Trouble de la diffusion pulmonaire

Cas cliniques

Cas clinique n°1

Une patiente âgée de 74 ans consulte en juillet 2019, devant l’apparition d’œdème des mains et des membres inférieurs évoluant depuis avril 2019 associé à un phénomène de Raynaud douloureux des mains et des pieds depuis un an. Elle n’a aucun antécédent notable. Elle est artiste peintre, sans contact avec des toxiques. Elle ne fume pas. L’examen clinique confirme la présence d’une sclérodactylie et d’une sclérose cutanée des poignets, du visage et des membres inférieurs remontant jusqu’aux cuisses, traduisant une forme cutanée diffuse, avec un score de Rodnan à 24/51. La capillaroscopie retrouve des mégacapillaires avec des dystrophies majeures sur un fond très œdématié. Le bilan biologique met en évidence des anticorps antinucléaires positifs à 1/1280, homogènes nucléolaire, avec présence d’anticorps anti‐Sm (à faible taux) et anti Scl70 (à fort taux). La recherche d’anticorps antiphospholipides revient négative, de même que la cryoglobulinémie, et les fractions du complément ne sont pas consommées. L’interrogatoire de la patiente permet de mettre en évidence une dyspnée de stade II NYHA, évoluant depuis environ 6 mois. L’examen pulmonaire, au repos, est normal. La tomodensitométrie (TDM) thoracique (Figure 2) retrouve des lésions à type de réticulations majoritairement intra-lobulaires bilatérales à prédominance sous-pleurales des bases pulmonaires, sans bronchectasies. On note aussi des plages en verre dépoli au même niveau. Ces lésions sont plutôt asymétriques, avec quelques zones épargnées. Présence d’un gradient baso-apical. Pas de lésions à type de kyste ou rayon de miel. Il n’y a pas d’atteinte de type de fibrose des apex pulmonaires. Ces lésions sont évocatrices de pneumopathie interstitielle non spécifique (PINS). Cas cliniques 6 Les explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) réalisées en juillet 2019 mettent en évidence une capacité vitale forcée (CVF) à 107%, avec un volume expiré maximal en 1 seconde (VEMS) à 108% et une capacité de diffusion du monoxyde d’azote (DLCO) à 54%. La capacité pulmonaire totale (CPT) est évaluée à 85% de la normale. Figure 2 : TDM thoracique réalisé en juin 2019 L’électrocardiogramme (ECG) à l’admission est sinusal et régulier, il n’y a ni trouble de conduction, ni trouble du rythme. L’échographie cardiaque transthoracique (ETT) ne montre pas d’insuffisance cardiaque droite ou gauche (fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) à 65%), les cavités droites ne sont pas dilatées, il n’y a pas d’argument pour une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). La tomodensitométrie par émission de positron couplée au scanner (TEP-TDM) réalisée devant la forme cutanée rapidement progressive afin d’éliminer une ScS paranéoplasique, revient normale. Le diagnostic de ScS est retenu devant le syndrome de Raynaud, l’aspect cutané compatible, les anomalies capillaroscopiques, l’atteinte interstitielle pulmonaire et les anticorps anti-Scl70 positifs (23 points sur la classification EULAR 2013). 7 Devant la forme rapidement progressive au plan cutanée et l’atteinte respiratoire clinique et en imagerie, la patiente bénéficie d’un traitement par mycophénolate mofétil (MMF) CELLCEPT®, débuté le 26/07/2019. L’évolution de la maladie est marquée par l’apparition d’une myosite clinique (fonte musculaire, camptocornie) et biologique (CPK 300 UI/L), avec DOT myosite négatif (JO1, PL7, PL12, E-J, OJ, SRP, Mi2, MDA-5, TIF-1, SAE, NXP2, tous négatifs). Les anticorps antiPM/Scl sont aussi négatifs. L’imagerie par résonnance magnétique (IRM) musculaire, réalisée en janvier 2020 confirme l’aspect de myosite des loges