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UN GENRE QUI REPOND EN PARTIE A UNE NOUVELLE DEMANDE D’UN PUBLIC CROISSANT
Kevin Feige, Président des Studios Marvel, déclare dans le documentaire de 2014 Marvel, La naissance d’un univers31 : « On adore que nos films se démarquent. Et on adore que Les Gardiens de la Galaxie soit un film de science-fiction, d’action et d’aventure. Et qu’on ait des éléments de techno – thriller dans les Iron Man. Le nouveau Captain America, Le soldat d’hiver est un thriller politique. On ne croit pas que le film de super-héros soit un genre à lui tout seul. On adore combiner les sous-catégories et ajouter des éléments de super-héros dans d’autres genres. »
Que faut-il comprendre de cette déclaration du président du studio le plus prolifique du monde sur grand écran depuis plus d’une décennie ? Cela voudrait-il dire que les films de super-héros n’existent pas ? Que les films de super-héros ne seraient pas un genre à part-entière ? Si ces propos peuvent interloquer venant du président des studios Marvel, ils ne sont en réalité pas si surprenants. Kevin Feige, développe ce discours depuis quelques années déjà en réponse à ses détracteurs dont le dernier en date n’est autre que Martin Scorsese. Ce dernier avait déclaré au sujet des films Marvel lors d’une interview au magazine Empire en 2019 : « Je ne les regarde pas. J’ai essayé, vous savez. Mais ce n’est pas du cinéma […] Bien qu’ils soient réalisés avec soin et que les acteurs fassent de leur mieux dans ce contexte, j’associe ces films à des parcs d’attractions. Il ne s’agit pas d’un cinéma d’êtres humains essayant de communiquer des expériences d’ordre émotionnel et psychologique »32. Ces propos ont été appuyés par Francis Ford Coppola qui déclarait aussi en 2019 : « Quand Martin Scorsese dit que les films Marvel ne sont pas du cinéma, il a raison car on attend du cinéma qu’il nous apprenne quelque chose, qu’il nous apporte un éclaircissement, un savoir, de l’inspiration. Je ne vois pas ce qu’on peut retirer du visionnage du même film, encore et encore. (…) Martin a été gentil en disant que ce n’était pas du cinéma. Il n’a pas dit que c’était méprisable, ce que j’affirme. »33
Ainsi il n’est pas étonnant que Kevin Feige mette en avant tous les genres cinématographiques auxquels appartiennent les films de la franchise Marvel, ne les réduisant pas à un seul et unique genre bien cadré, mais en démontrant leurs caractéristiques différentes d’un film à un autre. Selon lui, même si tous ces films sont liés les uns aux autres, ils ont aussi une existence propre faisant de chacun d’entre eux une œuvre cinématographique unique et non pas seulement une composante d’un ensemble de produits commerciaux.
Ces polémiques et l’ampleur qu’elles prennent à Hollywood, peuvent démontrer plusieurs points. Tout d’abord que le genre des films de super-héros, bien qu’il ne soit pas encore totalement défini et arrêté, prend de l’importance et s’affirme comme un genre à part entière. Cela nous montre aussi que ces films réveillent un clivage ancien entre art noble ou culture élitiste et art ou culture populaire. Ce même clivage qui différencie la bande dessinée ou les comic books desquels sont adpatés la plupart des films de super-héros et la littérature. Si la bande dessinée a souvent été considérée comme une sous-littérature, alors il n’est pas étonnant que les films de super-héros soient aussi considérés comme du sous-cinéma, et non pas comme une forme d’art noble relevant du 7ème art.
Ainsi, ce clivage et ces polémiques viennent appuyer une fracture populaire, mais surtout la naissance d’une nouvelle demande dont la croissance dans un premier temps assez lente, est devenue exponentielle depuis le début des années 2000.
« Clairement, les films de super-héros sont devenus une réalité incontournable en termes de recettes au box-office mondial. En soixante-dix ans, les Etats-Unis sont ainsi passés de la fabrique du héros à celle du super-héros. » 34
Qu’en est-il de l’Europe ? La greffe du héros au super-héros a-t-elle pris ? La transition n’a évidemment pas été aussi spontanée et naturelle qu’aux Etats-Unis, et nous allons en aborder les raisons tout au long de ce mémoire. Mais revenons aux origines des représentations super-héroïques au cinéma jusqu’à leur affirmation comme un nouveau genre cinématographique.
