TROIS LOGIQUES DE PARTICIPATION CHEZ LES CLASSES POPULAIRES URBAINES

Publics populaires : Logiques de participation et production des positions sociales au sein des classes populaires urbaines

LES LOGIQUES SOCIALES DES POLITIQUES DE PARTICIPATION

L’ambition de cette recherche est de comprendre les logiques sociales sous-jacentes à la participation ou la non-participation de franges spécifiques des classes populaires urbaines. Depuis les années 1970, la thématique de la participation est au cœur des mutations de l’action publique à travers le monde, jusqu’à constituer un « impératif participatif » 1 . Elle implique la création d’espaces et dispositifs de participation aux formes variées2 , la professionnalisation d’acteurs d’accompagnant ces démarches3 ainsi qu’un intérêt renouvelé pour les associations ainsi que les figures des « habitants » ou des « citoyens » 4 comme parties prenantes de l’action publique. L’émergence et l’institutionnalisation de la participation ont conduit à la multiplication des travaux de recherche sur ces questions dans des directions variées. L. Blondiaux et J.-M. Fourniau notent, en 2011, l’éclatement des travaux portant sur la participation que ce soit « les références, les concepts et les buts visés » 5 . Ils identifient huit axes principaux de recherche qui témoignent de la variété des angles d’analyse : l’impact sur la décision, la transformation des individus, les effets structuraux et substantiels de la participation, la place du conflit, l’influence du dispositif, la mise en institution de la participation, la professionnalisation et la redéfinition de l’expertise. Parmi eux, ils soulignent l’accent mis par un certain nombre de travaux sur les « effets structuraux et substantiels de la participation » à savoir « les changements qui affectent les rapports de force entre groupes et les représentations sociales d’un problème » 6 . Autrement dit, ces travaux s’interrogent sur les possibilités de reproduction ou transformation des rapports de pouvoir par la participation. Les recherches poursuivant ces perspectives ont particulièrement porté sur les relations entre groupes sociaux et action publique. Étudiant les mouvements de contestation dans le domaine nucléaire, S. Topçu montre les processus de renforcement des rapports de force initiaux offerts par les procédures participatives jusqu’à pointer les possibilités d’un « gouvernement de la critique » 1 . Moins de travaux en revanche, ont analysé les effets structuraux et structurants de la participation chez les publics qu’elle vise, c’est-à-dire les modalités par lesquelles elle façonne les groupes sociaux. Réfléchir à l’ancrage social de la participation et ses logiques invite à orienter les questionnements dans deux directions. En premier lieu, la notion de participation est à circonscrire, en tant que catégorie d’action publique à l’interface entre champ politique, espaces sociaux et militants. En second lieu, notre attention se porte plus spécifiquement sur les publics de la participation. Les rapports de domination qui traversent les différents groupes sociaux induisent des rapports différenciés à la participation et un accès inégal aux ressources matérielles et symboliques qu’elle peut offrir. 

La participation comme politique imbriquée dans les espaces sociaux et militants

J’envisage la participation comme une catégorie d’action publique ancrée socialement et imbriquée dans l’espace militant. L’appréhension de la participation comme catégorie d’action publique invite à se défaire d’une analyse normative des liens entre participation et démocratie pour s’intéresser davantage à l’ancrage social et aux acteurs qui fondent les dispositifs et organisations de la participation. De plus, cette approche permet d’étudier les modalités d’interpénétration entre action publique participative et mobilisations collectives. 1.1.1 Au-delà de la « démocratie participative », la participation au concret Dès les premières théorisations, la notion de participation est pensée à partir des écueils de la démocratie libérale. Le travail fondateur de C. Pateman2 critique les théories élitistes de la démocratie1 et, dans une perspective normative, propose que la participation des citoyens constitue le cœur des régimes démocratiques pour pallier aux inégalités induites par le système représentatif et au fossé entre gouvernants et gouvernés. De la même manière, l’échelle de participation de S. Arnstein illustre différents stades de participation en plaçant au sommet le contrôle citoyen du gouvernement2 . L’idéal démocratique de la participation irrigue, par la suite, de nombreux travaux, qui au travers de l’analyse de différents outils et dispositifs, cherchent à déterminer les effets de la participation en matière d’« approfondissement de la démocratie » 3 . À l’inverse, d’autres travaux critiquent une participation qui ne conduirait qu’au renforcement de la légitimité de la démocratie représentative4 . Penser ensemble participation et démocratie implique de questionner les effets des dispositifs participatifs sur le processus décisionnel et l’action gouvernementale. Ainsi pour G. Gourgues, « la démocratie participative est l’ensemble des dispositifs institutionnels, officiellement mis en œuvre par les autorités publiques, à toutes les échelles, dans le but d’associer tout ou une partie d’un public à un échange de la meilleure qualité possible, afin d’en faire des parties prenantes du processus décisionnel dans un secteur déterminé d’action publique » 5 . Outre le parti-pris normatif d’une telle entreprise, il me semble que cette analyse met particulièrement l’accent sur l’implication des citoyens dans les processus de décision au détriment d’autres angles de recherche 