musculaires postérieures de cuisses et des adducteurs, associé à des anomalies des fascias (superficielles, périphériques, et profondes intermusculaires). En parallèle, il existe une dégradation de l’état cutané et respiratoire malgré le MMF. Le score de Rodnan augmente à de 24 à 34. La dyspnée se majore également, de stade III de l’échelle MMRC (Modified Medical Research Council). Les EFR de janvier 2020 confirment l’apparition d’un syndrome restrictif avec CPT à 68%, CVF 72%, VEMS 79% et DLCO 33%. La manométrie œsophagienne met également en évidence une hypotonie du sphincter œsophagien inférieur et un apéristaltisme. Cette aggravation motive alors une incrémentation du traitement par anti-CD20, Rituximab MABTHERA® (protocole J1-J15) débuté le 22 janvier 2020. D’un point de vue cardiologique, en octobre 2019, la patiente présente un épisode de péricardite compliquée de flutter atrial commun, mal toléré nécessitant une hospitalisation en unité de soin intensif cardiologique. Le flutter sera traité par une ablation par radiofréquence et introduction d’une anticoagulation orale. La péricardite bénéficie d’un traitement par aspirine et colchicine. L’ETT réalisée dans ce contexte montre un épanchement péricardique circonférentiel infracentimétrique, sans retentissement hémodynamique. En l’absence de signe de tamponnade, il n’y a pas eu de drainage péricardique. La fonction systolique ventriculaire gauche est normale avec FEVG 56% avec une altération du strain basal circonférentiel. Cependant, on observe une dilatation bi‐atriale (volume de l’oreillette gauche 53 mL/m²de surface corporelle, NB : l’OG est considérée comme dilatée au‐delà de 40 ml/m2 et comme très dilatée au‐delà de 60 ml/m2), associée à une hypertrophie du septum inter‐ atrial, et l’apparition d’une discrète dilatation du ventricule droit (23 cm² chez le 8 patient ; la surface télédiastolique du VD normale est de 20 ± 4 cm²). La fonction systolique ventriculaire droite semble cependant préservée. Les PAPs sont un peu élevées à 35 mmHg. L’imagerie par résonnance magnétique (IRM) cardiaque réalisée, en octobre 2019, dans les suites de cet épisode aigu ne retrouve pas d’anomalie du signal du myocarde (T2 à la limite supérieure, T1 normal), donc pas d’argument pour une myocardite associée à la péricardite. Sous traitement, les signes de péricardite régressent, et il n’y a pas d’argument en faveur d’une cardiopathie fibrosante. Il apparait une dysfonction systolique minime du ventricule droit (FEVD 44% ; FEVD considérée comme normale si > 45%), sans dilatation ventriculaire, mais avec une dilatation bi‐atriale. D’un point de vue cardiologique, on observe en quelques mois, la survenue d’une insuffisance cardiaque essentiellement droite. En effet, en juin 2020, l’ETT met en évidence une fonction systolique ventriculaire gauche conservée (FEVG 58%). La fonction ventriculaire droite est altérée avec l’apparition d’une dilatation ventriculaire droite avec dysfonction systolique ventriculaire droite modérée. Les pressions pulmonaires semblent normales (pression artérielle pulmonaire systolique estimées à 25 mmHg). Présence d’une insuffisance tricuspide modérée, en lien avec une dilatation de l’anneau tricuspide : volume de régurgitation (VR) 20mL, (un VR 45 mL est considéré comme une insuffisance tricuspide sévère). Le cathétérisme cardiaque droit de juin 2020 montre cependant l’apparition d’une une discrète hypertension artérielle pulmonaire révélée par le cathétérisme cardiaque : pression artérielle pulmonaire moyenne (PAPm) à 28 mmHg, pressions capillaires (Pcap) à 12 mmHg, résistances vasculaires pulmonaires (RVP) 5,3 UI Wood, avec une baisse du débit cardiaque à 76% de la théorique.  