Alors qu’ils suscitent un engouement du cinéma dès les années 1940, en étant adaptés dans des serials, cela s’explique par un élan patriotique du au contexte de guerre mondiale, les super-héros vont ensuite s’avérer compliqués à porter sur grand écran avec succès. Et ce jusqu’au début des années 2000, sauf pour quelques exceptions que nous détaillerons par la suite. S’ils posent en effet beaucoup de problèmes aux producteurs et aux réalisateurs, c’est essentiellement pour des raisons techniques, voire technologiques. Restituer fidèlement les aventures fantastiques et les exploits de ces héros aux pouvoirs surhumains à l’écran semble impossible à l’ère des effets spéciaux mécaniques.
« Les capes volent parce qu’un ventilateur a été placé derrière le comédien.
Les acteurs sont sanglés avec des câbles sur fond vert, et les décors sont peints à la main. L’illusion de la réalité n’est pas vraiment au rendez -vous. Parfois le ridicule si. »35
Pendant cette période, la deuxième moitié du XXè siècle, deux films sortent du lot et ont eu une influence considérable sur le genre : Superman de Richard Donner, sorti en 1978 et Batman de Tim Burton, sorti une décennie plus tard en 1989. Il n’est pas surprenant de retrouver deux des super-héros les plus iconiques, incarnés dans ces films respectivement par Christopher Reeve et Michael Keaton. Ces deux super-héros de la firme DC Comics, rachetée par Warner Bros. en 1969, dominent ces années avec 3 films Superman et 4 films Batman. Tandis que le seul super-héros Marvel marquant au cinéma sera Blade en 1998, mais avec un succès mitigé.
Les années 2000 représentent un véritable tournant pour le genre avec un grand accroissement de la production de ces films et un succès public toujours plus au rendez-vous. Et ce succès n’est pas qu’un phénomène états-unien car il est également présent en Europe et notamment en France. « En France, vingt films de ce type sont sortis en salle entre 2002 à 2007, soit autant qu’entre 1970 à 2000. Ils rencontrent un succès grandissant, tel Spiderman qui fut troisième au box-office français en 2007. Aux États-Unis, l’épisode de Batman Le chevalier noir (The dark knight, 2008) a rapporté à ce jour la plus grosse recette commerciale de tous les temps derrière Titanic (1997). Ce succès massif et universel peut surprendre si l’on considère que le genre n’est finalement constitué que d’un nombre réduit de blockbusters. »36
2008, année marquée par la sortie de The Dark Knight de Christopher Nolan, est également l’année de sortie d’Iron Man de Jon Favreau et de L’Incroyable Hulk de Louis Leterrier, qui sont les deux films qui lancent le Marvel Cinematic Universe. Iron Man étant un succès critique et public universel, c’est l’instigateur qui a permis à Marvel de produire les 23 films sortis depuis et d’asseoir sa domination sur le genre des super-héros, en faisant un des genres les plus prolifiques d’Hollywood. L’exemple le plus parlant étant Avengers : Endgame sorti en 2019 qui est devenu le film le plus rentable de l’histoire du cinéma avec 2,8 milliards de dollars de recettes au box-office mondial.
De plus, trois films Avengers font partie des dix films les plus vus de l’histoire du cinéma. Si l’on étend la liste aux vingt premiers films, on compte sept films de super-héros et treize dans le top 30, soit plus d’un tiers de films de super héros parmi les trente plus gros succès au box-office mondial de l’histoire du cinéma.37
« Quoique né aux États-unis, cet engouement récent des super-héros qui s’observe dans tous les pays développés répond à une demande populaire indéniable »38.
En ce qui concerne la France, 13 films de super héros sont classés parmi les 100 meilleurs au box-office entre 2010 et 2019, tous au-dessus de trois millions d’entrées. 50 films de super-héros comptabilisent plus d’un million d’entrées en France à partir de l’année 2000.39 Nous préciserons que tous ces films sont d’origine états-unienne. Nonobstant, nous observons une véritable montée en puissance du genre auprès du public français en salle. La tendance en France et en Europe est la même qu’aux Etats-Unis, les films de super-héros s’imposent comme des succès commerciaux, avec des résultats croissants au box-office.
