Du colloque singulier au colloque pluriel, les avatars de la gestion multidisciplinaire du diagnostic prénatal
L’un des objectifs de ce document est de trouver des passerelles entre l’éthique médicale et les sciences sociales, deux champs de réflexion qui restent insuffisamment reliés. A quoi peuvent servir les sciences sociales pour l’éthique médicale ? Il nous semble que l’apport essentiel des sciences sociales consiste à mettre en lumière les éléments des dispositifs locaux qui vont orienter les actions possibles. Ainsi, l’éthique médicale telle qu’elle est formulée dans les revues comme « Bioethics » ou le « Hastings Center report on Bioethics », ou, en France, dans les avis du Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie par exemple, vise à établir des principes généraux qui pourront servir de guide aux équipes mettant en pratique telle ou telle technique novatrice. Parce qu’ils ont une visée générale, ces travaux sont d’un secours limité pour les équipes médicales et les profanes, soumis à l’épreuve de situations particulières dans lesquelles ils doivent s’engager sans repères normatifs. L’activité de suivi prénatal ayant pris de l’ampleur ces dernières années, elle a permis l’éclosion de différentes spécialisations médicales, et l’arrivée de nouveaux acteurs dans les services d’obstétrique. La pluridisciplinarité et les occasions de discussion qu’elle pourvoie sont perçues, notamment dans les avis du Comité d’Éthique, comme une chance pour l’éthique médicale. Rien ne remplacerait, dans une société plurielle et pluriconfessionnelle, la recherche d’une solution raisonnable par l’argumentation et la discussion.
Les hypothèses qui ont accompagné notre réflexion tout au long des précédents chapitres étaient les suivantes : chaque dispositif de suivi prénatal organise dans son activité quotidienne les éléments d’une moralité ordinaire, les « » du dépistage diagnostic prénatal ne commencent pas à se poser au moment où un diagnostic peut être effectué mais bien avant. Tout au long de cette thèse, nous avons cherché à mettre en évidence tous les éléments qui pouvaient être reliés à la consultation de suivi prénatal, et à montrer qu’à partir de la consultation on pouvait capter une multitude de points qui peuvent tous avoir à faire avec l’éthique. Dans les observations de staffs que nous allons découvrir au cours de ce chapitre, reviendront des consultations que nous avons évoquées lors des précédents. Nous verrons que ces consultations peuvent être rappelées à des titres différents selon les configurations de staff. Le but de ce chapitre est donc de montrer comment, à travers l’examen de modes d’organisation et de confrontations des différentes spécialités qui participent aux activités de dépistage/diagnostic prénatal, on va mettre en place des conceptions des femmes enceintes, de leurs fœtus, des rôles des différents professionnels, et, partant, de l’éthique, variées. Au lieu de partir d’un objet fixe qui serait la pluridisciplinarité, garante de l’éthique, nous allons regarder un des modes d’articulation de la pluridisciplinarité qui émerge de nos terrains, et nous en examinerons les conséquences pour les acteurs/actants concernés. Nous montrerons que ce mode d’articulation est à la fois le produit des contextes et des interactions – qu’il s’agisse des interactions entre soignants ou des soignants avec les femmes enceintes – sans qu’on puisse dire a priori que les uns soient plus déterminants que les autres. Les questions principales qui sous-tendent ce chapitre peuvent être formulées de la manière suivante : comment se gère la dimension collective du suivi de la femme enceinte dans les staffs de diagnostic anténatal des services hospitaliers ? Quels aménagements cela suppose t’il, et quelles promissions cette dimension offre t’elle pour l’éthique ? Nous poursuivrons notre argument en trois temps. Après avoir décrit comment la notion pratique pluridisciplinaire du diagnostic prénatal » qui semble être un gage de sérieux dans les discours sur l’éthique. Nous nous intéresserons ensuite à la façon dont les dispositifs mis en place « formatent » une éthique dans la pratique, comment des formes de coordinations peuvent contribuer à ouvrir ou fermer des possibilités.