Cas clinique n°2

Il s’agit d’un patient âgé de 68 ans qui consulte en mai 2018 pour un syndrome de Raynaud, avec un enraidissement douloureux des mains évoluant depuis quelques mois. Ses antécédents principaux sont un anévrysme de l’aorte abdominale de 30 mm, et un abcès amibien hépatique opéré en 1972. Il a pour facteur de risque cardiovasculaire une dyslipidémie et un tabagisme à 50 paquets-années, sevré depuis 2 mois. Il travaillait comme maçon. L’examen clinique retrouve une sclérose cutanée des mains, des poignets, des avant‐bras et des bras avec des cicatrices d’ulcérations pulpaires qui évoquent une ScS dans sa forme cutanée diffuse. La capillaroscopie retrouve des mégacapillaires des 2e, 4e, et 5e doigts de la main gauche. Le bilan biologique met en évidence des anticorps anti‐Scl‐70 positifs, anti SSA et anti SSB négatifs, anti Sm et anti U1RNP négatifs, anti-Jo1 et anti-CCP négatifs, anticorps antiADN natif négatifs, anticorps anti-cardiolipine et anti B2GP1 négatifs (IgG et IgM), anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires négatifs. Le DOT myosite, réalisé en mars 2019, est négatif. Les EFR au diagnostic mettent en évidence un trouble de la diffusion pulmonaire avec DLCO 53% et une distension emphysémateuse chez un ancien tabagique (50 paquets-années). Le TDM thoraco-abdomino-pelvien retrouve des lésions d’emphysème centrolobulaires diffuses prédominant aux lobes supérieurs, un épaississement des parois bronchiques en particulier en postéro-basal droit faisant discuter un foyer infectieux, associé à des adénopathies médiastinales et des nodules pulmonaires du lobe supérieur droit et du lobe supérieur gauche, sans hyperfixation pathologique au TEP-TDM (Figure 4). Il n’y a pas de lésion de fibrose pulmonaire. La fibroscopie bronchique est également normale. L’échographie cardiaque initiale met en évidence une FEVG à 63% avec des pressions artérielles pulmonaires un peu élevées (PAPS 35-40 mmHg). 12 Figure 4 : TDM thoracique réalisé en mars 2019 Le diagnostic de ScS est retenu en mai 2018 devant le syndrome de Raynaud, l’aspect cutané compatible et la présence d’anti-Scl70 positifs (score EULAR 2013 : 24). Devant l’apparition d’arthralgies des poignets et des coudes, le patient bénéficie d’une première ligne de traitement par METHOTREXATE, débutée en octobre 2018. Ce traitement est relayé par CELLCEPT en mars 2019, en contexte de dégradation des EFR. Le traitement par CELLCEPT est relayé par du RITUXIMAB, débuté en juillet 2019 après avis du centre de référence local, devant la stagnation de l’atteinte cutanée, et l’apparition récente d’une atteinte cardiaque que nous allons décrire. Le RITUXIMAB est arrêté après 2 injections (juillet et août 2019) en raison d’une mauvaise tolérance des perfusions conduisant à des hospitalisations pour des épisodes de détresse respiratoire lors de l’administration. Le patient bénéficie actuellement d’un traitement par CELLCEPT réintroduit depuis avril 2020 et bien toléré. 13 D’un point de vue cardiologique, le patient est hospitalisé une première fois en cardiologie, en janvier 2019, pour un syndrome coronarien aigu sans anomalie du segment ST, avec un mouvement de troponine. La coronarographie ne retrouve pas de sténose significative, tandis que l’IRM cardiaque met en évidence un rehaussement sous‐ endocardique antéro‐latéral limité, sans systématisation à un territoire coronaire, compatible avec des lésions microcirculatoires liées à la sclérodermie. L’échographie cardiaque met en évidence une FEVG à 47%, avec VG hypokinétique, OG dilatée, pressions de remplissage élevées, cavités droites dilatées et PAPs légèrement élevées à 40mmHg. L’échographie cardiaque en mai 2019 (après introduction d’un traitement diurétique), retrouve une FEVG à 43%, avec un ventricule gauche dilaté (volume télédiastolique du VG (VTDVG) 98 mL/m² (normales 50‐90 mL/m²), volume télésystolique du VG (VTSVG) 56 mL/m² (normales 18‐32 mL/m²)), non hypertrophique, hypokinétique en postérolatéral. Les cavités droites sont également dilatées, avec une dysfonction ventriculaire droite, et des pressions élevées dans l’oreillette droite. La PAPS est évaluée à 27 mmHg. Le patient est traité par anticoagulation curative pour une fibrillation auriculaire découverte en mai 2019 associée à un bloc de branche droit avec un hémibloc antérieur gauche. Il est à nouveau hospitalisé en cardiologie en novembre 2019 dans un contexte de tachycardie ventriculaire