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L’ancrage social de la participation

Les analyses des dispositifs participatifs ont particulièrement porté sur l’étude des procédures et l’explication de leurs effets. Une typologie dominante des dispositifs présentée dans l’ouvrage dirigé par M.-H. Bacqué, H. Rey et Y. Sintomer permet, à partir d’outils techniques formalisés et standardisés, de questionner les effets de ces derniers sur la participation, les publics et la décision4 . Pour A. Mazeaud, ce « tropisme procédural tend à autonomiser la procédure par rapport à l’espace de politique publique dans lequel il s’insère » 5 . En autonomisant la procédure du contexte social et politique dans lequel elle s’inscrit, tout se passe comme si les dispositifs et techniques de participation devenaient les seules variables explicatives des résultats observés. Or, comme elle le montre, dans le cas des budgets participatifs lycéens, les effets observés s’expliquent moins par les dispositifs que par les contextes de mise en œuvre, les publics mobilisés et l’organisation et les luttes locales existantes6 . A. Mazeaud, M.-H. Sa Vilas Boas et G. Berthomé prônent ainsi une analyse contextualisée de la participation : « La première orientation consiste en une analyse contextualisée de la participation. Elle ré-encastre le dispositif dans “la structure feuilletée du social” (Revel, 1996) et de la fabrique de l’action publique pour mettre au jour les conditions de déploiement de la participation et les modalités de son articulation aux processus de mise à l’agenda, de transformation des représentations, de rapports de force, etc. Il s’agit ici de décentrer l’analyse des dispositifs participatifs, car la quête des effets ne peut s’arrêter aux frontières du dispositif. » 1 L’intérêt de cette approche consiste à dépasser les « frontières » des dispositifs pour les réinscrire dans une approche contextualisée. Pour ces auteurs, cette orientation s’avère féconde pour intégrer l’étude de la participation dans l’analyse séquentielle de l’action publique. Dans le cas de cette recherche, la mobilisation d’une approche contextualisée permet de questionner la participation à l’aune des rapports sociaux dans lesquels elle s’inscrit et pas uniquement la fabrique de l’action publique. Analyser l’ancrage social de la participation a permis d’éclairer les conditions d’investissement des publics et les effets au-delà des seuls dispositifs participatifs. M.-H. Sa Vilas Boas, dans sa thèse2 , questionne l’investissement des classes populaires dans les conférences de femmes brésiliennes. Elle montre comment des entrepreneures de participation, des femmes des classes populaires investies dans des dispositifs participatifs et mobilisatrices d’autres femmes, se constituent du fait de leur multipositionnement dans plusieurs sphères (sociabilités, associatives, travail) dans un quartier et comment leur position de représentante leur permet d’accéder à des formes de rétribution, notamment dans le champ politique3 . Le cas des politiques de participation indiennes étudiées par S. Tawa-Lama constitue un apport aux analyses de l’ancrage social de la participation4 . Prenant à contrepied les travaux français mettant en avant les liens entre participation et démocratie, elle montre qu’en Inde le développement des dispositifs participatifs ne conduit pas à un approfondissement de la démocratie, mais à son contournement. Les élites urbaines investissent ces dispositifs afin de pouvoir passer outre les élus locaux (majoritairement élus par les classes populaires).

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE. LA CONSTRUCTION DES POLITIQUES DE PARTICIPATION ET LEURS
APPROPRIATIONS PAR LES ACTEURS ASSOCIATIFS DES QUARTIERS POPULAIRES
Chapitre 1. Construction et recompositions des politiques de participation à Barcelone et Marseille (1970-2019)
1/ La diffusion de la participation comme catégorie d’action publique à Barcelone
2/ Les politiques de participation à destination des quartiers populaires à Marseille :entre injonction nationale et résistance locale
Chapitre 2. Transformations des classes populaires urbaines à Ciutat Meridiana et Malpassé
1/ Transformations sociodémographiques et stratifications dans les quartiers populaires
2/ Évolutions du rapport au politique des classes populaires urbaines
Chapitre 3. Organisation d’espaces locaux de participation autour d’entrepreneurs
1/ Appropriations locales des politiques de participation au sein du tissu associatif
2/ Sociologie des entrepreneurs de participation
3/ La formalisation d’espaces locaux de participation
DEUXIEME PARTIE. TROIS LOGIQUES DE PARTICIPATION CHEZ LES CLASSES POPULAIRES URBAINES
Chapitre 4. Logiques de mobilisation du public ordinaire
1/ La mobilisation sélective du public par les entrepreneurs
2/ La distribution de rôles comme encadrement du public ordinaire
Chapitre 5. Logiques de démobilisation des fractions précaires du public ordinaire
1/ À Barcelone, la disqualification de la cause des expulsions comme tactique de démobilisation
2/ La démobilisation des fractions précaires des classes populaires et ses effets à Marseille
Chapitre 6. Logiques de contournement par les fractions supérieures du public ordinaire
1/ L’espace local de participation comme ressource pour de nouvelles mobilisations
2/ Le contournement des normes de participation
CONCLUSION GENERALE

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