dans les pays développés et explique les courts délais de dégénérescences au faible accès aux soins. Smith [45] adhère également à ce point de vue et soutient que les ulcères de Marjolin sont plus fréquent en Afrique, en Inde et en Asie; ils surviennent également au Brésil mais limités aux populations rurales du pays. Chlihi [28] trouve que 90% des patients sont issus d’un milieu rural et ont un niveau socio économique bas. Chayla [29] dans son travail sur les patients du nord-ouest de la Tanzanie, note que 87,5% des cas sont issue d’un milieu rural et que 91,1% des patients sont analphabètes ou ayant un niveau d’instruction primaire. Les résultats de notre série sont en accord avec les données de la littérature, 83,3% des patients ont un niveau socio économique bas et issus d’un milieu rural généralement enclavé.
Etiologies et PEC des lésions initiales
En accord avec la majorité des études publiées dans la littérature, l’ulcère de Marjolin est une transformation maligne d’une cicatrice instable le plus souvent secondaire aux brûlures . Par ailleurs, les premiers cas d’ulcère de Marjolin décrits ont tous pour étiologie la brûlure .
Brulures
Gravité :
Kasse [39] note que tous les ulcères de Marjolin de sa série de 67 cas se sont produits sur des cicatrices de brûlures graves (2e et 3e degrés) : il ne retrouve aucun cas d’ulcère de Marjolin sur brûlure du 1er Chlihi [28] rapporte qu’il s’agit dans la majorité des cas de brûlures étendues en profondeur (2 degré. Joucdar [22] fait la même remarque. e et 3e Les rapports historiques suivent cette logique, l’ulcère de Marjolin sont connus dans des cultures où l’exposition chronique au feu ou à la chaleur lèse la peau: le cancer post-brûlure du Kangri en Inde, le cancer de Kairo des Japonais et le cancer du kang du nord-ouest de la Chine, les rapports britanniques d’érythème ab igne, et les appareils de chauffage au charbon algériens [1,48]. degré) intéressant 3 à 15% de la surface corporelle. Seulement un de ses patients avait présenté une brûlure chronique légère de l’éminence hypothénar suite à la manipulation (de par son métier : vendeur ambulant) quotidienne et prolongée d’une louche chaude. En accord avec les constats de la littérature, Tous nos patients victime de brûlures ont présenté des brûlures profondes (2ème et 3ème degré).
Autres étiologies en dehors des brûlures
Plaies et traumatismes :
Les plaies et les cicatrices post-traumatiques selon certains auteurs, peuvent à certains temps, évoluer vers la dégénérescence [20,37]. Ainsi :
– Arons [35] note 3 cas d’ulcère de Marjolin survenant sur des plaies post traumatique
– Stilwell [49] a publié en 1980, 4 cas d’ulcère de Marjolin survenant sur des traumatismes divers (blessures par clous rouillés, blessures sous unguéal par un morceau de fil…)
– Nthumba [33] rapporte que sur 167 cas de CSC examinés, 1,8% des cas présentant initialement des plaies post-traumatiques.
Escarres :
Nthumba [50] publie un article rapportant 2 cas de CSC sur escarres chez 2 patients atteints de spinabifida.
Avril [51] rapporte 3 cas d’escarres dégénérées chez des patients tétraplégiques et paraplégiques Berkwits [52] a publié un cas d’ulcère de Marjolin survenant après 14 ans sur une escarre sacrée développée après 50 ans depuis le traumatisme médullaire initial. Kimura [53] rapporte lui aussi 4 cas de dégénérescence sur une escarre sacrée après traumatisme spinal. Sur des publications plus récentes : Chayla [29] et Nthumba [33] relèvent des pourcentages de 0,5% et 1,7% d’ulcère de Marjolin survenant sur des lésions d’escarres.
INTRODUCTION |