C’est ce que confirme Claude Forest dans son ouvrage Quel film voir? Pour une socioéconomie de la demande de cinéma, il évoque une progressive montée en puissance du genre en France, se faisant en plusieurs étapes qui correspondent en tous points avec l’évolution que nous avons observé aux Etats-Unis. « Globalement, le public visé a coïncidé avec celui qui a été atteint, mais deux périodes sont à envisager. Une lente introduction durant plus de deux décennies, avec une première phase (jusqu’en 1993) au cours de laquelle les sorties seront épisodiques où un seul (voire aucun) film sortira chaque année malgré souvent un succès non négligeable (1 à 2 millions d’entrées), et une seconde phase, jusqu’en 2000, où d’autres essais seront tentés, un peu plus nombreux, mais sans emporter une adhésion qui ne se développera nettement que très récemment, à partir de 2001. Ainsi une vingtaine de titres sortiront sur les écrans de leur origine jusqu’en 2001, mais autant dans les six ans seulement qui suivent (2002-2007), cette période attirant le double de spectateurs français (40 millions) que tous leurs prédécesseurs réunis depuis leur apparition sur les grands écrans français. »40
« Avec désormais deux à cinq films annuels produits, et surtout quatre à neuf millions de spectateurs chaque année en France, la véritable naissance d’un (sous)genre a été observée et le rythme de l’offre ne faiblira pas dans l’immédiat. »41
Toujours dans ce même ouvrage, Claude Forest établit un constat : « Seuls les héros emblématiques et déjà médiatisés ont pu s’avérer moteurs de la demande pour ce genre, fédérant l’attente des spectateurs. »42, preuve à l’appui : « Superman, saura séduire plus de 2,3 millions de français dans son premier opus, […] les X-men augmenteront un public déjà élevé de 50 % (2,9 M d’entrées pour le second en 2003) avant le troisième opus en 2006 qui fidélisera autant de spectateurs. […] Quant à Batman, il atteindra des sommets en son sixième opus (The Dark Knight) avec plus de trois millions d’entrées en France. Il battra surtout les records de recettes aux USA, preuve d’un maintien d’intérêt pour la thématique mise en scène et pour le personnage, peut-être davantage que pour les acteurs qui l’incarnent. […] Spiderman, avec ses presque 7 millions de spectateurs et sa troisième place au box-office français de l’année 2002 se placera en haut du BO de tous les pays industrialisés. »43
Si cette affirmation, que seuls les super-héros déjà médiatisés et connus du grand public est avérée lors de la parution de cet ouvrage, elle semble aujourd’hui largement réfutable au vu des succès colossaux des Iron Man, Captain Marvel, Black Panther, Ant-Man ou encore Les Gardiens de la Galaxie, super-héros relativement méconnus du grand public avant qu’un film leur soit consacré, témoignant d’un intérêt du public pour le genre des super-héros supérieur au super-héros en lui-même.
Le public des comic books peut être relativement délimité et identifié, comme le démontre David Peyron : « Les comics sont venus combler un manque pour un public avide de récits de science-fiction dépaysants pleins de rebondissements et d’action. Les super-héros n’auraient pas pu connaître un tel succès sans une communauté de fans (un fandom) déjà constituée. C’est au cœur de ce fandom de la science-fiction américaine qu’ils se sont épanouis, et si, aujourd’hui, ils ont dépassé cette niche du fait de leur popularité cinématographique, on peut toujours observer des points communs sociologiques entre les fans les plus acharnés de l’univers Marvel et les lecteurs typiques de science-fiction. »44 Mais il soulève aussi le fait que leur popularité cinématographique a permis aux super-héros de conquérir un nouveau public, pas forcément avide de comics. Nous constatons donc la naissance d’un public en demande de films de super-héros, qui peut être fan du genre cinématographique, sans être fan du genre littéraire. C’est à cette demande que les studios de production américains se sont efforcés de répondre depuis quelques décennies, sans pour avoir fait beaucoup d’émules en Europe. Même si quelques exceptions européennes existent.