symptomatique. Devant l’aggravation de l’atteinte cardiaque, sur l’échocardiographie réalisée en octobre 2019 qui montre une FEVG 35%, un VG dilaté (VTDVG/ VTSVG : 99/65 mL/m²) une FEVD 23%, des pressions toujours élevées malgré la majoration des diurétiques, il bénéficie d’un cathétérisme cardiaque droit. Celui-ci ne retrouve une HTAP légère avec des PAPm (pression artérielle pulmonaire moyenne) à 25 mmHg, Pcap (pression capillaire pulmonaire) à 27 mmHg, POD (pression dans l’oreillette droite) 13 mmHg, RVP (résistance vasculaire pulmonaire) 1,86 unités de Wood. Un traitement par BOSENTAN a été instauré. L’IRM cardiaque réalisée en octobre 2019 confirme la dilatation tétracavitaire avec FEVD très altérée à 26% et FEVG 28%, associée à une akinésie antérieure, une hypokinésie antéro‐septale et antéro‐latérale, et une fibrose sous endocardique antérolatérale (paroi antérieure, antéro-septal et antéro-latéral), d’allure ischémique mais sans systématisation à un territoire vasculaire (Figure 5). 14 Figure 5 : IRM cardiaque d’octobre 2019 Le patient bénéficie de l’implantation d’un défibrillateur en décembre 2019, en prévention primaire. Un échec de mise en place de sonde ventriculaire gauche, ne permet pas de réaliser une resynchronisation. Il est hospitalisé en avril 2020, dans un contexte de syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA) d’origine cardiogénique avec tachycardie supra‐ventriculaire. Il est amélioré par la mise en place d’une ventilation mécanique transitoire et une cure de diurétiques. L’ETT est initialement très pathologique avec une FEVG effondrée et des pressions ventriculaires gauches très élevées. Les paramètres s’améliorent après le traitement avec une FEVG mesurée à 35%. Concernant l’évaluation de la fonction cardiaque droite, le TAPSE (excursion systolique du plan de l’anneau tricuspide) est à 15 mmHg (le TAPSE est une mesure échographique qui évalue la fonction ventriculaire droite ; une valeur < 18 mm reflète une dysfonction modérée alors qu’un TAPSE < 8,5 mm signe une dysfonction sévère ventriculaire droite, soit une FEVD inférieure à 25 %). Le scanner thoracique met en évidence des plages en verre dépoli des lobes supérieurs avec condensations nodulaires en bandes (Figure 6). On retrouve également le nodule du lobe supérieur droit déjà connu et une polyadénopathie médiastinale, dont la fixation est non spécifique au TEP-TDM réalisé en avril 2020. Un TDM de contrôle en mai 2020 15 montre une régression complète de plages en verre dépoli, un épaississement des bronches en rapport avec une bronchopathie chronique (Figure 7). Le patient a bénéficié d’une exérèse ganglionnaire sous médiastinoscopie en décembre 2019, devant l’apparition des adénopathies médiastinales. L’histologie montre un aspect de lymphadénite granulomateuse et fibreuse, suggérant en premier lieu une pathologie d’empoussiérage (type silicose) ou une étiologie infectieuse. Aucun signe de malignité n’a été observé. Figure 6: TDM thoracique réalisé en avril 2020 Figure 7 : TDM thoracique de contrôle réalisé en février 2021 16 D’un point de vue rythmologique, le patient semble équilibré depuis avril 2020, sous traitement par NEBIVOLOL 5mg, AMIODARONE et DIGOXINE 1 jour sur 2. L’ECG enregistre un tracé en FA à 55 bpm en rythme spontané, avec QRS larges à 160 ms et bloc de branche droit et hémibloc antérieur droit. Le contrôle du DAI ne retrouve pas de choc émis. L’évolution de la maladie est également marquée par l’apparition d’une polyarthrite rhumatoïde, avec anticorps anti-CCP positifs, en janvier 2020, traitée par ABATACEPT (Orencia®) depuis janvier 2021, ainsi que plusieurs nodules pulmonaires, non hypermétaboliques stable sur les TEP-TDM réalisés en 2020 et 2021, Des biopsies sont en cours de discussion chez ce patient très fragile et n’ont, à ce jour, pas pu être réalisées. Au total il s’agit d’un patient de 68 ans présentant une ScS de forme cutanée diffuse avec des anticorps anti-Scl 70 positifs. Il développe dans son suivi une cardiomyopathie ischémique prédominant à gauche, avec fibrose globale évoluant vers une forme de cardiopathie dilatée avec dysfonction biventriculaire, associée à des troubles du rythme et de conduction cardiaque ainsi qu’une HTAP mixte. Récemment, les explorations ont mis en évidence une polyarthrite rhumatoïde qui fait évoquer un syndrome de chevauchement avec le diagnostic de ScS.

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