« Nous verrons si les auteurs français ou européens sauront emprunter ce chemin, en le suivant strictement ou en innovant, mais les trois décennies écoulées depuis l’apparition des super-héros au cinéma n’ont fait qu’illustrer leurs totales inexistence et inaptitudes à se saisir de l’émergence de ce nouveau (sous)genre cinématographique. Et pourtant des nouveaux mondes à créer sont possibles, ces BD ont également baigné l’enfance et l’univers d’autres créateurs qu’étatsuniens, et la demande de tels films existe. »45
ILLUSTRATION DES DIFFERENCES DE TRAITEMENT DES HISTOIRES ET DES PERSONNAGES ENTRE LES ETATS-UNIS ET L’EUROPE AU REGARD D’UNE DEMANDE POURTANT COMMUNE
La vague des films de super-héros dans les années 2000 s’explique en partie par un contexte post-11 Septembre aux Etats-Unis. « Il est révélateur que, apparus à la veille de la Seconde Guerre mondiale et popularisés durant la Guerre froide, les super-héros sont adaptés au cinéma au moment où les États-Unis entrent en lutte contre le terrorisme. » 46
Les 3 films Spiderman de Sam Raimi en sont particulièrement révélateurs. On y observe Spiderman rattraper des gens tombant de gratte-ciels ou voler devant le drapeau américain par exemple. En France, on imagine difficilement un film de super-héros français combattant un ennemi métaphore du terrorisme, être porté à l’écran suite aux attentats du 13 Novembre, par exmple. Cela n’a d’ailleurs pas été fait, alors que les super-héros français existent bel et bien. Malgré une réaction de l’offre de production culturelle très différente en Europe et Outre-Atlantique, nous constatons, comme le souligne Vincent Hecquet que « Les différences culturelles de ces spectateurs, voire leur réticence ou leur refus de l’idéologie nationaliste états-unienne, rend peu sérieuse l’hypothèse d’un patriotisme outrancier comme unique vecteur de succès depuis 2001, en raison d’une bannière étoilée ou d’un building, symboliques ou réels, qui apparaîtrait derrière chaque plan (notamment de Spider-Man). ». En ce qui concerne Spider-Man 2 « la France – peu suspecte de soutenir la politique américaine en général, et celle de Bush en Irak en particulier – plaçant le film à la 4e place du BO avec 5,4 millions de spectateurs. »47
Et en fin de compte, ce qui est mis à l’œuvre ici c’est la capacité d’exportation planétaire des films hollywoodiens. A l’inverse, les différentes industries cinématographiques européennes, à l’exception du Royaume Uni qui jouit d’une proximité culturelle avec les Etats-Unis, ont en commun le fait qu’elles s’exportent très peu. Le genre des super-héros au cinéma est un des exemples les plus concrets de la suprématie d’Hollywood en termes de capacité d’exportation de ses produits.
« Si le 11 septembre 2001 a indéniablement joué un rôle au niveau de la production états-unienne de films de super héros, le succès d’une partie de ces titres dans tous les pays traditionnellement réceptifs aux canons de l’industrie hollywoodienne montre qu’une fois de plus celle-ci a su se servir d’éléments lui appartenant en propre, les digérer, et les resservir en incorporant des ingrédients invariants aptes à séduire les spectateurs des différents continents. »48
Pour autant, parler d’une offre de films de super-héros européens inexistante, n’est pas tout à fait exacte, il apparaît plus juste d’évoquer une offre en inadéquation partielle avec la demande.
En effet les rares films de super-héros européens sont très souvent destinés à un public jeune, ce qui était le cas des comics à l’origine, mais pas des premiers films de super-héros comme les Superman de Richard Donner ou les Batman de Tim Burton qui étaient plutôt destinés à des publics adultes. Batman de Burton est un film très sombre et montre une face cachée de l’Amérique, sa part d’ombre, dans un style gothique et poétique propre au réalisateur avec une certaine profondeur, très loin d’un « film pour enfant ».
En évoquant les films de super-héros européens destinés à un public jeune, nous pensons notamment à Ant-boy, trilogie de films danois dont la comparaison avec son homologue américain, Ant-man rend parfaitement compte de cette différence de cible. On notera aussi Invisible boy en Italie, Invisible Girl en Allemagne ou Benoît Brisefer en France.
Table des matières
Introduction
Enjeux et intérêts du sujet
Problématique
Définition des termes de la problématique
Hypothèses fondées et construction de mon argumentation
Partie 1 : Typologie du genre des films de super héros : origines, traitements et publics
Sous-partie 1 : Un genre cinématographique nouveau adapté et dérivé des comic books américains qui tirent eux-mêmes leurs sources de récits nés en Europe
Sous-partie 2 : Un genre qui répond en partie à une nouvel le demande d’un public croissant
Sous-partie 3 : Illustration des différences de traitement des histoires et des personnages entre les Etats-Unis et l’Europe au regard d’une demande pourtant commune
Partie 2 : Les raisons d’une sous-représentation
Sous-partie 1 : Un problème de culture en France et en Europe qui rend difficile la production de super-héros
Sous-partie 2 : Une différente allocation du budget disponible entre l’Europe et les Etats-Unis
Sous-partie 3 : Qui est renforcée par des systèmes de production différents d’un continent à l’autre
Partie 3 : Les incompréhensions liées à cette situation Sous-partie 1 : Une production européenne méconnue, oubliée ou disqualifiée, offrant une possibilité d’adaptation de matériaux préexistants
Sous-partie 2 : Une capacité à rassembler des budgets de production suffisants pour créer des oeuvres du genre
Sous-partie 3 : Vers un renouvellement de la production européenne, en partie par le biais d’une nouvelle génération d’auteurs, plus proche des exemples états-uniens du genre
Conclusion
Réponse aux hypothèses
Réflexions et critiques sur mon travail
Bibliographie
Sources
Corpus
Table des annexes
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
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